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L’expérience collaborateur aux petits soins pour les salariés

Décodages | Numérique | publié le : 06.04.2018 | Gilmar Sequeira Martins

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L’expérience collaborateur aux petits soins pour les salariés

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Calquées sur la fameuse « expérience client », les démarches d’expérience collaborateur veulent simplifier et améliorer les parcours des salariés en leur laissant plus d’initiative. Mélange de lâcher prise et de pilotage collectif, elles restent l’apanage d’une avant-garde d’entreprises innovantes. Leur impact sur la marque employeur pourrait cependant en faire une nouvelle norme.

C’est bon, vous avez le poste ! Dans moins d’un mois, vous commencez à travailler dans cette boîte qui vous plaît tant. Le téléphone sonne. C’est Erwann, votre futur manager. Il veut vous souhaiter la bienvenue et vous envoyer des infos pratiques. Un mail arrive avec une photo de toute l’équipe arborant un large sourire et brandissant une pancarte : « Bienvenue Paul ! » Sous la photo, quelques mots : « On t’attend dans trois semaines, le lundi 23 avril à 9 h 30. Cravate pas utile. Ci-joint l’agenda de ton premier jour. Et le plan d’accès. Si besoin de plus d’infos, un mail ou un coup de fil. Bonne journée ! »

Une scène de feuilleton, genre « Caméra café » ? Pas vraiment car ce scénario se déroule déjà chez Orange. « Comme nous avons un parcours client, nous avons un parcours salarié, explique Sophie Cléjean, directrice expérience salarié et marque employeur de l’opérateur télécom. Nous l’avons co-construit grâce à des focus groupe organisés en 2015. » Ce processus a fait émerger deux dimensions clé de la vie des collaborateurs : le parcours professionnel et le quotidien de travail, chacun d’eux jalonné par huit étapes. Ce cheminement répond à un objectif stratégique : concrétiser la promesse du groupe – « être un employeur digital et humain » – auprès de chaque collaborateur.

La dimension humaine prend la forme d’échanges réguliers, qui commencent avant l’arrivée du nouveau collaborateur, puis se poursuivent par un accompagnement appuyé le premier jour, avec notamment la découverte de l’équipe, des locaux, des outils. Les mois suivants sont ponctués de rencontres avec le manager et le responsable RH afin d’éclairer le nouveau venu sur les possibilités de développement professionnel que lui offre le Groupe.

500 « producteurs de services ».

Ce parcours se double d’une offre digitale qui a aussi pour ambition de faciliter le quotidien du collaborateur et de le rendre plus agréable. Orange compte ainsi déjà 500 « producteurs de services ». Formés aux grands principes du marketing, ils proviennent des RH, de l’informatique, de la logistique, des achats ou du secrétariat général du Groupe.

Ce sont eux qui imaginent et créent les « services » mais ils ne sont pas pour autant livrés à eux-mêmes et sont impliqués dans une logique de co-construction. « Nous impliquons les salariés dès la définition du service, explique Sophie Cléjean. Nous les écoutons pour comprendre leurs attentes et mettre en place les actions prioritaires. Nous utilisons différentes techniques d’écoute comme les focus groupe, les sondages, les forums virtuels. » Les « producteurs de service » ont déjà mis au point une cinquantaine d’applications, disponibles dans un Appstore interne, pour consulter l’annuaire interne, poser des congés ou gérer des périodes de télétravail occasionnel. Pour simplifier encore le quotidien, Orange a lancé le e-bulletin de paie, la signature électronique et un service d’auto-partage. C’est le comité marketing groupe qui a été chargé de canaliser cette effervescence. Chaque mois, il passe en revue les projets proposés par les « producteurs de services » et accorde ou pas un feu vert. Pour passer la rampe, il faut réunir trois conditions. « Un projet doit rassembler les caractéristiques suivantes : la simplicité, la sécurité, la connexion, la personnalisation et un bon SAV », explique Sophie Cléjean. Une évaluation continue de la satisfaction des utilisateurs vient compléter le dispositif.

Mettre en regard les expériences client et collaborateur est devenu une nécessité, estime Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH : « L’expérience client doit être faite en lien avec celle des collaborateurs. Il arrive que les possibilités ouvertes au client dépassent celles dont dispose le collaborateur, qui ne peut plus faire ce que lui demande le client avec les outils dont il dispose. Dans une telle situation, l’expérience collaborateur n’est pas satisfaisante. Les deux expériences doivent donc avancer de concert. »

En mode « apprentissage ».

