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Égalité salariale, les sanctions tardent à venir

Décodages | Législation | publié le : 07.05.2018 | Lou-Ève Popper

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Égalité salariale, les sanctions tardent à venir

Crédit photo Lou-Ève Popper

Depuis 2012, les entreprises condamnées pour non-respect de l’égalité salariale doivent être sanctionnées par des pénalités financières. Mais dans les faits, il n’en est rien.

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le Président de la République a annoncé vouloir publier la liste des entreprises sanctionnées pour non-respect de l’égalité salariale, dans une logique de name and shame (littéralement « nommer et blâmer »). « La stigmatisation fait changer les comportements », a ainsi souligné Emmanuel Macron. Mais en pratique, le Gouvernement se montre bien moins enclin à la transparence. Depuis trois ans, Julien Bayou et l’association féministe Les Effronté(e)s demandent à l’État de communiquer la liste des entreprises franciliennes condamnées pour non-respect de l’égalité salariale entre les sexes. Comme ses prédécesseurs, Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, a refusé de donner les noms des mauvais élèves en la matière. Une décision soutenue par la justice. Le 22 mars dernier, le tribunal administratif de Paris a en effet estimé que divulguer une telle liste reviendrait à « porter préjudice aux entreprises sanctionnées ». « C’est justement le but ! Les citoyens ont le droit de savoir », enrage Julien Bayou, qui rappelle que le Gouvernement avait autrefois dévoilé le nom des entreprises au comportement dommageable : entreprises sanctionnées pour délais de paiement trop longs, identifiées comme discriminantes à l’embauche (voir encadré). « C’est bien la preuve que l’égalité salariale entre hommes et femmes n’est pas une priorité », estime Fatima Benomar, porte-parole de l’association Les Effronté(e)s. Dans sa décision du 22 mars, le tribunal administratif de Paris a en effet précisé que la demande de voir publier cette liste ne « satisfait pas à un critère d’intérêt public ». Une honte pour Julien Bayou, qui compte très vraisemblablement se pourvoir en cassation.

Une sanction très peu appliquée.

Depuis l’entrée en vigueur du décret du 18 décembre 2012, toutes les entreprises de plus de cinquante salariés sont tenues de négocier avec les partenaires sociaux un accord d’égalité professionnelle ou, à défaut, de mettre en place un plan d’action fixant des objectifs de progression, des actions permettant de les atteindre et des indicateurs chiffrés. En cas de non-conformité, les entreprises ont six mois pour redresser la barre. Faute de quoi, ces dernières doivent être soumises à des pénalités financières pouvant atteindre jusqu’à 1 % de la masse salariale. Une sanction en réalité très peu appliquée… Au premier semestre 2016, 60 % des entreprises concernées étaient toujours hors-la-loi. Un chiffre qui a encore augmenté en 2017 pour atteindre jusqu’à 70 % de sociétés contrevenantes. Sans que personne ne s’en préoccupe. Depuis 2012, seulement 0,1 % d’entre elles se sont vue condamnées à payer, soit 135 entreprises. Comment expliquer que la loi soit si peu suivie d’effets ? Première raison : « Les inspecteurs du travail sont débordés. On leur demande depuis des années d’effectuer des missions toujours plus nombreuses, mais sans moyens supplémentaires », explique Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate du droit du travail spécialisée dans les discriminations. En mars dernier, le Gouvernement a en effet décidé de multiplier par quatre les contrôles sur l’égalité salariale, les faisant passer de 1 700 à 7 000 par an, sans pour autant recruter de nouveaux inspecteurs du travail. « C’est avant tout une question de priorité et non d’effectifs. Sur ce point, on est déjà au-dessus des normes de l’Organisation internationale du travail », a assuré Muriel Pénicaud devant l’Association des journalistes sociaux, le 15 mars dernier. Mais pour les syndicats, il s’agit d’une fausse bonne idée : « Il est particulièrement illusoire et hypocrite de prétendre renforcer les contrôles de l’inspection du travail en matière d’égalité professionnelle ou de lutte contre les violences faites aux femmes, dans un contexte de suppression aussi massive de postes : moins d’agents, ce sera en réalité moins de contrôles, sauf à surcharger des services déjà asphyxiés par le sous-effectif chronique », clame la CGT-TEP.

