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En route vers le big bang ?

Dossier | publié le : 07.03.2018 | Laurence Estival

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En route vers le big bang ?

Crédit photo Laurence Estival

Inégalitaire, ne répondant que partiellement aux besoins, illisible et coûteux… Réforme après réforme, le système de formation professionnelle ne parvient pas à s’affranchir des maux qui lui collent à la peau. Tour d’horizon des défis et pistes de réflexion à l’aube d’une nouvelle réforme.

Le compte à rebours a commencé. Depuis novembre dernier, les partenaires sociaux sont retournés à la table des négociations pour redéfinir, à la demande du gouvernement, les grandes lignes du système de formation professionnelle. La remise de la copie ne devrait pas tarder car la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a indiqué dans le document de cadrage des discussions, qu’un projet de loi serait rédigé d’ici la fin avril. Objectif : armer la France pour l’aider à relever le défi mondial des compétences. « Plus notre système de formation professionnelle sera performant, plus il créera les conditions donnant à chacun la liberté individuelle de saisir toutes les opportunités de la mondialisation », indique ainsi le texte en préambule.

Les défis sont de taille si on en juge le nombre de rapports qui ont listé les dysfonctionnements du système à la fois inefficace et peu lisible. Résultats : seuls 36 % des salariés sont formés chaque année dans l’Hexagone, contre 56 % en Allemagne et plus de 70 % dans les pays du Nord. « Ces constats ne sont pas nouveaux mais ce qui est changé, c’est l’importance du nombre de demandeurs d’emploi et le fait qu’en dépit de la reprise de l’activité, le chômage ne diminue pas alors que dans le même temps, nombre d’entreprises n’arrivent pas à recruter les profils recherchés. Le système doit absolument évoluer », met en avant Christophe Parmentier, fondateur et directeur de Clava, un cabinet de conseil en formation professionnelle.

Un système en bout de course

En janvier dernier, un rapport de l’Institut Montaigne énumérait les « six maux » dont souffre le malade. Comme d’autres avant lui, son auteur, Bertrand Martinot, ancien DGEFP (Délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle), y dénonce l’accès complexe et inégalitaire aux dispositifs qui profitent avant tout aux salariés déjà les mieux formés et plutôt à ceux travaillant dans les grandes entreprises que dans les PME. Sans nier les évolutions ayant conduit d’abord à la création du DIF (Doit individuel à la formation) puis à son successeur, le CPF (Compte personnel de formation), il observe en s’appuyant sur un sondage réalisé pour l’occasion que le système reste encore trop déresponsabilisant pour les salariés : 61 % des salariés interrogés n’avaient suivi aucune formation car leur employeur ne leur en avait pas proposées… « Il faut sortir de l’idée que les formations relèvent de la prescription », souligne l’économiste.

L’idée de permettre à chacun de se saisir de ces nouveaux droits individuels pour déployer son projet professionnel grâce à un retour en formation n’a pourtant pas remporté le succès espéré : moins de 5 millions de bénéficiaires potentiels sur les 20 millions de salariés du privé recensés avaient, fin 2017, ouvert un compte et le nombre de formations financées au titre du CPF s’est lui aussi avéré décevant. « On a atteint 500 000 formations financées au titre du CPF l’année dernière, dont la moitié ont été effectués par des demandeurs d’emploi. Ce qui fait du CPF un dispositif encore moins utilisé que le DIF ! », met en avant Jean Wemaëre, le président de la FFP (Fédération de la formation professionnelle), pas tendre lui non plus sur les dernières réformes : « Le système est trop contraint par la réglementation. Ce ne sont pas les besoins qui orientent l’offre mais les possibilités de financement », remarque-t-il. Rien d’étonnant, si dans ces conditions 70 % des DRH sondés par l’ANDRH, se plaignaient en décembre 2017 d’une offre en décalage avec leurs attentes.

Pour couper l’herbe sous le pied aux critiques qui avaient accompagné la mise en place du DIF, le CPF avait effectivement été beaucoup plus encadré : fini l’octroi de fonds pour suivre un stage de préparation à la retraite ou quelques heures d’anglais. Désormais, les formations devaient être qualifiantes et inscrites sur des listes définies au niveau des branches ou des bassins d’emploi. Un véritable casse-tête qui a freiné à la fois les ardeurs des candidats autant que celles de certains organismes désireux de se positionner sur des métiers ou des compétences émergents. « Pour avoir des chances d’être éligibles, une formation, fut-elle proposée par un organisme comme une université agréée par l’État, devait avoir au minimum trois ans d’ancienneté ! », souligne Franck Giuliani, le président de la FCU (Formation continue universitaire). Nombre de ses collègues, prêts à lancer des cursus en s’appuyant sur leurs laboratoires de recherche, ont donc finalement jeté l’éponge.

