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L’apprentissage du savoir être

À la une | publié le : 01.09.2018 | Rouguyata Sall

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L’apprentissage du savoir être

Crédit photo Rouguyata Sall

Depuis quelques années, les candidats à l’embauche sont jugés de plus en plus sur leurs compétences comportementales. Certaines grandes écoles incluent, dans leurs cursus, des formations au savoir être. Enquête.

« Inventer le futur de la beauté ». C’est par cette phrase que tout candidat à un emploi chez le leader mondial des cosmétiques est accueilli sur le site Internet L’Oréal Talents dédié au recrutement. Avant même d’avoir accès aux offres d’emplois disponibles, l’importance des compétences comportementales est déjà soulignée : « Si vous êtes un inventeur génial ou un catalyseur de changement, venez nous aider à inventer un monde plus beau. » Plus loin, on retrouve dans une offre les termes “créativité” et “goût du challenge”. Ces qualités humaines sont aujourd’hui très recherchées, notamment pour combler les besoins des entreprises en matière d’innovation. « Les compétences comportementales ont toujours été importantes chez L’Oréal », précise Blandine Thibault-Biacabe, DRH France. « Parce que le savoir être est aussi important que le savoir-faire. À partir du moment où nos métiers invitent à la créativité, cette dimension humaine, sensible, est nécessairement un asset [ndlr, atout] recherché. »

Soft ou hard Skills ?

L’importance du savoir être, du comportement lors d’une procédure de recrutement ne date pas d’hier. Et les compétences techniques sont toujours nécessaires. Mais ces compétences comportementales sont de plus en plus intégrées dans les processus de recrutement et d’évolution en entreprise. Pour être performant, il faut à présent compter sur la créativité, l’intelligence émotionnelle ou encore la pensée critique. Dans « Le Réflexe Soft Skills, les compétences des leaders de demain », ouvrage de référence paru en 2014, les auteurs Jérôme Hoarau, Julien Bouret et Fabrice Mauléon, estiment que les soft skills sont les compétences que chacun possède, de manière plus ou moins consciente. « Pédagogie, créativité, gestion du stress, écoute, adaptabilité, empathie, etc. […] sont essentielles dans la vie professionnelle et cohabitent avec les autres compétences et connaissances (« hard skills ») longtemps privilégiées. »

Pour Emmanuel Louzier, directeur général du cabinet de recrutement Michael Page, une importance prépondérante est désormais donnée aux soft skills dans l’évaluation des recrutements des collaborateurs. « C’est une tendance qu’on a vu émerger il y a quelque temps maintenant mais qui est effectivement en train de s’accélérer, qui prend un peu plus de relief que par le passé. » Selon lui, plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. « Il y a d’abord le fait que ce sont des attentes des candidats eux-mêmes. Les plus jeunes générations accordent énormément d’importance à l’humain et au sens. Et souhaitent aussi être recrutées sur la base de leurs compétences comportementales. Il y a quelque part une forme d’évolution générationnelle des candidats. Et donc la nécessité impérative pour les entreprises de s’adapter à ces attentes. » En parallèle, le développement des marques employeur et la volonté de rendre visible leurs valeurs, jouent aussi un rôle dans l’avènement des compétences comportementales. « À partir du moment où l’entreprise elle-même communique, ou en tout cas réfléchit à ce qu’est sa vision, son sens, ses valeurs, il est assez logique qu’elle cherche à évaluer si les candidats sont compatibles avec ce qu’elle met en avant », explique Emmanuel Louzier.

Place aux équipes agiles.

Dans l’étude The Future of job, menée dans 15 pays en 2015 et présentée lors du World Economic Forum, au Forum de Davos, les salariés interrogés ont identifié les soft skills indispensables en 2020. Dans le top 10, deux soft skills concernent l’aptitude à travailler en équipe : gestion de personnel et facilité à se coordonner avec les autres, notamment à distance, à l’heure où il est possible de collaborer avec des partenaires aux quatre coins de la planète. Une réalité pour bon nombre d’entreprises où les employés ont à travailler dans un contexte virtuel, interculturel et pour autant collaboratif. « C’est aussi une question de savoir-vivre ensemble », estime Blandine Thibault-Biacabe. Finie la culture du « héros combatif, individuel ». Place aux « équipes agiles, complémentaires, portées par un projet commun ». Parmi les compétences de savoir être, l’écoute paraît primordiale pour la DRH France de L’Oréal. Et pas juste « écouter pour écouter ». « C’est vraiment écouter de façon active, pour se laisser aussi imprégner des idées des autres. Ce n’est pas nécessairement toujours réinventer le monde, précise-t-elle. C’est aussi d’avoir de l’audace, un savoir oser. C’est important de retrouver un esprit, un souffle entrepreneurial. Mais cette écoute permet aussi de s’interroger sur ce qui existe déjà, ce qui était déjà bien fait, qui peut être simplement réinventé, ou en tout cas réaménagé sans pour autant complètement repartir from scratch [ndlr, de zéro]. » Autres qualités clés chez L’Oréal, la capacité d’adaptation, l’ouverture d’esprit, la curiosité et l’intérêt qu’on porte aux autres. La bienveillance aussi. Sans oublier la compassion. « Parce que la compassion, c’est aussi être à l’écoute des autres et de leurs difficultés. »

À la recherche de l’ingénieur contemporain.

