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La formation au cœur de la guerre des talents

Dossier | publié le : 07.03.2018 | Laurence Estival

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La formation au cœur de la guerre des talents

Crédit photo Laurence Estival

Face aux pénuries de main-d’œuvre, les entreprises s’impliquent dans la formation des jeunes et des demandeurs d’emploi et renforcent celle de leurs salariés. Des évolutions que devrait amplifier la réforme aujourd’hui en chantier.

Du jamais vu depuis bien des années ! D’ici à 2025, l’industrie devrait recruter quelque 250 000 salariés par an dont 110 000 pour la seule métallurgie. « La révolution digitale comme la robotisation vont provoquer une transformation radicale des métiers et s’ajouter aux difficultés chroniques que nous enregistrons déjà dans de nombreux métiers comme les chaudronniers ou les électromécaniciens. Pour faire face, les employeurs ont décidé de s’appuyer sur le levier de la formation », souligne Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie). Certes, cette prise de conscience n’est pas nouvelle. Chaque année, 130 000 salariés transitent dans l’un des 110 pôles de formation mis en place par la branche mais les bouleversements en cours devraient accélérer le mouvement, notamment sur les métiers émergents tels les technologues, data scientists et autres responsables de la maintenance informatique ou de chaînes de production automatisées.

L’industrie n’est pas la seule à jouer la carte de la formation pour répondre à la nécessité de trouver les profils recherchés. Les chiffres publiés en septembre dernier par le Conseil d’orientation de l’emploi ont en effet de quoi inciter les recruteurs à prendre les devants… Rien que dans le domaine des technologies de l’information et de l’électronique, d’ici à 2020, ce sont 80 000 offres d’emploi qui resteront non pourvues faute de compétences. Résultat : pour éviter le pire, les entreprises font déjà flèche de tout bois.

Les jeunes et les demandeurs d’emploi, cibles privilégiées

Première tendance : se rapprocher des lycées professionnels ou CFA pour faire évoluer en amont les cursus. « Nous travaillons directement avec l’Éducation nationale », poursuit Hubert Mongon. Un accord-cadre de coopération a été signé entre le ministère et la branche professionnelle en 2015. Il prévoit notamment une concertation sur l’adaptation des diplômes, l’information et l’orientation des collégiens, lycéens et étudiants. De son côté, Capgemini et la Société générale font partis des membres fondateurs de la « Grande école du numérique », un réseau virtuel qui regroupe 400 formations ad hoc. L’Entreprise de services du numérique s’est d’autre part engagée à pourvoir 10 % de ses recrutements avec ces jeunes diplômés. Et si le but de la réforme de la formation est de donner un coup de fouet à l’implication des entreprises dans la formation de leurs futures recrues via le développement de l’alternance, nombre d’entre elles n’ont pas attendu les nouvelles incitations pour se jeter à l’eau. « Sur ce dossier, les employeurs sont prêts à aller plus loin, moyennant des ajustements en matière de gestion des horaires et d’organisation du travail, des modalités de rupture du contrat de travail mais aussi d’une meilleure coordination régionale pour faciliter la création de viviers de candidats par bassin d’emploi », indique Jean-Paul Charlez, le président de l’ANDRH.

Deuxième axe majeur : l’implication des entreprises dans la formation des demandeurs d’emploi. « Cela fait partie de notre responsabilité », poursuit le président de l’ANDRH. Les employeurs multiplient notamment les relations avec Pôle emploi. À l’image d’Assystem Technologies. Début 2017, le groupe d’ingénierie a ouvert à Toulouse un « Skills Development Center » dont une des originalités est de former sur des métiers en tension, dont celui d’inspecteur aéronautique, ses propres salariés, les collaborateurs de ses clients mais aussi des candidats orientés et sélectionnés avec Pôle Emploi. « Nous leur proposons des formations sur mesure car nous avons défini des modules correspondants à un certain nombre de compétences que nous pouvons assembler en fonction de leurs besoins », détaille Ludovic Cardine, directeur du business developpement, en charge de la formation. Sur les 700 à 800 stagiaires attendus chaque année dans ce centre high-tech, 30 % d’entre eux devraient être des salariés en reconversion professionnelle. Avec à la clé, la possibilité pour eux de suivre jusqu’à 600 heures de formation complétées par une expérience en entreprise afin de décrocher un CQPM (Certificat de qualification paritaire de la métallurgie).

