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Gare à la poudre aux yeux

Dossier | publié le : 07.06.2018 | Valérie Auribault

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Gare à la poudre aux yeux

Crédit photo Valérie Auribault

Législations obligent, bon nombre d’entreprises ont mis en place des outils pour améliorer la qualité de vie au travail. Mais attention, une salle de détente avec baby-foot ne peut se substituer à une bonne organisation du travail.

Dans les locaux de Renault à Velizy-Villacoublay, tout a été pensé pour améliorer le quotidien des salariés. Salle de sport, espaces avec poufs pour qui souhaite travailler en toute décontraction et au calme, ou encore baby-foot pour souffler entre deux appels de clients. Pour se ressourcer à la pause-déjeuner, un coin sieste a également été aménagé. Plusieurs pièces individuelles avec musique douce et lumières tamisées permettent de faire une pause pour repartir du bon pied. À l’instar de Renault, beaucoup d’entreprises, petites et grandes entreprises, ont misé sur le bien-être au travail. Conciergeries, distribution de fruits frais, ateliers cuisine, et même des toboggans au beau milieu du hall, chacune a sa recette pour rendre ses salariés plus heureux. Certes, l’article L 4121-1 du Code du travail oblige l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et psychique de ses employés. Mais l’Accord national interprofessionnel (ANI) de juin 2013 intitulé « Vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle », est venu conforter ce principe de base. But ? Favoriser l’accès à la qualité de vie au travail et à l’égalité professionnelle pour tous les salariés. Mais aussi prendre conscience des enjeux de la qualité de vie au travail à travers la qualité de l’emploi, du bien-être et de la compétitivité de l’entreprise, tout en facilitant les échanges avec les différentes parties en présence. Car un salarié heureux est plus productif, moins absent et force de proposition et d’implication. Mais là n’est pas la seule raison de l’intérêt des entreprises pour la fameuse QVT. Pour 59 % des Français, le bien-être au travail est jugé comme l’enjeu le plus important, selon une toute récente étude BVA pour Salesforce. Un bien-être ressenti différemment selon que l’on est un homme ou une femme. « L’inégalité est très forte entre les hommes et les femmes concernant le ressenti du bien-être au travail. Un écart en faveur des hommes qui se justifie certainement à cause des inégalités femmes-hommes dans le milieu professionnel », précise Élodie Brisset, co-fondatrice et psychologue sociale de OurCompany. Sur le Net ou via leur smartphone, les salariés n’hésitent plus aujourd’hui à noter leur entreprise sur les sites spécialisés. Gare aux commentaires négatifs qui nuisent à la réputation d’une société et incitent des salariés compétents à partir chez un concurrent mieux noté ou qui dissuadent des talents d’accepter un poste si l’entreprise renvoie une image peu attractive. Les palmarès des entreprises où il fait bon travailler se multiplient au point que certains voient, derrière les politiques de QVT, une logique marketing.

La forme et le fond

« Ces notations relèvent du social washing et de la communication », estime François Geuze, auditeur social. Un massage pendant la pause et dix minutes de sieste rendent-ils un salarié comblé ? « Les échanges entre collègues lors de repas conviviaux ou dans les espaces de jeux créent de l’appartenance. Le toboggan, la conciergerie, c’est sympa. Mais cela ne permet pas de traiter du fond : la qualité de vie au travail », met en garde Valérie Tran, présidente de Ariane Conseils. Pour beaucoup, ce nouvel ordre des choses est directement lié à l’évolution du travail et à la place qu’on lui réserve au sein de la société. D’autant que la sphère professionnelle empiète de plus en plus sur la vie privée. Et inversement. « Il faut se poser les bonnes questions, rappelle François Geuze. Pourquoi l’entreprise s’inquiète-t-elle du bien-être au travail de ses salariés ? Pour la recherche de la performance. Seulement, les choses sont moins claires que ce que l’on veut bien dire. Ces dernières années, on a fini par aboutir sur la tartufferie des chiefs happiness officer. Certes, certains font correctement leur job. Mais la livraison de pizza et le baby-foot ne sont que des paravents. Pendant ce temps-là, on n’évoque pas le travail qui abîme, qui casse. Tous ces services ne sont qu’un emplâtre sur une jambe de bois ». L’entreprise n’est pas une vaste cour de récréation. Logique de performance, logique commerciale, profits et rentabilité en demeurent les leitmotivs. La recherche du bonheur au boulot ne viendra jamais remplacer une solide organisation du travail. « L’accord interprofessionnel de 2013 représente le minimum syndical, estime François Geuze. Les entreprises qui s’intéressent vraiment à la question de la qualité de vie au travail avaient fait bien au-delà des recommandations de cet accord. Quant aux autres, elles font semblant de ne pas le voir ». Un sentiment partagé par Jérôme Vivenza, conseiller confédéral à la CGT : « L’accord impose une contrainte et lance une dynamique. Mais c’est tout. Tout dépend de la façon dont les dirigeants le font vivre et évoluer dans l’entreprise ». Pour d’autres, au contraire, l’accord a au moins le mérite d’exister. « C’est un accord gagnant-gagnant, selon Hervé Garnier, secrétaire national CFDT. La qualité de vie au travail engendre la performance. Du temps de l’ex-ministre du Travail, François Rebsamen, une loi ou une obligation était créée à chaque scandale. Résultat, nous nous sommes retrouvés avec 17 obligations à négocier en entreprise sans aucune cohérence globale. Il faut avoir une union transversale, partir de la réalité au niveau du salarié et voir les pistes de réflexion à mener avec un dialogue social de qualité. Mais changer les choses ne se fait pas du jour au lendemain. »

La responsabilité des managers

Adhérer aux valeurs de son entreprise, s’y sentir bien et apporter sa pierre à l’édifice passe davantage par les relations humaines. Aujourd’hui, bon nombre de dirigeants prônent l’horizontalité au lieu de la verticalité des rapports entre managers et collaborateurs. « Les PDG, les directeurs généraux, les chefs de service… tous se posent de plus en plus de questions sur leur propre rôle, constate Christophe Gotteland, conseil en développement durable et responsabilité sociétale. Qu’est-ce que le rôle de manager et comment s’y prendre ? Et quels changements opérer ? Ils y sont poussés par leurs équipes et les besoins d’évolution de chacun ». « Chacun a sa part de responsabilité, souligne Stéphane Bourbier, fondateur et dirigeant de OurCompany, qui a créé une application afin que chaque salarié puisse témoigner anonymement de son bien-être. Chaque collaborateur peut être acteur au sein de son service et être remercié pour son action. Les DRH et les managers doivent montrer leur reconnaissance. La transformation du rôle du manager s’opère petit à petit pour aller vers plus d’horizontalité, d’écoute et d’aide à l’accomplissement du travail. » À la question : « quelle personne booste le plus votre bien-être au travail », 76 % des personnes répondent qu’il s’agit d’une personne interne à l’organisation, selon une étude réalisée par OurCompany en février 2018 (33 % des collègues, 18 % le manager direct, 14 % soi-même). 63 % des salariés donnent un avis positif sur leur responsable féminin. 51 % pour leur responsable masculin. La qualité de vie au travail est intrinsèquement liée au rapport avec le manager, les collègues, le responsable RH. Des relations susceptibles d’améliorer les capacités d’accomplissement et la confiance en soi. « Le véritable épanouissement, c’est avoir un travail qui a du sens et permet de développer ses compétences et sentir que chacun a sa place dans l’entreprise », insiste Jérôme Vivenza. En matière de QVT, la disparition des CHSCT suscite, en tout cas, des inquiétudes. « La question de la santé au travail sera un sujet annexe au sein du comité social et économique. Et le dialogue social sera remis en cause. C’est un retour en arrière », déplore Jérôme Vivenza. « Le CHSCT était un endroit où l’on pouvait échanger. Le CSE n’a plus les mêmes droits, ni le même temps à consacrer aux débats. Les mécontentements vont s’accumuler jusqu’à exploser », prévient François Geuze. Au-delà des incertitudes liées à la réforme du Code du travail, les tendances de fond ne plaident pas toujours en faveur de la QVT. Les grandes écoles de management ne s’intéressent guère à la qualité de vie en entreprise. « Cela relève du comportemental, du savoir être, insiste Christophe Gotteland. Mais il est urgent de développer ces notions. » Et de sensibiliser l’ensemble du management.

Le bien-être au travail gravé dans la loi

Assurer une certaine qualité de vie au travail n’est pas une option pour les entreprises. C’est une obligation légale inscrite dans le Code du travail (art. L 4121-1). Cet article stipule que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. « Dans ces mesures, il y a les risques professionnels, notamment dans le secteur de l’industrie, souligne Maître Nicolas Lepetit, avocat au cabinet Bersay & Associés. Ainsi que les consignes à observer et les équipements de sécurité à fournir. » L’employeur adoptera les mesures pour prévenir les risques, les évaluer et les combattre avant qu’ils ne surviennent (art. L 4121-2).

Mais il adaptera aussi le travail au salarié (conception des postes de travail, le choix des équipements et des méthodes de travail et de production). Ceci afin de limiter la monotonie, le travail cadencé et leurs effets sur la santé. L’organisation, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants sont de la responsabilité de l’entreprise pour éviter les risques psycho-sociaux (stress, harcèlement, burn out, dépression). « La responsabilité des entreprises est engagée, poursuit Nicolas Lepetit. Concernant les risques psycho-sociaux, nous le constatons de plus en plus. Les salariés se sentent submergés par les objectifs à atteindre. On leur demande d’être productifs. Le marché du travail est tendu et les employés ont peur de perdre leur emploi. Les conditions de travail se dégradent. Et c’est le burn out voire le suicide dans les cas les plus graves comme on l’a vu à France Telecom ». Or, les entreprises doivent justifier de la pertinence de leur organisation. Actuellement, les tribunaux des Prudhommes ne reconnaissent pas systématiquement les entreprises responsables lorsque les salariés dénoncent un stress. Contrairement aux cours d’appel ou de cassation, moins en lien avec l’entreprise, et qui prononcent bien plus souvent une condamnation à l’encontre de l’employeur.

V.A.

Auteur

  • Valérie Auribault