Dans tous les secteurs d’activité, le développement de nouvelles technologies influe directement sur les attentes des employeurs. Les formations sont adaptées à ces nouveaux métiers mais la partie technique peut sembler moins essentielle tant les métiers évoluent à vitesse grand V. « Si on parle de nouveaux métiers, de la mutation à un environnement technologique et digital encore différent, on est sur des compétences qui ont trait à la souplesse et à l’agilité », explique Emmanuel Louzier, de Michael Page. « Parce qu’on parle d’innovation permanente maintenant dans toutes les entreprises, toutes les industries, tous les secteurs, beaucoup de compétences requises tournent autour de l’innovation et de la créativité. Et on va même jusqu’à rechercher parfois des candidats avec beaucoup d’inventivité, assez disruptifs. » Avant d’ajouter qu’on a besoin de remettre en cause quelque part les modèles. « Donc on a aussi besoin de personnalités capables de le faire ». Les hard skills nécessaires à l’instant T ne sont plus suffisantes. Ce sont alors plutôt les soft skills qui vont permettre au collaborateur de s’adapter à ces nouveaux métiers et contraintes.

À l’université technologique de Compiègne, établissement public d’enseignement supérieur et de recherche dans l’Oise, on s’intéresse aux sciences humaines et sociales. Le double statut d’école d’ingénieur et d’université permet des programmes de recherches. « Une grande partie des enseignements de notre département s’appuie aussi sur les travaux de recherche du laboratoire Costech [ndlr, Connaissance Organisation et Systèmes TECHniques] », explique Frédéric Huet, maître de conférences en sciences économiques et responsable pédagogique du département de technologies et sciences humaines. Dans ce laboratoire, les chercheurs planchent sur « l’ingénieur contemporain ». « Ce qu’on voit quand on fait des enquêtes auprès des ingénieurs sur les situations problématiques, assez souvent, ce ne sont pas des problématiques d’ordre purement technique. C’est toujours couplé avec des exigences humaines, l’écoute du client, gérer une équipe ou concilier le développement technique avec des problèmes d’éthique. »

Le projet de département qui structure les nouvelles lignes de contenus des enseignements s’intitule d’ailleurs Coopérer en milieu numérique et interculturel. Avec les parcours individualisés, les étudiants peuvent choisir un tiers de leurs matières dans le domaine technologies et sciences de l’homme. Parmi elles, des cours un peu singuliers, autour de la philosophie, des sciences cognitives, de l’interculturalité, etc. L’ingénieur ainsi formé saura répondre aux attentes actuelles des entreprises car armé pour travailler avec des collaborateurs étrangers et/ou éloignés.

Les modes de recrutement changent.

Les étudiants des grandes écoles sont aujourd’hui accompagnés pour développer les atouts comportementaux. « Il y a des référentiels de compétences comportementales qui sont créés, souligne Emmanuel Louzier. Les écoles, qui sont un des acteurs de la filière de recrutement, se sont adaptées. Entreprises et candidats se sont adaptés aussi. On voit quand même arriver petit à petit des CV qui mettent aussi en avant des compétences comportementales, de façon un peu plus régulière, comme on peut voir d’ailleurs dans les pays anglo-saxons. » Les CV changent et les modes de recrutement aussi. Comment différencier des candidats qui sortent des mêmes écoles et ont des profils similaires ? On connaissait le test de personnalité. Place à l’escape game. Depuis l’automne 2017, le cabinet d’audit PwC a ajouté cette étape au recrutement de ces auditeurs juniors. Une manière originale d’évaluer les soft skills en regardant comment se comporte le candidat dans un environnement très différent du traditionnel face-à-face en entretien d’embauche.

Comment développer ses soft skills

Ingénieur ou non, il est aussi question de personnalité. Tous les étudiants ne sont pas égaux en matière de compétences comportementales. Les auteurs de « Le Réflexe Soft Skills, les compétences des leaders de demain » ne manquent pas de rassurer dans leur ouvrage : « Des méthodes permettent pourtant de les renforcer, de les déployer, de les exploiter, et d’accroître ainsi le capital humain de l’entreprise dans laquelle le salarié s’épanouit. »

Les compétences comportementales sont importantes tout au long de la vie professionnelle. Il peut être nécessaire de les développer pour faire face au maximum de situations en entreprise. Pour Blandine Thibault-Biacabe, cela passe d’abord par l’exemplarité : « La meilleure méthode, c’est que ce soit porté par les managers. Il y a des gens qui ont davantage d’assets que d’autres au départ. Il y a des dispositions naturelles, des dispositions que certains ont plus que d’autres. Mais en revanche, une culture d’entreprise, une organisation d’entreprise, des méthodes d’évaluation managériales, qui portent sur ces comportements et sur cette dimension managériale, permettent l’implémentation et d’essaimer. » Et ceci est valable pour toutes les familles de métiers, même s’il y a des fonctions d’expertise où on peut être amené à travailler sans équipe, mais avec soft skills ! « Une expertise a forcément l’obligation d’être connectée à ses clients internes et donc par définition d’acquérir ces compétences comportementales pour être à leur écoute, se mettre à leur portée, de dé-jargonner et puis aussi de faire vivre son idée. »

Auteur

  • Rouguyata Sall