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Idées

Ascension sociale : la revanche des marginaux

Idées | Livres | publié le : 07.05.2018 | Lou-Eve Popper

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Ascension sociale : la revanche des marginaux

Crédit photo Lou-Eve Popper

Norbert Alter analyse le parcours hors-norme d’hommes et de femmes devenus chef(fe)s d’entreprise malgré, et paradoxalement, grâce à leurs stigmates respectifs.

Tout le monde le sait : pour devenir patron aujourd’hui, mieux vaut être un homme blanc, hétérosexuel, de famille bourgeoise, bardé de diplômes et bien portant. Pour autant, dans certains cas, ne pas correspondre à ces normes rigides peut se révéler un atout pour accéder au pouvoir. C’est ce que montre, avec brio, Norbert Alter dans son nouveau livre, La Force de la différence. Après deux ans d’enquête auprès d’une soixantaine de personnes, le sociologue y raconte comment des patrons « atypiques », issus de minorités ethniques visibles, de sexe féminin, handicapés ou autodidactes, ont su user de leur « anormalité » pour s’imposer dans la caste des dominants.

Certes, leurs parcours sont semés d’embûches. Sans angélisme, Norbert Alter décrit ainsi la façon dont ces marginaux ont dû, au début de leur carrière de dirigeants, effectuer ce que la sociologie des professions nomme le « sale boulot ». Soit « des activités indignes, sans intérêt et sans valeur du point de vue de ceux qui exercent un métier, dont ils se débarrassent auprès des plus pauvres en statut ». Le sociologue relate aussi comment, arrivés aux portes du pouvoir, le statut de dominés leur a encore imposé de rester modestes, en refusant par exemple la paternité d’une innovation managériale ou bien en évitant de se montrer trop efficaces. « Changer de place sociale suppose ainsi, pour un différent, de ne pas bousculer de manière trop sensible la place des normaux », souligne ainsi l’auteur.

Cela étant dit, c’est ce statut d’exclus qui leur a permis, paradoxalement, de devenir des dirigeants hors pair, à la fois audacieux, droits, et très investis. N’ayant souvent rien à perdre et voulant à tout prix échapper à leur destin, ces patrons atypiques ont fait du risque un élément constitutif de leur vie et sont souvent reconnus comme des personnes courageuses. Parfois, c’est même la méconnaissance des risques encourus qui les ont poussés à les prendre. Reprenant une formule célèbre, une dirigeante déclare ainsi : « Je ne savais pas que c’était impossible donc je l’ai fait ». C’est cette même ignorance des conventions sociales qui les conduit à se préoccuper davantage de l’efficacité des processus que des jeux politiques. Toujours distants à l’égard du monde dans lequel ils évoluent, ces derniers ont su développer des capacités d’observation et d’écoute hors du commun pour éviter les faux pas. Plus empathiques que leurs pairs, ils sont ainsi devenus de redoutables négociateurs.

Enfin, ces patrons atypiques sont de merveilleux conteurs. Raison pour laquelle Norbert Alter a choisi, avec beaucoup d’élégance, de s’effacer derrière leur parole. De longs extraits d’entretiens leur sont ainsi consacrés, où l’auteur ne se permet de commenter leurs dires que dans un deuxième temps. Son analyse, d’une précision chirurgicale, est d’une clarté, d’une finesse et d’une intelligence remarquables. Chapeau bas !

Norbert Alter, La Force de la différence,

Puf, 332 pages, 13 euros

Auteur

  • Lou-Eve Popper