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Un aller-retour gagnant

Dossier | publié le : 06.04.2018 | Irène Lopez

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Un aller-retour gagnant

Crédit photo Irène Lopez

Partir travailler à l’étranger reste une condition nécessaire pour faire carrière au sein d’un groupe. Mais l’expatriation est une aventure pour le collaborateur, autant qu’un pari pour l’entreprise. Chaque partie prenante doit être sensibilisée à certains aspects avant de s’engager.

Parmi les quelque 1,8 million de Français inscrits au registre tenu par les consulats (en progression de 2,2 % en 2017 par rapport à 2016), beaucoup de salariés expatriés.

Mais si nos compatriotes sont toujours aussi nombreux à partir travailler à l’étranger, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Entre les salariés qui sont transférés par leur entreprise hors de l’hexagone avec un contrat français, ceux qui partent en mission, toujours avec l’accord de leur entreprise, mais avec un contrat local et ceux qui tentent leur chance en solo… il y a parfois un fossé. La voie royale de l’expatriation est le transfert : c’est le cas d’un salarié en mobilité au sein du groupe qui l’emploie. Ce sont surtout les grands groupes internationaux qui y ont recours : Siemens, Total, L’Oréal, Pfizer, Air France, Philip Morris…

L’Europe plébiscitée

Selon les chiffres officiels, les cinq premiers pays d’accueil restent les mêmes, avec dans l’ordre la Suisse (190 000 Français inscrits), les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne. 61 % de la communauté française inscrite réside dans l’un des pays du G20. De façon globale, la communauté française se répartit de la façon suivante : Europe (UE et hors UE) : 49 % ; Amériques : 20 % ; Afrique du Nord Moyen-Orient : 14 % ; Asie-Océanie : 8 % et Afrique et Océan indien : 8 %. Pourquoi partir ? Parce que c’est inévitable si l’on veut gravir les échelons dans son entreprise et, notamment, accéder à un poste de cadre dirigeant. Emmanuel Ségui est collaborateur du groupe Total en Argentine. L’expatriation, il connaît presque par cœur, depuis 2003 : Qatar, Congo, Hollande et Myanmar. À chaque fois, la promotion a été au rendez-vous : ingénieur, chef de l’ingénierie de forage, chef du forage et aujourd’hui, responsable du forage à terre.

Un formidable apprentissage

Eva Azoulay est vice-présidente RH chez L’Oréal au Canada. Elle habite Montréal depuis 3 ans et fait partie du groupe depuis 14 ans. Partir travailler à l’étranger a été une opportunité professionnelle qu’elle a saisie après avoir tenu un conseil de famille : « Si je partais, c’était accompagnée de mon mari et de mes deux jeunes filles. Il fallait donc que tout le monde soit d’accord pour tenter l’aventure. Surtout mon mari car c’est lui qui devait quitter son emploi et repartir de zéro au Canada ». Avant de partir, Eva Azoulay encadrait 4 personnes et gérait la politique RH de 300 personnes. En traversant l’Atlantique, l’équipe est passée à 20 personnes et le nombre de salariés suivis à 1 000. « Tout à coup, les responsabilités ne sont plus les mêmes. Je n’aurais pas pu les avoir en restant en France ! Quand je suis arrivée, ma mission était de reprendre la tête de l’équipe RH de la filiale Canada. Je supervise tous les aspects de la filiale : la formation, le recrutement… Développer des talents locaux fait également partie de ma feuille de route. » De fait, l’expatrié arrive avec une grande connaissance de l’entreprise, des outils, des méthodes, la culture et les valeurs qui lui ont été prodiguées au siège. C’est une personne qui va contribuer à moderniser la filiale et va faire en sorte que les équipes locales s’approprient les nouveautés.

L’expatrié va insuffler la vision stratégique du groupe. Mais il va aussi beaucoup apprendre. La VP RH L’Oréal Canada insiste : « Je vais apporter des choses mais je vais aussi beaucoup recevoir de la part des talents locaux. Travailler avec des cultures différentes (une dizaine de nationalités se côtoient dans les réunions au Canada) est un formidable apprentissage. Les voies de communication ne sont pas les mêmes. Cette expérience me fera revenir plus forte pour mes prochains challenges. »

Une valeur ajoutée à l’Organisation

Pour le groupe, l’expérience est tout aussi positive. Patrick Hamel est Global VP of Corporate HA services L’Oréal. Il est le « patron expatriation ». Le groupe industriel français de produits cosmétique compte 1 045 expatriés. Tous les ans, Patrick Hamel gère entre 300 et 350 nouvelles missions d’expatriation. À la question de savoir s’il envoie plus ou moins de salariés à l’étranger, il botte en touche : « Nous ne raisonnons pas en hausse ou en baisse du nombre de missions. Nous cherchons une politique d’expatriation légitime. Nous souhaitons que nos mouvements d’expatriation répondent à une ambition RH. Pour asseoir la stratégie d’expatriation, il faut se demander si cela va apporter quelque chose à l’intéressé(e), si nous allons lui offrir la possibilité de devenir un leader en le confrontant à des mondes différents et acquérir une compétence internationale. Très concrètement, pour l’expatrié, il s’agit d’une opportunité de carrière ».

