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“La RSE donne du sens à l’entreprise”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2018 | Sophie Massieu

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“La RSE donne du sens à l’entreprise”

Crédit photo Sophie Massieu

Pour la nouvelle présidente de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises, le rapport Notat-Senard est une étape majeure dans l’évolution du rôle social des entreprises. Mais elle estime qu’un long chemin reste à parcourir pour que ces préconisations deviennent une réalité.

Vous êtes administratrice du Comité 21 et du collège des directeurs du développement durable. Pourquoi avoir choisi de vous présenter à la présidence de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises ?

Pour sa composition, d’abord. Il a un lien fort avec les organisations syndicales et cela me semble être une spécificité intéressante. Ensuite, c’est un lieu d’échange et de bonnes pratiques, et un think tank qui aborde l’ensemble des sujets de la RSE. Sa capacité à produire un travail de fond m’a attirée. Je le trouve nécessaire, au regard des évolutions de la RSE. Les nouveaux enjeux sont nombreux. Il nous faut les prendre à bras-le-corps.

Quels sont ces nouveaux enjeux ?

Quelle que soit l’issue des débats parlementaires, le projet de loi Pacte [Plan pour la croissance et la transformation des entreprises, NDLR] aura des incidences. On peut déjà y voir une belle reconnaissance de la RSE. Il concrétise ce que des organismes comme l’Orse ont promu pendant des années : une vision de l’entreprise novatrice, responsable, soucieuse de contribuer au bien-être de la société. L’entreprise est aujourd’hui perçue comme ayant des droits et des devoirs par rapport à la société où elle est implantée, et ne saurait se résumer à un marché financier. Elle doit contribuer à l’intérêt général, qui la dépasse. Pour moi, il y aura un avant et un après rapport Notat-Sénard. Le sujet, cette vision du rôle social de l’entreprise, est maintenant sur la table, entendu de tous.

Quelles traductions concrètes de cette mise en avant de la RSE espérez-vous ?

Les entreprises vont réfléchir à leur raison d’être, et à son écriture. Le dialogue avec les parties prenantes va certainement s’amplifier. Peut-être vont-elles l’institutionnaliser davantage à travers des comités de parties prenantes. À l’Orse, nous devons accompagner nos membres sur ces changements de gouvernance.

De quelle façon ?

Nous allons multiplier les outils pour continuer à renforcer l’implémentation de la RSE dans l’ensemble des processus de l’entreprise. La bataille des idées me semble gagnée, au vu des évolutions cette dernière décennie. L’entreprise est maintenant ouverte au monde. Mais encore faut-il que ces nouvelles façons de penser innervent l’ensemble de l’entreprise. Pour cela, nous allons travailler sur l’instauration nécessaire du dialogue entre les différentes fonctions à l’intérieur de l’entreprise. L’Orse peut être le lieu où elles pourront se rencontrer. Il faut en finir avec le travail en silo. La collaboration entre les différents services représente un levier important de l’implémentation. L’Orse ne regroupe pas seulement des directeurs de la RSE ou du développement durable, c’est donc un lieu idéal pour cela.

Si les directeurs de la RSE ne doivent pas rester entre eux, les entreprises, elles non plus, ne peuvent agir seules…

En effet. La RSE va devenir plus politique. Puisque désormais, on admet que l’entreprise contribue aux grands enjeux de société, il faut se poser la question d’un lien probablement nouveau entre ce secteur privé et les pouvoirs publics. Les rôles des uns et des autres vont devoir être redéfinis. Il faut une alliance public/privé forte, au regard de l’importance des enjeux qui sont les nôtres, autour des questions d’inclusion ou de changement climatique par exemple. On peut imaginer qu’à terme, l’Orse permette de favoriser ce travail commun.

Êtes-vous certaine que les politiques RSE ne constituent pas surtout de l’affichage, des opérations de communication ?

Le mouvement de l’entreprise engagée me semble très puissant. Il y a eu un moment de catalyse en 2015, avec la Cop 21. Elles ont pris des engagements sur le climat, et cela restructure les investissements, la recherche, vers les énergies bas carbone, par exemple. Et le dialogue avec les parties prenantes me semble aussi bien amorcé, voire à maturité, chez certaines. L’entreprise est plus ouverte, plus contributive. Elle est aussi de plus en plus engagée sur son territoire. Et puis la RSE donne du sens à l’entreprise. Ce faisant, elle répond à une attente grandissante des collaborateurs, qui veulent exercer un travail utile pour eux et pour la société. Ils savent très vite identifier les politiques RSE sincères, qui deviennent d’ailleurs des leviers importants de l’attractivité de l’entreprise, et de la capacité à fidéliser les talents.

