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À quoi servent les réseaux féminins ?

Décodages | Management | publié le : 06.04.2018 | Lou-Ève Popper

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À quoi servent les réseaux féminins ?

Crédit photo Lou-Ève Popper

Désormais, les réseaux professionnels féminins apparaissent dans toutes les grandes entreprises. Une aubaine pour les salariées, cadres en majorité, mais aussi pour les directions, qui peuvent s’en servir pour valoriser leur image. Sans que cela leur coûte cher.

Voilà déjà plus de quinze ans que les réseaux professionnels féminins ont connu un boom en France. Réseaux d’écoles, réseaux sectoriels, réseaux par profession, leur nombre n’a cessé d’augmenter, passant au cours de la dernière décennie, de 200 à 600. « Mais ce sont les réseaux féminins d’entreprise qui ont le plus explosé ces cinq dernières années », assure Emmanuelle Gagliardi, co-auteure avec Carole Michelon de l’ouvrage « Réseaux au féminin » (Éditions Eyrolles, 2013). Rendre les femmes visibles auprès des décideurs, leur redonner confiance en elles, leur permettre de s’épauler dans les moments difficiles, partager des expériences ou encore challenger les services RH sur l’équilibre des temps de vie… Tels sont les principaux objectifs de ces réseaux féminins d’entreprise, particulièrement présents dans les grands groupes. Pour Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle, ces réseaux sont bien des « outils extraordinaires de promotion des femmes ». La preuve, chez General Electric, Aline Aubertin, directrice des achats, assure que le « Women’s Network » l’a aidée à progresser dans sa carrière : « À chaque fois que j’ai voulu changer de poste, le réseau m’a permis de savoir quelle personne pouvait avoir une influence sur la décision finale ». Julia Dionisi, membre du réseau WAAG (Women At Accor Generation) au sein du groupe AccorHotels, témoigne elle aussi : « C’est grâce à mon mentor que j’ai réussi à avoir suffisamment de confiance en moi pour briguer le poste de directrice d’hôtel ».

Investies mais seules.

Seulement voilà, toutes les femmes ne bénéficient pas d’un réseau actif. Dans certains groupes du CAC 40, certains réseaux ne sont que des vitrines. C’est par exemple le cas du réseau féminin Twice (Total Women’s Initiative for Communication and Exchange) chez Total. Créé en 2007, il s’est donné pour objectif de « contribuer au développement professionnel des femmes de Total », comme il est précisé sur son site. Mais dans les faits, la réalité est un peu différente. Denise*, investie dans le réseau, dresse un bilan plus que mitigé : « L’intention est bonne, la notoriété du réseau est là mais les moyens donnés pour faire évoluer le groupe sur le sujet sont limités. Twice c’est beaucoup de communication mais peu de directives et pas de feuille de route. Pour faire progresser la cause de la mixité, nombreuses sont les salariées qui souhaiteraient voir des chiffres publiés, ce qui n’est toujours pas le cas », souffle-t-elle.

Chez Twice, les membres du réseau, qui sont en réalité très peu identifiables, n’ont que très exceptionnellement des contacts. « Je n’ai aucune visibilité sur les actions des autres animateurs, si ce n’est sur l’Intranet dédié. Le seul suivi se résume à une conférence téléphonique tous les trimestres en anglais avec les représentantes Twice dans le monde entier. J’entends parler des initiatives prises au Gabon, à Singapour ou au Cameroun et je dois ensuite évoquer les nôtres. Les problématiques sont tellement différentes que ça n’a pas beaucoup de sens », explique-t-elle, plutôt désabusée. Fin 2017, le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, avait pourtant prononcé un discours fort sur la nécessité pour l’entreprise pétrolière de s’engager en faveur de la mixité. Mais depuis, plus rien. « L’entreprise ne communique pas en interne sur le sujet, pas plus qu’elle ne sensibilise les cadres supérieurs du Groupe sur la lutte contre le sexisme. À l’heure actuelle, je pense que nous sommes plusieurs volontaires investies à se sentir bien seules pour faire bouger les lignes ». Un sentiment de solitude encore renforcé par la difficulté à échanger avec la tête de réseau, faute d’interlocutrice stable : les intermédiaires sont souvent des stagiaires qui changent très fréquemment.

Pas de temps ni de moyens.

La plupart du temps, les réseaux féminins d’entreprise ne disposent pas d’une équipe permanente. Les salariées doivent animer le réseau bénévolement, en dehors de leurs temps de travail. C’est le cas notamment chez Casino, au sein du groupe BPCE ou encore chez General Electric où, rappelle Aline Aubertin, « toutes les femmes du réseau ont les deux pieds dans le business ». « Très peu d’entreprises laissent les femmes prendre deux jours dans la semaine pour s’occuper du réseau. Elles doivent garder leurs mêmes objectifs », rappelle Corinne Hirsch, co-fondatrice du laboratoire Égalité et directrice du cabinet de conseil Aequiso, spécialisé dans la politique égalité femmes-hommes dans l’entreprise. Résultat, les animatrices préfèrent parfois ne pas trop s’engager pour éviter d’être pénalisées dans leur travail.

Outre le temps, les femmes manquent aussi de moyens pour animer le réseau. « La plupart des réseaux n’ont pas beaucoup de budget, explique Corinne Hirsch. Mais ce n’est pas de la malveillance de la part des dirigeants. C’est simplement qu’ils ne rendent pas forcément compte de ce que cela implique. Pour eux, il y a un réseau, c’est déjà bien. Et les femmes se satisfont de ça aussi. Elles sont toujours dans la logique du don et n’osent pas demander des budgets aux RH pour les initiatives. »

Le volet « coaching personnel », pourtant essentiel pour permettre aux femmes de prendre des responsabilités dans l’entreprise, est donc parfois réduit à la portion congrue. Chez EDF notamment, le nombre des sessions de formation à la prise de parole en public destinées aux femmes est considéré comme largement insuffisant. Yasmina, ingénieur d’affaires au sein du fournisseur d’électricité, est membre du réseau « Énergie de Femmes » depuis 3 ans. Pourtant, elle n’a pas encore réussi à assister à une seule formation. « Elles sont prises d’assaut. Les premières arrivées sont les premières servies », explique-t-elle.

Parfois instrumentalisées.

Si les directions rechignent à financer les réseaux féminins, elles sont en revanche tout à fait disposées à les utiliser à des fins de rentabilité. « Les entreprises ont compris que toute minorité pouvait être une force de proposition innovante. Elles se sont donc appuyées sur ces réseaux pour développer des thèmes business et marketing » explique Emmanuelle Gagliardi. Chez PSA, le réseau a ainsi été sollicité pour plancher sur la conception de voitures plus féminines, raconte Laure Jouffrai, présidente du réseau Women engaged for PSA. Une aberration selon Brigitte Grésy : « Ce n’est pas aux femmes du réseau de réaliser ce travail-là mais aux commerciaux ! » affirme-t-elle. Pour la consultante Corinne Hirsch, transformer un réseau de femmes en think tank est plus que problématique : « C’est la double peine. Les femmes des réseaux sont déjà bénévoles et en plus elles apportent du conseil », déplore-t-elle.

Les opératrices, elles, sont encore à l’abri de ce type de sollicitation. En effet, les réseaux peinent encore à s’ouvrir aux femmes non-cadres. Chez PSA, Laure Jouffrai assure que le réseau s’est, depuis peu, engagé dans cette voie. Mais la réalité l’a contredit quelque peu. Contactée, Aurore Métais, ouvrière depuis dix ans dans l’usine de Sochaux de PSA et représentante syndicale CGT à la commission égalité hommes-femmes nous confie « n’avoir jamais entendu parler de ce réseau ». Pour elle, le « roman officiel servi par la direction » ne colle pas avec l’expérience du terrain. « Le réseau affirme sur son site vouloir faire progresser toutes les femmes mais ce n’est pas le cas. Dans les usines, les ouvrières ne peuvent même pas devenir chef d’équipe. Il faudrait qu’elles puissent occuper tous les postes sur la ligne de montage. Or ces derniers sont faits pour les hommes. Elles ne peuvent pas tenir la cadence », explique-t-elle. Comble du paradoxe, les agences d’intérim elles-mêmes expliqueraient aux candidates à l’embauche que PSA n’embauche pas de femmes pour ce type de poste.

Pour l’heure, les réseaux féminins d’entreprise restent majoritairement créés par et pour des cadres. Il est vrai que fédérer l’ensemble des femmes d’un grand groupe représente un sacré défi. Mais le temps est venu, assure Brigitte Grésy. « Il faut maintenant que les réseaux de femmes tendent la main aux non-cadres, à celles qui n’ont pas le temps ni les moyens d’en créer un elles-mêmes ». À bon entendeur…

Un critère qui compte dans la notation sociale

En septembre dernier, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité hommes-femmes, Marlène Schiappa, a convoqué les dix entreprises les plus mal notées du palmarès Ethics and Boards 2016 sur la féminisation des instances dirigeantes des entreprises du SBF 120. Au programme ce jour-là : une séance de sensibilisation sur l’égalité professionnelle. Soit la mise en pratique de la tactique du « name and shame » (« nommer et faire honte ») promis par le candidat Macron pour pousser les entreprises récalcitrantes à faire des efforts.

Parmi les mauvais élèves conviés au Ministère, Nokia, qui ne digère pas cette humiliation publique. D’après l’entreprise de téléphonie mobile, le cabinet Ethics and Board aurait en effet oublié son réseau de femmes, StrongHer, ce qui lui aurait fait perdre une dizaine de places.

Depuis sa création en 2013, le baromètre évalue en effet l’égalité dans les entreprises selon des critères quantitatifs – la part de femmes dans le top management ou dans les conseils et… l’existence d’un réseau de femmes. De quoi, peut-être, pousser les entreprises à en créer. « Plusieurs l’ont déjà fait » assure Corinne Hirsch, sans pour autant révéler de noms. Le nombre d’entreprises du SBF 120 ayant déclaré au moins un réseau de femmes lors du palmarès a en effet bondi, passant de 44,2 % à 64,2 % en 2017. Une coïncidence troublante.

L’histoire des réseaux féminins

1900 : Les femmes se regroupent dans des réseaux de charité

1920 : Naissance de l’Association française des femmes diplômées des universités (AFFDU)

1929 : Création de l’Union féminine des carrières libérales et commerciales (UFCLC)

1945 : Création de l’Association femmes chefs d’entreprise (FCE)

1964 : Création de l’Union internationale des femmes architectes (UFA) après que Solange d’Herbez de la Tour s’est vu refuser le droit de se présenter un concours d’architecte

2000 : Les femmes issues de grandes écoles de commerce fondent leurs propres réseaux dans les entreprises où elles sont embauchées (IBM, France Télécom…)

* Le prénom a été modifié

Auteur

  • Lou-Ève Popper