Autre raison pour expliquer l’inefficacité des sanctions : l’esprit accommodant des administrations régionales du travail : « Même quand on leur signale des manquements, elles nous opposent toujours une bonne raison pour ne pas sanctionner. On nous dit de ne pas embêter l’entreprise car elle est pourvoyeuse d’emplois dans la région ou bien qu’elle a fait des efforts mais qu’elle n’arrive pas à trouver du personnel féminin. En somme, c’est toute la chaîne administrative qui est déficiente », dénonce Dominique Maréchau (FSU). Contactée, la Direction générale du travail n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Obligation de moyens et non de résultats.

Face à des contrôles peu présents, les entreprises ne se pressent pas pour mettre la main à la pâte. « Elles cherchent avant tout à masquer la situation. C’est-à-dire à être conforme à la loi sans vraiment chercher à résoudre le problème. Alors elles signent de jolis accords avec des termes peu contraignants. Ce ne sont que des déclarations d’intention », tempête Emmanuelle Boussard-Verrecchia. Pour Fatima Benomar, les entreprises ont d’autant moins d’excuses que la loi prévoit seulement une obligation de moyens et non de résultats. « Ce n’est déjà pas très contraignant », soupire-t-elle. Sophie Binet, dirigeante confédérale chargée de l’égalité femmes-hommes à la CGT, s’inquiète même d’un assouplissement législatif en la matière : « Depuis la circulaire du 4 avril 2017, il n’est plus spécifié que les indicateurs chiffrés doivent être pertinents pour que l’accord puisse être validé. C’est pourtant ce qui avait permis à l’Inspection du travail de retoquer l’accord de la SNCF du 28 août 2015 », explique-t-elle.

Pour autant, signer un accord sur l’égalité professionnelle n’est pas toujours évident. Surtout pour les petites entreprises, sans service RH. D’après les chiffres de 2016 de la Direction générale du travail, 84 % des entreprises de plus de 1 000 salariés étaient couvertes par un accord, contre 34 % des entreprises de 50 à 299 salariés. Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle, appelle ainsi à plus de mansuétude à leur égard : « Que les choses soient claires : l’objectif d’égalité est essentiel pour les PME. Cependant, ce sont les plus pénalisées car elles ne sont souvent pas au courant de la législation ou alors pas suffisamment accompagnées par les services de l’État pour la mettre en œuvre. Pour qu’un accord sur l’égalité professionnelle soit valable, il est nécessaire de faire un état des lieux, car construire des objectifs chiffrés, ce n’est pas si simple. Parfois même, les entreprises rechignent à mettre des objectifs chiffrés dans l’accord de peur de ne pas les atteindre et d’être ensuite pénalisées. Il y a, enfin, dans les petites entreprises, l’urgence du carnet de commandes », plaide-t-elle. D’ailleurs, toutes ne sont pas de mauvaise foi. La preuve : lorsqu’elles reçoivent une mise en demeure, la plupart se mettent en conformité. Au 15 février 2016, 55,3 % des entreprises épinglées par l’Inspection du travail ont en effet régularisé leur situation avant d’avoir à sortir le carnet de chèque.

Pas la priorité pour les syndicats.