Les actionnaires accompagnent-ils ou freinent-ils ces évolutions ?

Le monde de la finance bouge lui aussi. Depuis la Cop 21, il y a davantage de fléchage des investissements vers du responsable et du bas carbone. Ce n’est qu’un début… Sur le plan social, il reste à faire, notamment en matière d’égalité professionnelle hommes femmes ou sur les questions de diversité en général. Je sais bien que tout cela est encore fragile. Et c’est bien pour cette raison que je parle de la nécessaire implémentation. Ce qui reste à accomplir est aussi important que tout le chemin parcouru depuis quinze ans.

Quelles sont les principales difficultés qui demeurent ?

D’abord, on n’est pas encore à l’abri d’une part de social et green washing. Surtout, il existe des écarts non négligeables entre les entreprises, notamment en fonction de leur taille. Tout ceci, dans un contexte international qui peut se révéler singulièrement compliqué. Ce n’est vraiment pas le moment de lâcher prise.

En quoi la taille des entreprises influe-t-elle sur les politiques RSE ?

De nombreuses PME font des choses sans les identifier comme des politiques de RSE. À l’échelle de leur territoire, elles mettent en place, par exemple, des politiques d’insertion par l’emploi ou des boucles d’économie circulaire. Elles le font, qui mieux est, de manière transverse, avec d’autres acteurs. Bref, comme Monsieur Jourdain, elles font de la RSE sans le savoir. Et souvent, le terme de RSE continue de leur faire peur, parce qu’elles y voient quelque chose de contraignant. Mais, en réalité, la RSE est un outil de pilotage de la transformation.

Si la RSE infuse dans toute la stratégie de l’entreprise, à terme, un poste de directrice du développement durable, comme celui que vous occupez chez Suez, ne sera-t-il pas amené à disparaître ?

Il nous reste encore pas mal de travail. Mais à terme, et je le dis depuis quinze ans, cette fonction devrait disparaître, puisque toutes les autres responsabilités devraient avoir digéré les enjeux RSE. Il reste des expertises derrière les mots de RSE ou de développement durable. Mais elles pourront en effet aller se loger ailleurs que dans des postes de directeurs de la RSE ou du développement durable. Selon moi, il faudra attendre encore deux décennies pour parvenir à ce degré d’implémentation. Pour continuer d’avancer, il nous faut bâtir des alliances nouvelles entre grandes entreprises, PME, entrepreneurs sociaux et environnementaux. Les enjeux sociaux que l’on doit affronter sont tels que le temps d’une économie linéaire (je produis, je consomme, je jette) n’est plus viable. Nous avons tous besoin de sens, plus que de consommation à outrance. Aucune stratégie classique ne permettra de répondre aux défis de demain sur la gestion de l’eau, des migrations, de l’accompagnement nécessaire des compétences digitales…

La France est-elle pionnière sur ces sujets ?

On dit souvent que la France est à la pointe de ces questions depuis la loi NRE de 2001. Et ce, en raison d’une alchimie heureuse entre démarche volontaire et réglementation. Pour autant, il y a des choses qui avancent très vite ailleurs aussi, comme l’économie circulaire en Chine. C’est pour elle un sujet de santé publique, pas uniquement environnemental. Aux États-Unis, les progrès se nichent plutôt dans les partenariats qui se nouent entre villes et entreprises, ou dans les États comme la Californie. Chez nous aussi, les unions entre entreprises, ONG, collectivités territoriales ou État se développent depuis quelques années, et il faut aller plus loin.

Hélène Valade

Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, Hélène Valade, 52 ans, est directrice du développement durable du groupe Suez. Elle préside l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) depuis le 5 juin dernier, et demeure administratrice du Collège des directeurs du développement durable (C3d), qu’elle a cofondé en 2007, et du Comité 21. Elle a aussi présidé de 2015 à 2017 la Plateforme RSE, à France Stratégie.

Auteur

  • Sophie Massieu