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La subordination a-t-elle un avenir ?

Idées | Juridique | publié le : 07.06.2018 |

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La subordination a-t-elle un avenir ?

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Combien de fois a-t-on entendu que l’on se dirige tout droit vers la fin du travail salarié ? Le déclin de la subordination, du notamment aux transformations du travail, signerait un glissement inexorable vers la suprématie du travail indépendant. Si l’argument est à prendre très au sérieux, il signifie surtout l’obligation pour le droit du travail de s’adapter aux nouveaux enjeux.

Qu’est-ce que la subordination ?

Le droit français a fait le choix – judicieux car cela permet de rendre la définition plus évolutive – de ne pas inscrire la notion de subordination dans le Code du travail. Choix que ne partagent pas nombre de pays voisins : Italie, Belgique, Espagne, Portugal, Suisse, etc. C’est donc à la Cour de cassation qu’il est revenu de la définir, ce qui n’interviendra que tardivement, dans le célèbre arrêt Société Générale du 16 novembre 1996. La subordination y est définie comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

Même si cette définition est appréciée de façon souple (il n’est évidemment pas nécessaire qu’un travailleur ait été sanctionné pour pouvoir prétendre à la qualité de salarié !), les critères issus de l’arrêt Société Générale sont dans bien des cas difficiles à caractériser, voire inapplicables lorsque l’activité exercée par le salarié l’est de manière autonome. De plus en plus souvent, les ordres et les directives font défaut, parce que le travailleur exerce un métier d’une spécialisation telle que quiconque est dans l’impossibilité de lui donner des ordres et des directives. Comment, par exemple, diriger le travail d’un avocat ou encore d’un médecin qui exerce une spécialité qu’il est seul à maîtriser dans son cabinet ou dans sa clinique ? D’où la prise en compte, lorsqu’elle existe, d’une dimension périphérique à la subordination : l’appartenance du salarié à une organisation. Il a donc été reconnu que, sans recevoir d’ordres et de directives quant à l’exercice de leur activité, médecins, enseignants du privé, moniteurs, professionnels de la comptabilité, avocats… peuvent prétendre à la qualité de salarié s’ils sont intégrés dans un service organisé. Les juges rechercheront en particulier si le lieu de travail et les horaires sont fixés par l’organisation, non par le travailleur lui-même.

De la subordination au contrôle

Aujourd’hui, l’utilisation du critère du service organisé reste limitée et pour l’essentiel réservée à quelques professions (médecins, avocats en particulier). Il est sans doute temps, soit de lui conférer une place centrale soit, de préférence, de substituer à la notion de subordination celle de contrôle. S’il paraît difficile de faire de l’appartenance à une organisation le critère du salariat (ce même si la Commission de Californie dans une affaire Uber s’était à très juste titre interrogée sur le fait qu’une organisation, avec tous les rapports de pouvoir qui l’irradient, puisse fonctionner sur la base du travail indépendant1), le critère du contrôle parait le mieux à même de remplacer celui de la subordination. Dans les affaires Uber, le critère du contrôle (ou de la surveillance, ce qui revient au même) est central. La fameuse décision de l’Employment tribunal d’octobre 2016 sur des travailleurs d’Uber2 va loin dans le constat d’un système de surveillance puisque les juges constatent l’existence de multiples recommandations à l’égard des chauffeurs qui, si elles ne prennent pas la forme d’ordres et de directives n’en manifestent pas moins un contrôle permanent de ces derniers : « nous regardons continuellement vos notes, les commentaires et retours des clients » ; le chauffeur « n’aura aucun contact avec le client après la course », leur est-il précisé, aucun numéro de téléphone de clients ne leur étant par ailleurs révélé. Des mails-type sont adressés aux chauffeurs lorsqu’ils s’éloignent de leur véhicule : « Nous avons constaté que vous vous êtes éloignés de votre véhicule sans vous déconnecter de l’application et n’avons donc pas confirmé votre disponibilité ou non pour une course qui vous a été demandée ; certes, en tant que travailleur indépendant, vous avez l’absolue liberté de vous connecter ou non à tout moment ; cependant, le fait d’être connecté signifie que vous êtes en situation d’accepter une course… ». Dans le même ordre d’idées, sont encore rapportés des emails envoyés aux conducteurs selon lesquels « nous constatons que vous avez annulé 15 % de vos courses la semaine dernière, avec, à la clé, de possibles pénalités de déconnexion.

