Et si la grève des cheminots, indépendamment de son impact sur le Gouvernement ou le quotidien des Français, était, à sa façon, un cas d’école pour le mouvement social du 3^e millénaire ? Une grève profondément actuelle, dans le sens où elle génère un traitement médiatique, mais aussi une accélération des formes de soutien et des « bénéfices collatéraux » encore impensables il y a quelques années. Le mouvement des cheminots est ainsi le premier du genre à être traité de façon aussi fréquente sous l’angle du désenfumage médiatique. Libération, comme le Monde, ont multiplié les articles orientés « check news », offrant à leurs lecteurs l’occasion d’obtenir des réponses garanties 100 % vraies à des questions comme : les cheminots ont-ils vraiment 10 ans d’espérance de vie de moins ? Est-il réellement plus facile de faire une grève à la SNCF que dans le privé ? Mais ce n’est pas le seul tropisme de ce mouvement : en moins de 15 jours, la cagnotte Leetchi de soutien aux cheminots, lancée à l’initiative d’un groupe d’intellectuels, a récolté plus de 500 000 euros. Si les mouvements sociaux n’ont pas attendu 2018 pour générer l’appui monétaire des sympathisants à leur cause, ce mode de récolte virtuel, aussi simple qu’efficace (un clic suffit à envoyer de l’argent à la cagnotte), bouleverse l’équilibre des forces en présence : il offre un sursis financier aux grévistes et leur permet ainsi de prolonger leur bras de fer avec le Gouvernement. Ce mouvement a également occasionné des « bénéfices collatéraux », à une vitesse foudroyante. Si le mouvement social de 1995 avait boosté l’auto-stop en France, c’est la compagnie Blablacar, en mettant à la vente son premier billet d’autocar un jour de grève – à peine deux semaines après la 1^re journée de débrayage cheminote ! – qui profite aujourd’hui de l’aubaine. Jamais un mouvement social n’avait en France fait bouger les lignes en matière de traitement médiatique, de collecte et de rebondissement de la concurrence de façon aussi rapide. En cela la grève des cheminots est pleinement ancrée dans son temps. Et assurément disruptive !