Adaptation et employabilité, deux maîtres mots

Les grands groupes ne sont pas les seuls à la manœuvre… « En trois ans, une douzaine d’entreprises de notre réseau, à l’instar d’Agro-Mousquetaires, du biscuitier Saint-Michel, de Bourdin Paysage ou de Sushi Gourmet, ont souhaité créer leur centre de formation, faute de trouver sur le marché des candidats ou des formations répondant à leurs besoins techniques ou géographiques, détaille Christian Sferrazza, le responsable du développement de PME universités, émanation de PME Centrale, un groupement qui regroupe 10 000 entreprises ayant fait le choix de mutualiser leurs achats. Avec Sushi Gourmet, nous sommes en train de travailler à la mise en place d’un cursus pour les salariés qui fabriquent les sushis, un métier qui n’existe pas encore et nous allons ensuite nous rapprocher d’un certificateur pour faire valider la qualification obtenue. » Objectif : permettre aux individus de valoriser leurs nouvelles compétences et de pouvoir évoluer. Ces centres de formation accueillent autant les demandeurs d’emploi dans le cadre de contrat de professionnalisation ou des Préparation opérationnelle à l’emploi (POE) que les salariés souhaitant se repositionner ou évoluer au sein de leur entreprise.

L’évolution professionnelle de leurs collaborateurs et le maintien de leur employabilité sont en effet des moteurs de la « marque employeur » et de la fidélisation des talents. Aussi, et en dépit de la suppression de l’obligation de consacrer un pourcentage défini à l’avance à la formation de leurs collaborateurs, nombreuses sont celles qui n’ont pas réellement réduit la voilure car elles n’ont pas vraiment le choix, compte tenu des évolutions à venir. Elles ont toutefois fait évoluer les formats proposés : Le « Skills Development Center » toulousain d’Assystem Technologies s’est ainsi doté d’outils pédagogiques explorant notamment les potentialités de la réalité virtuelle ou augmentée pour rendre ses formations toujours plus opérationnelles. « Nous avons développé les formations en situation de travail et les modules en ligne », mentionne, pour sa part, Hubert Mongon, de l’UIMM. Et pour développer l’attrait des salariés pour ces nouveaux outils, des modules de plus en plus courts, présentés comme des condensés de savoirs, et disponibles n’importe quand, n’importe où et sur n’importe quel support pour s’adapter à l’emploi du temps et aux modes de vie, tiennent aujourd’hui la corde. Une petite révolution…

Un co-investissement

Reconnaissant l’intérêt du CPF (Compte personnel de formation) institué en 2014, les DRH sont en revanche dubitatifs sur le fait d’en faire l’élément central – et unique – de la prochaine réforme. Dans un sondage réalisé fin 2017 auprès des 5 000 adhérents de l’ANDRH, 88 % des sondés pensent qu’il est utile de le conserver mais 65 % estiment qu’il faut le faire évoluer. « Nous n’avons jamais été enthousiasmés par son centrage sur les formations qualifiantes ou certifiantes. Si c’est intéressant pour des personnes ayant des projets de reconversion professionnelle, il ne faut pas non plus que la possibilité d’évoluer ne soit envisagée que hors de l’entreprise », estime Jean-Paul Charlez, le président de l’association et DGRH du groupe Etam. Pour lui, le CPF pourrait, au contraire, être utilisé d’une manière complémentaire au plan de formation des entreprises. Même son de cloche à l’UIMM. « Les entreprises doivent co-construire leur parcours professionnel avec les salariés grâce notamment au travail d’anticipation sur les besoins effectué par les branches », indique Hugues Mongon, son délégué général. Une façon de poser la question de la délimitation de la liberté des individus dans l’utilisation de leurs droits personnels…

Auteur

  • Laurence Estival