Ce que montrent ces décisions, et bien d’autres encore, c’est que si la subordination, au sens classique du terme, est sans doute amenée à reculer avec les transformations du travail, à la fois quant à la nature du travail à accomplir (des tâches de moins en moins manuelles, de plus en plus intellectuelles) et aux modalités d’exécution du travail (le contrôle sur le travailleur porte moins sur la façon dont est exécuté le travail que sur la réalisation d’objectifs), l’existence d’une relation de pouvoir, qui a justifié la création du droit du travail, n’est nullement remise en cause. Le pouvoir devient plus diffus, moins apparent, mais il est tout aussi réel ! Il faut seulement prendre acte que l’on passe progressivement d’un pouvoir qui s’exprimait classiquement sous la forme d’ordres et de directives à un pouvoir qui se concrétise en termes de contrôle et de surveillance.

Les changements qui viennent d’être évoqués ne nécessitent pas de réforme de grande ampleur, précisément parce que les juges français peuvent faire de la surveillance et du contrôle le critère clé du contrat de travail sans réforme législative. Mais on ne résoudra pas ainsi tous les enjeux liés aux nouveaux contours de la subordination.

Les défis de demain !

Premier défi, celui de l’autonomie.

Un nombre croissant de travailleurs, notamment ceux de la jeune génération, aspirent à l’autonomie dans leur travail et vivent négativement la perspective d’être subordonné. La clé, ici, est de dissocier autonomie et indépendance, la première pouvant se déployer au sein d’une relation de pouvoir marquée non plus par la subordination au sens classique du terme mais par le contrôle. Souvent autonome dans l’exécution de son travail, le télétravailleur n’est pas moins contrôlé puisqu’il doit pouvoir être joint par téléphone ou email à tout moment pendant ses horaires de travail, sans parler des logiciels de surveillance à distance des ordinateurs et téléphones portables. Si on admet qu’autonomie et salariat sont compatibles (on rappellera ici que le critère principal d’identification des catégories bénéficiaires du forfait-jours est précisément l’autonomie dans l’organisation du travail), une question essentielle pour l’avenir sera de renforcer l’autonomie des salariés quant au choix des modalités d’exécution du travail. Ce qui revient à leur accorder, comme c’est le cas au Canada ou encore au Royaume-Uni, des espaces de prise de décision quant au choix de leur lieu de travail, de leurs horaires, de leurs congés, etc.

Deuxième enjeu : reconnaître, aux côtés de la subordination, la dépendance économique.

Les contentieux autour des travailleurs d’Uber mettent au jour les déficiences de l’opposition binaire entre travail salarié et travail indépendant On se rappellera que la loi Travail a accordé un certain nombre de droits aux travailleurs du numérique (refus concerté ; syndicalisme) et d’obligations aux plateformes (responsabilité sociale ; assurance ; formation) ! Les pistes sont plurielles. Renforcer le statut des travailleurs indépendants pour le rendre plus attractif ? Inversement, assimiler ces travailleurs aux salariés, comme c’est déjà le cas pour les VRP ou les journalistes ? Créer une présomption de non-salariat (évidemment susceptible d’être renversée par la preuve d’un lien de subordination), ce qui apporterait peu car elle existe déjà pour les travailleurs immatriculés au Registre du commerce et des sociétés ou au Répertoire des métiers ou pour l’autoentrepreneur ou microentrepreneur ? Au-delà de la seule catégorie des travailleurs des plateformes numériques créer un troisième statut entre travail indépendant et travail salariés, celui du travail économiquement dépendant ? Tout concentrer autour de la – possible – requalification, avec des critères que les juges affineront au fil de la jurisprudence en accordant une place centrale au contrôle et à la surveillance ?

Troisième défi : l’identification de l’employeur.

L’époque où l’employeur était nécessairement celui inscrit sur le contrat de travail ou la fiche de paie est révolue ! Le phénomène de l’entreprise éclatée (groupes de sociétés ; sous-traitance ; réseaux de franchise, etc.) fait que l’identification du ou des employeurs est un phénomène complexe, qui oblige à scruter non plus simplement le lien de subordination mais aussi les centres de décision : qui prend les décisions concernant le salarié : la filiale ou la société mère ? Le donneur d’ordre ou le sous-traitant ? C’est ici la question du coemploi, de la responsabilité des sociétés mères et des donneurs d’ordre qui est posée, avec des mécanismes controversés – notamment le coemploi et le devoir de vigilance – qu’on ne peut rejeter ou appréhender de façon minimaliste au seul prétexte qu’ils seraient – prétendument – des freins pour l’investissement étranger en France.

(1) www.Uberlawsuit.com/Decision.pdf

(2) www.judiciary.gov.uk/wp-content/uploads/2016/10/aslam-and-farrar-v-uber-reasons-20161028.pdf