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Idées

Un totalitarisme doux

Idées | Livres | publié le : 07.03.2018 | Irène Lopez

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Un totalitarisme doux

Crédit photo Irène Lopez

La transparence devient totale. Nos déplacements, nos achats, nos goûts, nos maladies, nos échanges, nos conversations : rien n’y échappe. Pas même au bureau. Quand Big Data tourne à l’absurde…

Au bureau, des entreprises expérimentent des dispositifs enregistrant les conversations et la géolocalisation de leurs employés. Pour un entretien d’embauche, une visite approfondie des réseaux sociaux – ah les photos sur Facebook ! – est devenue un préalable. Et même si le futur candidat masque ou limite l’accès à son mur Facebook, la disparition de l’oubli est de mise. Idem sur Twitter où l’absence de prescription est la règle. Vous avez fustigé le management de votre ancienne boîte ? Votre nouvel employeur ne souhaite pas prendre ce risque. Et l’entretien n’aura pas de suite. Le moindre espace de notre vie professionnelle n’échappe pas à notre Smartphone : carnet d’adresses de prospects et de clients, agenda partagé, notes de réunions digitales…

Cela dépasse le cadre professionnel. Une opération « suspecte » sur votre compte ? Votre banquier a l’obligation de vous dénoncer à une cellule anti-fraude. Vous souhaitez en parler à votre avocat ? Un juge d’instruction l’a peut-être placé sur écoute. Bientôt notre ADN sera séquencé de manière à ce que nos maladies soient prévisibles : les médecins s’en félicitent, les assureurs se frottent les mains.

Quand, au diktat de la transparence, s’ajoutent les effets pervers du progrès technique, c’est toute notre vie qui bascule. Peut-on encore inverser le cours des choses ? Sommes-nous condamnés à l’autodestruction de cette société de libertés que nous avons mis tant de siècles à constituer ?

Big Data, nouveau visage de Big Brother ?

Denis Olivennes et Mathias Chichportich analysent cette marche forcée et inconsciente vers une société soumise aux injonctions souvent absurdes d’une prétendue modernité. S’ils prônent la transparence qui permet « d’éviter la corruption et les turpitudes des pouvoirs » (en ce sens, elle est « un élément essentiel de la démocratie »), elle ne doit pas empiéter sur la vie privée des citoyens. « La transparence n’est pas illégitime, mais elle n’est pas toujours bonne. »

Tout repose en fait sur une ambivalence : une protection excessive et aveugle des données personnelles pourrait affaiblir l’innovation, l’activité et l’emploi. Mais encore faut-il pour cela que ce progrès soit compris, régulé et maîtrisé. Que nous continuions d’être les sujets de notre propre histoire et non pas des objets.

Pas moralisateur, l’ouvrage, ne propose pas de méthode pour échapper à cette servitude acceptée. Il n’a pour ambition que de poser des questions pour réfléchir et être acteur de certains choix numériques.

Mortelle Transparence,

Denis Olivennes et Mathias Chichportich. Albin Michel . 198 pages, 17 euros.

Auteur

  • Irène Lopez