Et les syndicats dans tout ça ? Pour la CGT, il ne sert à rien de leur jeter la pierre. « Si nous ne signons pas les accords, c’est aussi que nous estimons qu’ils sont trop légers », se défend Sophie Binet. Cette dernière estime que la CGT fait d’ailleurs beaucoup pour sensibiliser et pour former ses militants sur le thème de l’égalité professionnelle. « Nous avons ouvert un site, egalite-professionnelle-cgt.com, où nous présentons avec pédagogie la législation en détail. Les militants peuvent trouver des guides pour mener leur négociation. C’est un vrai travail volontariste », explique la cégétiste. À la CFDT, on a moins de mal à faire son examen de conscience : « C’est vrai que l’égalité professionnelle n’est pas la priorité des organisations syndicales, toutes couleurs confondues. Nos équipes ont du mal avec ce sujet », reconnaît Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale CFDT en charge de la mixité, de l’égalité professionnelle et du juridique. Pour Emmanuelle Boussard-Verrecchia, la difficulté des syndicats à se préoccuper de l’égalité professionnelle n’est pas surprenante : « Les syndicats sont représentatifs du monde qui les entoure. Et puis, au vu de la faiblesse des moyens et du nombre de militants, la question de l’égalité professionnelle n’apparaît pas prioritaire. On s’intéresse d’abord à l’emploi », explique-t-elle.

Pour autant, la situation va peut-être évoluer. Le Gouvernement s’est donné pour objectif de supprimer d’ici la fin du quinquennat, le différentiel de salaire inexpliqué de 9 % entre les hommes et les femmes. « À partir de 2019, les entreprises vont devoir réagir pour réduire cet écart. Elles auront trois ans pour y mettre un terme. Après, ce sera la sanction. Sur ce point-là, on passerait ainsi enfin d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. L’obligation de moyens demeurerait sur tous les autres aspects de l’égalité professionnelle : embauche, formation, promotion, mixité des emplois, etc. », se réjouit Brigitte Grésy. D’ici là, le Gouvernement prévoit de mettre à disposition des entreprises un logiciel libre de droit intégré au système de paie, qui devrait aider les RH à combler l’écart salarial entre les sexes. Mais Emmanuelle Boussard-Verrecchia reste sceptique : « J’attends de voir les critères retenus pour évaluer cet écart. Pour vraiment prendre conscience des discriminations à l’œuvre dans une entreprise, il faudrait pouvoir regarder où en sont les hommes et les femmes embauchés au même âge et avec le même niveau de diplôme. C’est ce que nous avions recommandé dans le rapport Sciberras en mai 2015. Toutes les organisations syndicales étaient d’accord. Mais cet indicateur n’a jamais été mis en œuvre ».

Deux précédents

2015 : Bercy révèle le nom des cinq entreprises accumulant les plus gros retards de paiement (Numericable, SFR, Airbus Helicopters, Paul Prédault, Comasud)

2017 : Myriam El Khomri dénonce les discriminations à l’embauche pratiquées par AccorHotels et Courtepaille.

Pas d’égalité, pas d’argent public ?

Depuis la loi du 4 août 2014, les entreprises sanctionnées pour non-respect de l’égalité salariale sont interdites de soumissionner à des marchés publics. Mais encore faut-il les connaître ! François Damerval, élu écologiste au conseil régional d’Île-de-France, siège à la commission d’appel d’offres : « Personne ne sait si les entreprises qui candidatent sont hors-la-loi ou non. Le seul document à notre disposition est une déclaration sur l’honneur », témoigne-t-il. Une preuve bien maigre donc pour s’assurer de la bonne volonté des entreprises en la matière. Raison supplémentaire pour laquelle Julien Bayou et l’association Les Effrontées mènent aujourd’hui leur bras de fer en justice pour obtenir la liste des entreprises condamnées. Les plaignants ont reçu le soutien d’Élisabeth Roudy, première ministre des Droits des femmes. Dans une vidéo, l’auteur de la loi sur l’égalité salariale appelle solennellement le Président de la République à publier la fameuse liste. Malgré nos multiples demandes, le secrétariat aux Droits des femmes n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Auteur

  • Lou-Ève Popper