Les « bienfaits » de l’expérience ne sont pas à sens unique, loin s’en faut. L’expatriation apporte également de la valeur ajoutée à l’entreprise. Pour Emmanuel Ségui, responsable du forage à terre chez Total Argentine, « beaucoup de nationaux travaillent dans nos filiales. Mon rôle est d’uniformiser les manières de travailler. Il faut respecter le standard de Total. Nous avons une approche et une gestion des risques qui sont partagées avec tous les collaborateurs. De plus, Total est garant d’une éthique, d’une déontologie. Se passer d’expatriés, à long terme, serait risqué. On ne fait pas tourner une entreprise d’un pays avec des équipes uniquement locales. Tôt ou tard, l’intérêt de l’entreprise passerait au second plan. Il faut des expatriés pour « garder le contrôle ». Mais pas forcément des Français, ils peuvent venir d’autres filiales, du moment qu’ils ont montré leur alignement sur les valeurs de Total ».

Des irritants exacerbés à l’étranger

Quant au choix du candidat à l’expatriation, rien n’est laissé au hasard. « Son talent et son potentiel sont tout d’abord identifiés. Il n’y a pas de test formel mais plutôt des discussions informelles au sein des RH, ajoute Patrick Hamel. Sa capacité à intégrer la culture du pays est analysée. Quelqu’un qui refuserait d’apprendre la langue du pays se mettrait en difficulté. » Autrement dit, ce serait rédhibitoire. Les expatriés doivent maîtriser la langue de leur pays d’accueil. C’est une condition d’intégration et d’efficacité. C’est dans le contrat signé entre L’Oréal et le salarié. Patrick Hamel, pragmatique, confie : « Partir en Russie sans parler russe est compliqué. Avant le départ, le collaborateur est formé à la langue du pays. À l’arrivée, sa famille et lui bénéficient de stages de familiarisation à la langue du pays. Certes, c’est plus compliqué au Kazakhstan qu’aux États-Unis. » Ce pays est la première des destinations d’expatriation des salariés de l’Oréal puisque c’est précisément aux USA que se situe le siège de la zone américaine. Viennent ensuite Hong Kong (le siège de la zone Asie), la chine, le Japon, le Mexique… puis l’Europe.

Une expatriation réussie se prépare. Plus elle l’est en amont, mieux se déroule l’expérience. Alix Carnot est directrice du pôle carrières internationales chez Expat Communication. Elle accompagne aussi bien les entreprises que leurs collaborateurs. Pour elle, « le succès d’une expatriation se joue à la préparation. Elle est fondamentale. Il faut que l’entreprise laisse aux collaborateurs le temps de s’organiser. Une mutation le 15 août pour une prise de poste le 1er septembre ne peut pas être vécue sereinement. Nous conseillons aussi au responsable mobilité du groupe de ne pas survendre l’expérience. Inutile de préparer des cartes postales ni de vanter le soleil de la destination. À partir du moment où le salarié est d’accord, il n’y a pas besoin d’en rajouter. En cas d’attentes trop fortes de la part de l’expatrié, la désillusion peut être au rendez-vous ». Alix Carnot a dû ainsi gérer le mécontentement d’un collaborateur à qui l’entreprise avait promis un appartement composé de 3 pièces et qui n’en comporte que 2. Et si, en plus, le logement est infesté de cafards… Le ou la responsable mobilité en prend pour son grade. Accompagner les expatriés est stressant. « Les gens se plaignent tout le temps. À l’étranger, les irritants sont vécus mille fois plus intensément. C’est pourquoi tous les responsables mobilité de la place de Paris ont suivi une de nos formations pour être aguerris à tout type de situation inhérent aux missions d’expatriations. » Et un dossier d’expatriation comporte beaucoup de chausse-trappes…

Un point clé : la couverture santé

La protection sociale du collaborateur en poste à l’étranger est un élément essentiel de l’expatriation, mais souvent négligée par méconnaissance. La Caisse des Français de l’étranger (CFE), la Sécurité sociale des expatriés français, est facultative : les salariés français à l’étranger peuvent faire appel à un assureur privé quand ils ne sont pas obligés de souscrire à celle en vigueur dans le pays d’accueil. Elle est cependant fortement recommandée car elle permet de prolonger le système de Sécurité sociale français. Car lorsqu’un salarié français part travailler à l’étranger, sa carte Vitale est désactivée. « Il est même incité à la “déchirer”, ce qu’aucun expatrié ne fait, convaincu (à tort) de pouvoir la réutiliser à son retour », affirme Laurent Gallet directeur de la CFE. La Caisse prend en charge l’assuré selon les mêmes règles que la Sécurité sociale. Il convient donc, comme dans l’Hexagone, de souscrire à une complémentaire de santé. C’est au salarié de faire ces démarches et non à l’entreprise. Près de 200 000 Français sont adhérents de la CFE. La plupart des collaborateurs de grands groupes comme Total ou Bouygues en font partie. La CFE est reconnue comme une institution de la République au service des Français au même titre que les consulats et les écoles françaises. Elle n’est pas une entreprise commerciale même si ses comptes financiers doivent être à l’équilibre. « Nous couvrons dans le monde entier, avec une même cotisation. Nous ne faisons pas de sélection à l’entrée. Et nous n’opposons pas de limite d’âge », souligne Laurent Gallet, le directeur de la Caisse des Français de l’étranger. De quoi rassurer tous ceux qui sont tentés par une expérience professionnelle à l’étranger.

Auteur

  • Irène Lopez