Michelin a également pris à bras-le-corps l’expérience collaborateur avec le projet We@Work, qui doit faire émerger de nouvelles façons de travailler. Premier axe, We@Work Lab a pour but de faire découvrir de nouveaux modes de travail à travers des ateliers réalisés durant des journées dédiées. « Ce sont des moments qui font appel, par exemple, au design thinking, à la facilitation graphique, ou au legos serious, explique Delphine Girault, pilote de l’équipe responsabilisation qui fait partie de la direction RH. Cela met les participants en mode “apprentissage”, ce qui stimule leur créativité. Les personnes sortent de leur posture habituelle et se mettent à collaborer, à échanger. Les collaborateurs constatent les bénéfices réels et les transposent dans leur quotidien. Cela permet de faire émerger de nouvelles façons de travailler. » Ce premier axe a aussi pour ambition de repérer les idées innovantes, ou « pépites internes », et de les valoriser. En 2017, un jeu vidéo élaboré par trois collaborateurs a plongé son utilisateur au beau milieu d’une gestion de crise industrielle. Le second axe, baptisé We@Work Connect, vise à apporter aux collaborateurs un environnement digital adapté à leurs besoins.

Quant au troisième, We@Work Space, il est l’aboutissement des deux premiers : « Les deux premiers axes nous ont fait prendre conscience qu’un nouveau type d’espace de travail était nécessaire. La responsabilisation, les nouvelles méthodes de travail et le digital ont un impact sur l’espace de travail. Pour le reconfigurer, nous accompagnons les équipes qui peuvent s’appuyer sur l’expertise d’architectes d’intérieur, d’ergonomes, d’acousticiens pour concevoir de nouveaux espaces. Plusieurs actions sont menées, dont une refonte des espaces de travail du siège », indique Delphine Girault.

Le dispositif fonctionne comme un écosystème ouvert puisque des applications externes peuvent y prendre place, toujours dans le but d’améliorer l’expérience des collaborateurs. Ils ont ainsi accès à Random Lunch, une application qui permet de déjeuner avec des collègues qu’ils ne connaissent pas, ou Comeet, qui permet de réunir des collègues qui veulent partager des activités conviviales. « Le but de ces outils est de contribuer à créer une dynamique collaborative », résume Delphine Girault. Un réseau d’une quarantaine de correspondants « change and enpowerment » accompagne les changements sur les différents sites, à travers différentes modalités : information, formation, réflexion et proposition de refonte des modes de travail selon les besoins détectés.

Un impact sur la marque employeur.

Dans les deux groupes, les résultats semblent déjà au rendez-vous. « Aujourd’hui, 89 % des salariés se déclarent fiers de travailler chez Orange et 83 % recommandent Orange comme une entreprise où il fait bon travailler », détaille Sophie Cléjean. Chez Michelin, l’efficacité du dispositif est mesurée grâce à la réduction du temps de réalisation des projets ou l’émergence des réseaux qui améliorent la collaboration entre collaborateurs. Une étape décisive est en passe d’être franchie, selon Delphine Girault : « Nous sommes en train de finaliser un projet d’entreprise centré sur l’expérience collaborateur. L’enjeu est de fluidifier les parcours et de donner plus de cohérence transverse. » De telles démarches ne se cantonnent pas aux grandes entreprises. Technologia, cabinet spécialisé dans la prévention des risques fort d’une vingtaine de collaborateurs, s’est aussi essayé à l’exercice. Jean-Claude Delgenès, le directeur général, insiste particulièrement sur les rencontres du « vendredi après-midi » : « Les équipes se réunissent pour évoquer différents cas afin de croiser les regards et de tirer des enseignements utiles du traitement des dossiers. C’est un processus qui nourrit les métiers et les compétences tout en évitant la banalisation qui procède du traitement habituel. C’est utile pour les collaborateurs qui affinent leurs outils et leurs méthodes, mais aussi pour les clients, qui sont les bénéficiaires de cette augmentation générale des qualifications. »

Inaccessible singularité ?

Co-fondatrice de Resonance Coaching et auteure du livre « L’expérience collaborateur », Corinne Samma en pointe cependant les dangers : « Les initiatives éparses non rattachées à la mission de l’entreprise et dénuées de sens ne produisent pas un impact d’ensemble, concret et visible. L’autre écueil est de ne pas aller au bout des initiatives ou de ne pas outiller suffisamment le processus de sorte que la mesure de l’impact n’est pas possible. » Des écueils qui menacent la quasi-totalité des entreprises. Selon Corinne Samama, 80 % d’entre elles n’ont arrêté aucune stratégie quant à leur expérience collaborateur. Si elles passent outre la peur du changement, elles pourront s’appuyer sur un atout clef : les jeunes salarié(e)s. « Ils font pencher la balance vers une expérience plus horizontale et participative car ils sont déjà dans une culture de “communautés” qui passe outre le “control & command” traditionnel ».

