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L’intégration, un vrai parcours du combattant

À la une | publié le : 01.09.2018 | Judith Chétrit

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L’intégration, un vrai parcours du combattant

Crédit photo Judith Chétrit

Près d’un tiers des salariés quittent leur job dans les six mois suivant leur recrutement. D’où l’importance pour les entreprises de soigner les parcours d’intégration et pour les collaborateurs de se préparer à cette période d’immersion.

Le cadre a beau être bucolique pour cette soirée organisée par CQFD 78, une association d’entraide entre cadres des Yvelines, le thème n’en reste pas moins sérieux : comment bien s’intégrer et être intégré dans une entreprise ? Certains ayant connu une longue phase de recherche d’emploi, partagent leurs expériences pour éviter une série de déconvenues. « Quand je suis arrivé, j’ai demandé à chacun de mes collègues de bien vouloir me consacrer un quart d’heure pour comprendre qui ils étaient et ce qu’ils faisaient. Cela nous fait gagner du temps pour analyser les rouages d’une entreprise et découvrir des choses qui vont plus ou moins bien », témoigne Jean-Charles Robert, un responsable commercial grands comptes dans une ESN.

Un statut d’observateur avisé que revendique également Laurent Bonnafoux, un directeur de projets dans le secteur de la construction du Grand Paris. « Avant, quand je changeais d’entreprise, cela se faisait naturellement ». Après une récente période d’essai qui n’a pas été concluante, l’ingénieur a revu sa stratégie en changeant d’emploi au printemps. « Je me suis renseigné en amont sur l’environnement et les missions qui m’attendaient, surtout dans mon secteur, où il est difficile de rassembler des informations sur des projets historiques. Plus on avance en responsabilités, plus il faut se mettre dans la peau d’un caméléon ». D’après Bamboo HR, un logiciel d’onboarding – le terme anglo-saxon désormais consacré pour l’intégration des salariés dans l’entreprise – près d’un tiers des salariés quittent leur emploi dans les six premiers mois, souvent faute d’adéquation entre leurs aspirations et celles de l’entreprise ou un environnement et une équipe qui ne conviennent pas.

Séduire et fidéliser les talents.

À les entendre échanger ce soir-là, celui qui s’intègre est le salarié pro-actif. Pourtant, il est de la responsabilité des entreprises de mieux accueillir ses nouvelles recrues car l’échec d’une intégration peut rapidement lui coûter cher. Si cet adage est bien connu des services RH, l’investissement n’est pas considéré partout comme stratégique. Selon une étude réalisée en 2012 par le cabinet de recrutement Mercuri Urval, 65 % des entreprises interrogées n’avaient pas mis en place de processus d’intégration, faute de temps ou parce que la taille et la culture de l’entreprise ne s’y prêtaient pas. Classiquement, celui-ci comprend une visite de l’entreprise et la distribution d’un livret d’accueil pour accompagner les premiers pas des salariés. Mais d’autres ont envie de dynamiser ce parcours, comme la vingtaine de participants à des ateliers organisés à Paris et à Lyon par le club des Chief Happiness Officers (CHO), réunissant des responsables RH et de communication interne. « Certaines personnes ont même proposé que l’intégration d’un nouvel arrivant commence avant même le processus de recrutement avec la participation de l’équipe à la rédaction de la fiche de poste avec le manager opérationnel », se remémore Marie Esquelisse, chef de projet dans le digital et co-animatrice de cet atelier. « La carotte de l’évolution professionnelle ne fonctionne plus. Il faut proposer une expérience aux salariés dès leur arrivée pour séduire et surtout fidéliser les talents », renchérit Vanessa Pénélope du club des CHO.

Ici, une immersion est proposée avant même le début du contrat. Ailleurs, c’est la nomination d’un parrain ou d’une marraine qui servira de relais pour répondre aux diverses questions des arrivants et recueillir leurs premiers feedbacks. Avec l’organisation de séminaires d’intégration et de challenges, c’est le temps du teambuilding pour créer des souvenirs communs et apprendre à connaître ses collègues dans un autre cadre. Chez Google, les nouveaux venus sont repérables à leur casquette qu’ils doivent porter dès leur arrivée. Il y est indiqué Noogle, le N signifiant Noob, soit novice en anglais. Chacun est ensuite associé à un « peer buddy », un parrain, qui les familiarisera à leurs prochaines missions et bénéficiera d’un « onboarding check-in » mensuel pendant les six premiers mois. Les pratiques d’intégration peuvent également différer en fonction des turnover existants au sein des entreprises.

Un parrain ou une marraine.

Au sein de la maison de champagne Moët & Chandon qui recrute une cinquantaine de salariés par an, un séminaire d’intégration « les clés de la maison » a été modifié il y a deux ans et comprend plusieurs sessions annuelles présentant aux nouveaux collaborateurs l’histoire de la maison, le fonctionnement de l’exploitation viticole avec la visite de caves et d’un site de production mais aussi l’art des accords mets-vin. « Cela leur permet de mieux comprendre l’ADN de la maison mais aussi de développer leur propre réseau dès leur arrivée, puisque les salariés sont mélangés, quel que soit leur niveau de responsabilités ou leur service », assure Corinne Delahaigue, directrice des affaires sociales. Les cadres sont également encadrés par un parrain ou une marraine pour leurs premiers mois et bénéficient d’un module en e-learning pour tester leurs connaissances de base sur l’élaboration du champagne, par exemple. Chez Amazon, c’est également par un centre de traitement des commandes que passent les nouveaux collaborateurs pour comprendre la logistique associée au service vendu aux clients.

Chez Metro, ce n’est pas dans la peau d’un client que les récents embauchés en CDI ou en CDD de plus de six mois se glissent, mais dans celle d’un journaliste supposé écrire un papier sur l’histoire ou les catégories de clients du grossiste pour professionnels. « Avec cette nouvelle formule, on a voulu changer des slides diffusées de 9 h 00 à 17 h 00 sur les chiffres, l’histoire et les orientations stratégiques de l’entreprise. C’est désormais à eux d’aller chercher l’information présente sur notre portail collaboratif. Ils sont responsabilisés et assimilent plus rapidement », explique Nadir Kadji, directeur des ressources humaines. Des données qui sont, en partie, communiquées dès l’offre d’embauche acceptée avec un premier mail de bienvenue et des liens vers des vidéos et posts Linkedin sur les entrepôts et le siège. Pourtant, si les parcours d’intégration ont subi une refonte pour mieux accueillir les quelque 2 500 recrues annuelles, il reste des « irritants » comme les demandes d’accès informatique qui tardent ou un équipement qui n’est pas encore arrivé pour le premier jour du collaborateur. Nadir Kadji et son équipe ont ainsi mis au point une check-list de documents à remettre avec une plaquette d’intégration à l’attention des référents RH dans les entrepôts et se chargent d’organiser une série de rendez-vous pour introduire les recrues auprès de leurs interlocuteurs réguliers. Les durées des parcours d’intégration diffèrent également en fonction du rang hiérarchique et des missions des salariés. Le DRH insiste sur l’homogénéité des pratiques : « Si on s’investit en temps et en énergie, il faut que ces parcours soient vécus de la même manière d’un entrepôt à un autre. Sinon, cela risque d’augmenter la frustration de salariés déçus, surtout s’ils discutent avec leurs collègues pour qui tout s’est bien déroulé ». A fortiori sur des métiers stratégiques et pénuriques comme la boucherie ou la poissonnerie.

Ces étapes, jugées aujourd’hui cruciales par les entreprises, deviennent un moment et une opportunité ciblée par une myriade de jeunes pousses. Workelo, créé il y a un an, a ainsi mis au point une plateforme qui regroupe l’ensemble des tâches administratives et RH à effectuer après un recrutement comme l’installation d’un nouvel espace de travail, la création d’une adresse e-mail, l’élaboration d’un contrat de mutuelle ou l’organisation de rendez-vous avec ses collègues. Et c’est un processus désormais automatisé pour faire gagner du temps et accélérer l’intégration du salarié, argue Alexandre Grenier, co-fondateur. « Il y a toujours des initiatives à l’échelle d’un service mais l’idée est d’industrialiser cette pratique pour plusieurs milliers de collaborateurs. Il y a beaucoup de tâches transversales à coordonner, ce qui demande du temps et des ressources. On a une liste de 150 tâches à réaliser à court et à moyen terme pour les managers et les RH, comme le suivi de formations ou l’organisation de réunions afin de mettre en pratique l’onboarding », détaille-t-il. La plateforme a même des « cérémoniaux de célébration » pour faire le point durant la période d’intégration avec des questionnaires à remplir. La start-up marseillaise Loocatme a développé une série de modules de formation sur les métiers lors du parcours d’intégration. Et adapte son offre en fonction des besoins de ses clients. « Certains nous ont demandé de mettre en place un compte ambassadeur pour pouvoir répondre rapidement aux questions que se posent leurs nouveaux salariés. D’autres veulent récupérer les données comme le temps passé sur le module ou les suggestions des participants pour améliorer certains points », précise Gérald Gaillard, cofondateur.

Le pari du digital.