Maintenir l’employabilité

Trop compliqué, le CPF a en outre souffert d’un manque de financement : seul 1,3 million d’euros pour 20 millions de bénéficiaires potentiels dont 1 million pour les salariés et 300 000 euros pour les demandeurs d’emploi avaient été provisionnés. Aussi après avoir ouvert les vannes en 2016 pour permettre au dispositif de décoller, les OPCA tout comme Pôle Emploi à partir de 2017, ont commencé à être plus sélectifs. Résultat : la réforme de 2014 n’a pas réussi à redonner un coup de jeune à un système qui semble aujourd’hui à bout de souffle et dont les rigidités constituent des freins à l’innovation pédagogique et à l’utilisation des nouvelles technologies.

Face aux enjeux et aux défis, le président de la République Emmanuel Macron avait affiché lors de sa campagne présidentielle, sa volonté de réformer une nouvelle fois la formation continue, devenue entre-temps le volet « sécurité » de la « flexisécurité à la française » souhaitée par le nouvel exécutif. La « feuille de route » soumise aux partenaires sociaux fixe pour cela quelques pistes de réflexion : pour renforcer la sécurisation des parcours professionnels, l’utilisation de CPF, davantage doté, doit être facilitée. Sur la table : la fusion de ce dispositif avec le CIF (Congé individuel de formation) et l’abandon des listes de formations éligibles au profit de l’instauration de critères de qualité permettant aux individus de juger directement les prestations. Si les salariés sont invités à reprendre la main, pas question cependant de nier le rôle et la responsabilité des entreprises dans le maintien de l’employabilité de leurs collaborateurs. Au menu des négociations entre partenaires sociaux : le développement de nouveaux modes d’apprentissage reposant entre autres sur les technologies et la recherche de moyens permettant de compenser les faibles contributions financières des PME et TPE pour qu’elles puissent participer elles aussi à l’évolution nécessaire des compétences de leurs salariés.

Le document propose par ailleurs de faire un effort important pour les demandeurs d’emploi : 15 milliards d’euros supplémentaires sur la durée du quinquennat pourraient provenir de cotisations d’entreprises équivalent à 0,3 % de leur masse salariale. Il s’agit de doubler ainsi les fonds affectés à la formation des personnes les plus éloignées du marché du travail. Un million de chômeurs de longue durée et un million de jeunes sans qualification supplémentaires devraient en bénéficier pour se positionner sur des métiers en tension. En coulisse, les observatoires prospectifs des branches professionnelles devraient fournir les informations utiles sur les besoins à moyen terme. Les jeunes sont eux aussi érigés en public prioritaire via une réflexion sur l’alternance via un rapprochement, sous une forme encore à déterminer, entre contrat d’apprentissage et contrat professionnel. Pour épauler les actifs dans leur cheminement, la ministre du Travail a enfin demandé aux négociateurs de faire des propositions pour rendre opérationnel le Conseil en évolution professionnelle, préalable à toute démarche. « C’est le point clé de la réforme car si on souhaite que les individus s’emparent des dispositifs, il faut qu’ils soient accompagnés, note Marc Dennery, co-fondateur et directeur associé de C-Campus, un cabinet spécialisé dans la formation professionnelle. Mais attention, ce n’est pas avec la création d’une application recensant les offres de formation auxquelles ils peuvent accéder et des informations sur leurs débouchés que le gouvernement va répondre à ce défi ! »

Des cartes rebattues

La remarque de cet expert vient rappeler que l’équation à résoudre est loin d’être simple et que la seule volonté ne suffit pas parfois pour renverser les montagnes… « Certains éléments de la note de cadrage sont assez disruptifs », se félicite cependant Bertrand Martinot, citant par exemple la volonté de faire du CPF un vrai outil entre les mains des salariés ou l’idée d’exprimer le nombre d’heures disponibles en euros pour que les actifs mesurent mieux le vrai pouvoir d’achat de leur CPF. « On pourrait même imaginer d’accorder des crédits d’impôts aux salariés ou aux entreprises qui voudraient l’abonder comme aux PME et TPE, ce qui constituerait pour elles un encouragement à augmenter les fonds dédiés à la formation de leurs salariés », mentionne pour sa part Guillaume Huot, membre du directoire du groupe Cegos. Une façon de répondre par avance aux objections de Marc Dennery : « Former plus et mieux avec le même budget relève quand même de la gageure ! », assure-t-il.

Autre question : le gouvernement se contentera-t-il de traduire dans la loi l’accord trouvé par les partenaires sociaux ou reprendra-t-il la main pour aller plus loin en cas d’avancées qu’il ne jugerait pas suffisantes ? « Une chose est certaine : il est temps de recentrer la formation professionnelle sur les attentes des clients et des bénéficiaires au lieu de se focaliser sur des enjeux de pouvoirs, lâche Jean-Paul Charvez, DRH du groupe Etam et président de l’ANDRH à destination des parties prenantes, invitées à prendre de la hauteur. Nous sommes optimistes car nous n’avons pas le choix. » « Il y a urgence, ajoute Laurence Breton Kueny, DRH de l’AFNOR. Selon le rapport du Conseil d’orientation de l’emploi sur l’impact de la révolution technologique publié en décembre dernier, 10 % des emplois actuels vont disparaître et 50 % devraient voir leur contenu transformé de manière significative dans les 15 prochaines années. » De quoi rebattre effectivement les cartes…

Auteur

  • Laurence Estival