Favoriser des modes de travail plus collaboratifs et transversaux comporte aussi un autre risque rarement anticipé, selon Jean-Claude Delgenès : « De tels dispositifs disséminent beaucoup d’informations or un collaborateur peut partir chez un concurrent. Au départ, je ne me posais pas la question puis je me suis aperçu que des informations avaient fuité. Depuis, nous sommes plus vigilants lors du recrutement. Nous insistons sur la loyauté et le contrat de travail est plus protecteur des données de l’entreprise. »

L’expérience collaborateur va aussi devoir surmonter un autre obstacle, estime Denis Maillard, co-fondateur de Temps Commun, cabinet de conseil aux entreprises : « Elle engage une démarche d’hyper-individualisation, dont l’horizon serait de faire vivre à chacun une expérience unique, alors qu’il est impossible aux managers et aux RH de tenir compte dans la réalité de la singularité propre à chaque collaborateur. Pour que l’entreprise reste une communauté, il faudra trouver des moyens de modérer les attentes singulières afin de réaliser les tâches communes. »

Une aventure qui ne fait que commencer.

Avec la libération des initiatives, la diversité des situations de travail et la singularité des individus vont connaître des évolutions constantes et difficiles à anticiper. L’expérience collaborateur pourra-t-elle s’adapter à ce changement permanent ? Bertrand Dalle, directeur général de Conseil et Recherche, lui prédit pourtant un avenir, « sous forme de valeurs plutôt que sous forme de process ». L’aventure de l’expérience collaborateur ne fait que commencer !

Quelle place pour le dialogue social ?

Quel sera l’impact de l’expérience collaborateur sur le dialogue social et sur le rôle des organisations syndicales ? « Ces évolutions vont-elles prendre place dans ce cadre ou alors va-t-on entrer dans une dimension purement individuelle de la satisfaction du client interne qu’est le collaborateur ?, s’interroge Denis Maillard, co-fondateur de Temps Commun, cabinet de conseil aux entreprises. Dans ce cas, le syndicalisme n’aurait plus de place ou alors seulement en cas “d’insatisfaction” du client/collaborateur. On s’orienterait alors vers un syndicalisme de service qui aurait pour enjeu la correction de l’insatisfaction du collaborateur ». À un syndicalisme de type « tour operator ». Sans être ouvertement opposé aux projets qui se lancent sous l’égide de la notion d’expérience client, Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT, affiche une grande réserve sur le sujet : « Nous préconisons la prudence vis-à-vis de cette notion d’expérience collaborateur et les expérimentations auxquelles elle donne lieu. Il faut de la stabilité, procéder par expérimentation localisée. C’est le préalable d’une bonne transformation numérique des organisations. Or dans beaucoup d’organisations, c’est le changement permanent pour aboutir à une réduction du nombre de postes et faire augmenter la productivité. Ces changements subis amènent du surtravail et nuisent à l’efficacité. »

Les conditions pour réussir

Il faut d’abord se poser une question simple, explique Corinne Samama, co-fondatrice de Resonance Coaching : « Quelle aventure veut-on faire vivre aux collaborateurs ? » Qui doit répondre à cette interrogation ? Compte tenu de sa dimension stratégique, c’est au sein de la direction générale qu’elle doit être débattue et tranchée. Des exemples marquants peuvent nourrir la réflexion. « Airbnb est un cas d’école, note Corinne Samama. Leur ambition est que les collaborateurs se sentent dans l’entreprise comme chez eux, d’où la disposition si singulière des locaux puisqu’ils ressemblent à des appartements, mais aussi l’importance donnée aux rituels communs pour créer une vie en communauté. » La direction RH joue un rôle d’initiateur du processus mais elle ne doit pas rester isolée, prévient Corinne Samama : « Il faut rapidement réunir autour de la table d’autres directions, en particulier la communication et le marketing, qui est déjà rodée à l’expérience client, afin que l’expérience collaborateur prenne toute sa dimension. » Cette rencontre doit accoucher d’une structure de pilotage et de suivi. « C’est indispensable pour établir la cartographie des moments clefs de l’expérience collaborateur mais aussi tester les idées et mesurer leur impact. Les entreprises digitales et les grands groupes sont privilégiés car ils ont les moyens de faire des enquêtes, de comparer le ressenti des collaborateurs avec l’impact réel des propositions et d’établir un lien avec la performance, comme l’impact sur les ventes. » Reste à lancer la machine. Comme il est impossible de faire basculer en bloc l’ensemble de l’entreprise, il faut créer un noyau dur de volontaires qui souhaitent proposer des idées, puis le faire grandir au fil du temps. Un processus dont la pérennité repose sur une mécanique délicate, avertit Corinne Samama : « La réussite du processus tient à l’efficacité de l’arbitrage qui sera mis en place. Chaque idée doit correspondre à la mission de l’entreprise mais aussi apporter une amélioration à l’expérience collaborateur et à l’expérience client. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins