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Les recettes des entreprises qui recrutent

À la une | publié le : 06.04.2018 | Judith Chétrit

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Les recettes des entreprises qui recrutent

Crédit photo Judith Chétrit

Malgré un taux de chômage de 8,6 %, presque 10 % des offres d’emploi ne trouvent pas preneur. En cause : attractivité des offres, formations éloignées, conditions de travail ou rémunérations jugées mal adaptées. Les entreprises regorgent d’idées pour attirer et fidéliser.

Dirigeant d’une entreprise de maintenance en Charente, Didier Dupairaud a le sentiment d’avoir tout fait pour trouver des mécaniciens, des électroniciens, des chaudronniers et des soudeurs. Siège de Pôle emploi, visite dans des lycées professionnels, « je suis même allé à Cracovie », avoue-t-il. Sa dernière tentative ? Une banderole affichée le long d’une nationale. Si les appels ont afflué le week-end qui a suivi la publication d’un article dans le journal local, cela n’a rien donné. Avec onze salariés, il lui manque trois personnes pour satisfaire ses clients. « C’est un cercle vicieux : le savoir-faire des anciens n’a pas été transmis, la formation dans les écoles est trop théorique et on n’a plus trop le temps de former alors que ce sont des métiers qui demandent de l’apprentissage et une expérience importante. » Ce genre de regrets, on peut en entendre partout en France. Comme dans ce chantier naval breton qui peine à trouver des chaudronniers et qui a recours à des sous-traitants polonais pour honorer ses commandes. Malgré un taux de chômage de 8,6 %, entre 200 000 et 300 000 annonces d’emploi ne trouvent pas preneur sur un peu plus de trois millions d’offres déposées. Certains secteurs structurellement en tension comme la restauration, l’hôtellerie ou l’aide à domicile peinent à fidéliser leurs salariés. D’autres le sont devenus, faute d’attractivité, de formation à proximité ou encore en raison d’horaires décalés et d’une rémunération jugée insuffisante. Au fil des années, le sujet est devenu un serpent de mer. « Le problème se pose davantage dans les PME. Les grandes entreprises jouent sur leur nom et ont su développer leur sourcing et mesurer l’évolution des métiers et l’employabilité de leurs salariés. Des branches professionnelles ont mis en place des CQP. L’alternance a bien meilleure presse qu’avant et certaines entreprises développent même de l’aide aux transports pour faciliter l’accessibilité et les déplacements des candidats ou des personnes en formation », souligne Dominique Baruel-Bencherqui, enseignante-chercheur à l’Istec. Tour d’horizon des bonnes recettes pour trouver les compétences adéquates.

Se différencier des concurrents.

Dans la santé et le médico-social, c’est à celui qui fidélisera le plus ses employés. À la tête de deux établissements de rééducation fonctionnelle à Paris et à Cergy-Pontoise, Renaud Coupry cherche des médecins rééducateurs, des orthophonistes et kinésithérapeutes. Il s’efforce d’accueillir un grand nombre d’étudiants en stage pour susciter l’envie de rester. « On assure un suivi de stage pour ne pas qu’ils aient l’impression de compenser des sous-effectifs. C’est une charge supplémentaire pour le personnel mais cela s’inscrit dans une culture d’entreprise sur la durée », explique-t-il. Second dispositif plus original : il met à la disposition, en dehors des horaires de soin, les plateaux techniques de rééducation pour ses 35 kinésithérapeutes qui souhaiteraient avoir un complément d’activité et de rémunération en libéral hors temps de travail. « Certains kinés y consacrent beaucoup d’énergie, par intérêt financier ou professionnel. Cela peut être un avantage compétitif pour attirer de nouveaux professionnels. » Pour lui, si la question de la rémunération est importante, il faut davantage travailler sur le management et les conditions de travail dans les établissements de santé. Avec le vieillissement de la population, l’Insee estime que plusieurs dizaines de milliers d’emplois devront être créés dans l’aide à domicile d’ici 2020. Les grandes structures privées estiment que le métier souffre d’un manque d’attractivité en raison des horaires décalés et des rémunérations aléatoires pour un métier jugé difficile. Avec des pensionnaires de moins en moins autonomes et nécessitant donc plus d’attention et de soins, la concurrence est importante entre les différents opérateurs. Directeur de deux Ehpad de la région de Nancy, Frédéric Grosse mise sur un meilleur cadre de travail, dont s’occupe spécifiquement un chargé de mission depuis un an et demi. Après avoir mené une étude auprès de ses 300 salariés sur les points positifs et négatifs de leur travail, il a effectué plusieurs changements : un week-end sur deux de repos systématique au lieu d’un sur trois dans le secteur, des horaires avec des battements de quelques heures, une plus grande prévisibilité dans les plannings et du teambuilding avec séminaires et séances de sport pour resserrer les liens entre la direction, les cadres et les employés. Une façon aussi de lutter contre le fort absentéisme des titulaires et de limiter les CDD de remplacement. « Les postes restent rarement vacants, mais cela demande beaucoup de temps et d’énergie pour que les personnes ne partent pas, découragées, au bout de quelques jours. »

Mutualiser les compétences.

Il y a un an et demi, Adecco a décidé de créer 25 pôles de compétences partagées sur différents bassins d’emploi. Dans un rayon d’au maximum trente kilomètres, chaque pôle regroupe cinq à six entreprises d’un même secteur, essentiellement dans la logistique, l’automobile, l’aéronautique ou le BTP et un minimum d’une trentaine de personnes, formées et embauchées avec un statut de CDI intérimaire. Adecco procède d’abord à la cartographie des besoins métiers dans un secteur, s’occupe de la prospection d’entreprises intéressées par ce dispositif, travaille avec elles pour identifier les compétences nécessaires d’ici un à trois ans en fonction de leurs investissements et de la pyramide des âges et s’assure du recrutement et du suivi des postulants. Les personnes retenues alternent une formation plus ou moins longue sur plusieurs savoir-faire et un travail dans plusieurs entreprises clientes d’un même secteur d’activité. « On voulait à la fois travailler sur les métiers en tension, l’enjeu de flexibilité des entreprises et sécuriser le parcours des intérimaires. On parie ainsi sur des passerelles entre les industries, comme la conduite de machines automatisées dans l’agroalimentaire et l’automobile », développe Nathalie Piau, chef de projet emploi. Adecco assure qu’il y a un très faible turnover et peu d’abandons en cours de route. « On arrive surtout à attirer des candidats qui ne seraient pas venus dans l’intérim », ajoute-t-elle. Le groupe Manitou, leader mondial de la manutention tout-terrain avec près de 4 000 collaborateurs, a parié, quant à lui, sur une agence d’intérim hébergée au sein de son siège social à Ancenis. Un service de six personnes travaille à plein-temps sur le recrutement de personnel intérimaire pour s’adapter au plus vite aux cadences de production, notamment sur les métiers en tension comme les approvisionneurs, les soudeurs en atelier et les dessinateurs et ingénieurs en bureaux d’études. « Avant, on gérait en interne le recrutement de tous les postes d’opérateurs qui débutent par de l’intérim. Il y a cinq ans, on a décidé d’externaliser ce service. Cela permet d’avoir un suivi plus personnalisé et des partenariats plus efficaces avec différentes instances de formation, surtout lorsque la volumétrie de candidats s’amoindrit au fil des années », détaille Helena Binet, responsable RH support du groupe.

À plusieurs reprises, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a expérimenté des plateformes de mobilité en Normandie, en Occitanie et en Bourgogne – Franche-Comté pour pouvoir faciliter les échanges de compétences et de salariés entre les entreprises sur un même bassin d’emploi. Plutôt que de licencier des salariés en cas de difficultés économiques, une entreprise peut les mettre à la disposition d’autres entreprises afin de résoudre ponctuellement des difficultés de recrutement sur des métiers très recherchés. Pour autant, les résultats restent aléatoires et ces dispositifs demandent en amont un lourd travail de communication pour les rendre plus visibles. « La mobilité inter-secteur entre l’aéronautique et l’automobile a eu du mal à fonctionner, note Françoise Diard, responsable de l’Observatoire des métiers de la métallurgie. Il faut beaucoup de pédagogie. Même si on sécurise les parcours des salariés en leur garantissant un retour dans leur précédente entreprise si elle connaît un regain d’activité, certaines personnes ne veulent pas bouger », nuance-t-elle.

Améliorer l’attractivité des métiers auprès des jeunes.

Les filières techniques et manuelles souffrent encore d’un déficit d’image considérable. Pour les entreprises concernées, il va falloir convaincre que ces professions, de plus en plus qualifiées, ne sont pas un choix par dépit. Dans une étude datant de 2013, le Conseil d’orientation pour l’emploi observait que les métiers dits en tension « n’ont pas tous des conditions de travail difficiles ou de faibles niveaux de salaires, et réciproquement ». Afin de mettre en adéquation l’offre et la demande, des organismes de formation redoublent d’efforts. Alors qu’1,7 million de jeunes de 15-29 ans se retrouvent sans emploi ou diplôme, les écoles de la production entendent leur donner une seconde chance en vue de leur insertion professionnelle. Dans les 25 écoles existantes en France, représentant 800 élèves, on mise pendant deux à quatre ans de formation sur l’apprentissage en petits groupes, en situation réelle dans différents métiers industriels mais aussi dans la restauration ou le numérique. « Nos écoles assurent une vraie production de sous-traitance pour les entreprises en fonction du secteur d’activité », détaille Corentin Rémond, délégué général des écoles de production, qui juge cette offre complémentaire aux lycées professionnels et aux CFA. « On promet une réussite professionnelle pour tous en proposant à des jeunes aux parcours scolaires souvent chaotiques de se confronter à une pédagogie différente. On se bat aussi pour que les entreprises ne les embauchent pas avant la fin de leur parcours afin de leur redonner l’appétit de la formation ». La moitié poursuivra ainsi ses études. Pour Jean-Michel Meirhaeghe, responsable des formations au sein de l’Institut de soudure, « il faut travailler de manière pragmatique. Les jeunes veulent comprendre comment le métier fonctionne, quels seront ses débouchés, ses contraintes, ses obligations, la gestuelle à avoir mais aussi les évolutions de carrière ». Dans un lycée professionnel à Saint-Nazaire, une certification attestant de la maîtrise d’une double compétence a été mise en place pour multiplier les chances d’accéder à l’emploi. Les branches professionnelles proposent aussi une offre complémentaire de qualification et de certification. « Dans certains bassins d’emplois, des industriels sont catastrophés quand ils apprennent qu’une classe de chaudronnerie ou de soudure est sur le point de fermer car ils savent que le processus est très lent pour réouvrir une classe. De plus, on ne raisonne pas en fonction des métiers en devenir mais plutôt des professeurs et des spécialités à disposition. On a dû se substituer à des filières de formation qui périclitaient », témoigne Denis Boissard, directeur du fonds Agir pour l’industrie lié à l’UIMM. Les actions de sensibilisation dans les collèges et les lycées se multiplient, en faisant témoigner des salariés du secteur, en initiant des parrainages d’étudiants par d’anciens élèves évoluant dans le secteur, en organisant Salons ou job dating, en mettant en place des parcours de découverte au travers de journées portes ouvertes ou de plateformes en ligne.

À la Fédération de la propreté, face aux cohortes de chômeurs envoyés par Pôle emploi qui abandonnent faute de motivation, on préfère agir en amont. « Depuis une dizaine d’années, on veut faire passer le message que nos métiers ne sont pas tous peu qualifiés. Nous sommes certes une branche d’intégration sociale offrant de l’emploi à des personnes sans qualification mais il y a aussi des postes qui demandent des formations précises comme les agents machinistes, les chefs d’équipe, de site et les responsables de secteur », indique Fabienne Estrampes, directrice en charge de la formation. Fin 2017 une plateforme « Parcours Avenir Propreté », accessible en ligne a été mise en place. Avec des salariés de la profession et un conférencier externe, collégiens et lycéens parlent métier, évolution de carrière, propreté et hygiène corporelle dans la culture et l’histoire pour apporter plus de sens à des tâches que certains peuvent juger répétitives. Leur cible ? Des établissements d’enseignement général dans des bassins d’emploi où les formations ne trouvent pas preneurs. « Il y a une méconnaissance inouïe de nos métiers, même de la part des opérateurs publics de la formation et de l’emploi. » Les rémunérations des apprentis sont ainsi 20 % supérieures au minimum légal et un fonds a été créé pour empêcher les jeunes motivés d’abandonner en cas de problème d’hébergement ou de santé.

Former les chômeurs aux métiers en tension.

Afin de trouver des mécaniciens poids lourds, un groupement d’entreprises de réparation des environs de Dinan s’est associé à Pôle emploi et à la Région pour cibler des personnes potentiellement intéressées après une formation de 6 mois dans un CFA. Une façon d’améliorer l’employabilité de gens éloignés du monde du travail et tentés par une reconversion. « Une bonne partie des personnes formées ne restent pas dans cette activité. De plus, avec les technologies qui évoluent vite, il faut être doté d’une grande capacité d’apprentissage pour capter une montagne d’informations, notamment sur la pose d’équipements électroniques », décrit Hervé Godard, gérant de trois garages. Pour lui, mieux vaut miser et anticiper une rapide montée en compétences. « Beaucoup de gens peuvent avoir une expérience voisine de la mécanique s’ils ont fait de l’électronique ou de la maintenance en industrie. » Parmi les 2 500 personnes recensées par Pôle emploi comme susceptibles d’être intéressées par cette formation de six mois en alternance, 12 ont été retenues et inscrites au CFA mécanique de Dinan. Dans la Creuse, l’Institut de la soudure s’est associé à une communauté de communes, une société d’intérim et Pôle emploi pour former huit soudeurs dans un ancien site de transformation de légumes. Une formation personnalisée et mobile pour des personnes ensuite embauchées sur ce territoire en mal de techniciens industriels. Il existe aussi les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) pour mieux faire face aux difficultés de recrutement. « On a mis en place une immersion professionnelle d’une semaine financée par Pôle emploi pour nous assurer que la personne est motivée par le métier. C’est une sorte de sas de sécurité car nous avons eu beaucoup de ruptures pendant les périodes d’essai », souligne Audrey Chapuis, directrice d’un GEIQ dans l’aide à domicile du département du Rhône. Même prudence dans le bâtiment, qui recommence à recruter en masse. « Quand on met en place une préparation opérationnelle à l’emploi collective avec Pôle emploi, on prend d’abord contact avec les entreprises pour savoir ce qu’elles recherchent et pour ne pas former sur les mêmes compétences car sur des petits territoires, cela diviserait les chances de recrutement », soutient Emmanuel Ginel, secrétaire général Bourgogne – Franche-Comté de Constructys, l’OPCA du secteur. Pour lui, les candidats à l’embauche doivent poursuivre leur cursus avec un contrat de professionnalisation et plusieurs certifications avant de pouvoir être opérationnel. En plus des 4 300 conseillers dédiés aux entreprises, Pôle emploi vient de nommer des correspondants régionaux, interlocuteurs privilégiés des élus et des entreprises afin de surveiller et d’anticiper les difficultés de recrutement.

Créer sa propre école de formation.

Il y a un an, la PME Agilec, dans l’Eure, a décidé de former ses salariés et ceux d’autres entreprises à la construction et à la réparation de cellules et de câbles haute tension pour des opérateurs comme Enedis. Son école, implantée en Seine-Maritime, dispose d’un matériel rare dans d’autres filières de formation à l’électricité. « Avant, les anciens formaient les jeunes. Mais ils partent à la retraite et on perd ce savoir-faire car les autres manquent de temps pour passer le relais », constate Gilles Lefèvre, le dirigeant. Après quelques jours, les salariés sortent avec un titre d’habilitation qui devra être perfectionné pendant plusieurs années. Après la signature d’un important contrat avec Safran pour produire des pièces de moteur d’avion, la société Mecafi a aussi commencé à développer un parcours de formation en interne. Un groupe de travail a identifié les profils pouvant enseigner des techniques pointues à des personnes en reconversion dont les compétences peuvent s’appliquer à l’industrie.

Avec un besoin permanent de 35 à 40 bouchers pour ses différents magasins, Monoprix a également revu sa politique d’apprentissage. « On avait voulu faire de la cooptation pour que nos bouchers nous recommandent des candidats moyennant une prime de 500 euros, mais ce n’était pas le biais le plus efficace », reconnaît Sébastien Pairet, directeur emploi et recrutement de l’enseigne. Grâce à un investissement de 150 000 euros sur trois ans issu de la taxe d’apprentissage, l’enseigne s’est dotée début 2017 de son propre laboratoire à Paris pour enseigner les techniques de désossage et de parage des viandes aux apprentis en CAP. « Ils sont une trentaine aujourd’hui contre une petite dizaine il y a trois ans. » La première promotion, qui sortira après 18 mois en alternance, devrait recevoir des offres d’embauche en interne avant même la fin de la formation. Monoprix travaille sur un brevet professionnel pour former de futurs chefs de rayon boucherie. La preuve que la formule marche.

Redorer l’image d’un métier et d’une région

Si l’Auvergne a un solde migratoire positif, le New Deal Ambition Auvergne, mis en place en 2012, entend poursuivre la dynamique en s’appuyant sur son réseau d’entreprises. « On travaille autant sur l’attractivité des métiers que sur celle des territoires », avance Sonia François, responsable de l’antenne Puy-de-Dôme de l’organisme Auvergne – Rhône-Alpes Entreprise. Partant du principe que le principal frein à une mobilité géographique est la crainte de ne pouvoir trouver un emploi sur place, l’agence recense les besoins de recrutement des entreprises et leur adresse les CV des postulants. Depuis le début du dispositif, 460 personnes (occupant des emplois industriels pour 60 % d’entre eux) accompagnées de leur famille sont venues s’installer en Auvergne. Le coup de pouce qui fait la différence ? Une aide au logement de 500 euros pendant trois mois. « C’est notre façon de les aider à franchir le pas. Ils viennent souvent seuls tester le job avec un loyer payé pendant la période d’essai. 9 personnes sur 10 reviennent ensuite s’installer en famille », s’enthousiasme Gianni Panni, chargé de communication.

Auteur

  • Judith Chétrit