Dans cette lignée, d’autres entreprises ont parié sur le digital pour mieux intégrer leurs talents, tout en conservant une partie présentielle. Il y a un an, la direction de la formation de Bouygues Construction a lancé un nouveau parcours d’intégration In’pulse entièrement en ligne pour ses 3 500 nouveaux collaborateurs. « Au cours d’une journée, il est compliqué de tout dire. Très souvent, l’histoire du groupe était passée ou uniquement racontée au travers du prisme d’un métier. Si on veut promouvoir la mobilité au sein du groupe, il faut rapidement insister sur le socle commun du groupe », avance Cécilia Gaben, responsable du digital learning. Pour l’instant, il n’y a aucune personnalisation mais des modules de formation obligatoires à suivre pendant les trois premiers mois, notamment sur les cycles de management, les process internes ou la sécurité. Ceux-ci ont été conçus sous la forme d’un jeu : « Avec le digital, vient une plus grande tentation de décrocher donc il faut réactiver l’attention des collaborateurs a minima toutes les six minutes ». Une étape qui fait partie de la période d’essai et à laquelle les managers ont été sensibilisés pour leur évaluation.

EDF avait misé sur une application mobile My Serious App incluant un quiz avec des questions sur l’histoire et la culture de l’entreprise mais aussi des groupes de discussion pour échanger avec les autres nouveaux salariés – 5 000 en moyenne chaque année – qui n’ont pas le même niveau hiérarchique ou ne travaillent pas dans le même département. L’accès a ensuite été élargi à l’ensemble des salariés du groupe. « On avait également mis en ligne un abécédaire pour décrypter tous les sigles de l’entreprise mais aussi une to do list pour ne pas rater les démarches les plus importantes », indique Jonathan Parsy, responsable transformation digitale, à qui l’idée est venue en jouant à Duel Quiz, un jeu en ligne où le grand public répond à des questions de culture générale en temps limité. Bien moins cher qu’un livret d’accueil classique, celle-ci proposait également un classement pour les plus motivés des salariés. Mais l’application, qui contenait plus de 4 500 questions préalablement rédigées en s’appuyant sur l’aide des collaborateurs, a dû s’arrêter avec la cessation d’activité de la start-up suédoise.

Accompagnement personnalisé.

Un aléa à prendre en compte dans la refonte de parcours d’intégration. Mais d’autres critères entrent en jeu comme des temps et des courbes d’assimilation qui sont différentes d’un salarié à un autre. Comment faire en sorte que l’accompagnement soit personnalisé au mieux ? Comment mesurer à quel point un processus d’intégration est efficace ? Est-ce relié à la rapidité à partir de laquelle le salarié devient pleinement opérationnel ou bien son épanouissement au sein de l’entreprise ? Autant de questions soulevées par Sophie de Villepin, responsable du pôle recherche de talents chez Michelin. « On fait un bilan à mi-parcours et à la fin de la période d’essai entre le manager, le collaborateur et le partenaire de développement du service du personnel qui s’occupe de la gestion de carrière. On réalise également une étude pour savoir comment les différentes étapes ont été perçues et vécues et prochainement un questionnaire pour savoir ce qui leur a été exactement proposé à leur arrivée ». Si tous reconnaissent que l’accueil disparate est à éviter, il faut néanmoins faire attention à ne pas frôler l’indigestion en sollicitant trop d’attention et de disponibilité du nouveau collaborateur qui a surtout besoin de temps pour s’acclimater à son nouveau poste. Le rapport d’étonnement fait alors souvent office d’ajustement pour optimiser les parcours d’intégration des prochains arrivants.

Flixbus, les petits-déjeuners du lundi

Pour la compagnie de bus Flixbus, il était impensable que les nouveaux arrivants ne passent pas visiter les gares routières, ne testent pas les trajets et ne se confrontent pas aux questions des usagers pour avoir les retours les plus francs possible avant même de connaître les coulisses de l’entreprise. Une immersion complétée par une série de feedback à intervalles réguliers pour prendre le pouls de la trentaine de recrues annuelles. « À une certaine époque, on attendait des collaborateurs qu’ils s’intègrent en allant eux-mêmes chercher les informations utiles. Aujourd’hui, cette quantité d’informations a considérablement augmenté et les collaborations sont de moins en moins cloisonnées. Le collaborateur doit avoir rapidement une vision globale, d’autant plus dans une start-up, et c’est le rôle des ressources humaines de faciliter cette transition », insiste Delphine Chantôme, à la tête du service. Chaque lundi matin lors d’un petit-déjeuner hebdomadaire où les managers racontent leurs projets en cours, un temps est dévolu à la présentation d’éventuels nouveaux salariés informés au préalable et au visage d’ores et déjà affiché sur un mur de l’entreprise pour annoncer sa venue. Ils rencontreront ensuite les chefs d’équipes de l’ensemble des départements.

Auteur

  • Judith Chétrit