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Le Medef cherche son chef… et sa ligne

Décodages | Patronat | publié le : 07.03.2018 | Nicolas Prissette

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Le Medef cherche son chef… et sa ligne

Crédit photo Nicolas Prissette

La présidence Macron chamboule la course à la succession de Pierre Gattaz. Coopérer avec le pouvoir, s’opposer ? La question se pose aux candidats. Elle dépasse le traditionnel clivage entre les fédérations de l’industrie, des services et du BTP, exacerbé par la taxation des CDD.

En apparence, tout a l’air habituel. La compétition qui s’ouvre pour la présidence du Medef ressemble à un classique du genre. Un match où se disputent deux grandes fédérations, celle de l’industrie – le président de l’UIMM Alexandre Saubot est pressenti sur la ligne de départ – et celle des services – Geoffroy Roux de Bézieux, candidat déclaré, avait reçu leur soutien il y a cinq ans. Des outsiders représentant les territoires, Frédéric Motte (Hauts-de-France) et Patrick Martin (Auvergne – Rhône-Alpes), font monter la pression. Un trublion, Jean-Charles Simon, ancien cadre du mouvement, promet, lui, de rebâtir la maison patronale de fond en comble…

Et pourtant. Quelque chose ne va pas. Au moment où la course se lance, le patronat est traversé par un doute. Un questionnement quasi existentiel. « Ce n’est pas un combat entre fédérations ni une histoire d’alliances. Ce n’est pas un problème de casting, mais de projet. Nous devons savoir ce que nous voulons faire du Medef », explique Jacques Chanut, président de la Fédération du bâtiment. « Le sujet, ce ne sont pas les candidats, c’est le Medef lui-même », abonde Jacques Creyssel, ancien directeur général de la maison sous l’ère Seillière et délégué de la Fédération du commerce et de la distribution. « Le Medef sert-il encore à quelque chose, c’est ça la vraie question », tranche un familier de l’avenue Bosquet. Même interrogation chez Laurence Parisot. L’ancienne présidente se prépare à sortir de sa réserve pour tracer les enjeux qu’elle estime fondamentaux.

L’explication, c’est Macron.

Le président de la République mène une politique pro-business que nul ne conteste parmi les chefs d’entreprise. Son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, est couvert de louanges par tous les barons du Medef. « Le patronat n’a pas de difficultés avec le gouvernement. Beaucoup de dirigeants ont un accès direct à l’exécutif. Le mouvement doit réfléchir à son influence dans ce contexte », explique son vice-président Thibault Lanxade. Un proche de Gattaz concède : « Face à François Hollande, la posture était simple. C’est plus difficile avec un gouvernement pro-entreprises ». En 2013, l’actuel patron des patrons l’emporte en défendant un « Medef de combat », en plein ras-le-bol fiscal antisocialiste. Le PDG de Radiall était certes issu de l’industrie et du monde des PME, mais il fut finalement adoubé par les fédérations des « intellos » de la banque et de l’assurance.

Du coup, la présidence du Medef revêt en 2018 un enjeu politique majeur : faut-il accompagner les réformes, autrement dit soutenir Macron ? S’opposer, réclamer davantage ? Ou bien changer complètement de nature ? Tout remettre à plat, c’est la voie défendue par Jean-Charles Simon. Cet ancien cadre du Medef dont il avait démissionné avec fracas en 2010, proche de Denis Kessler, veut un changement radical : la sortie pure et simple du paritarisme. « Son profil n’est pas celui d’un patron de terrain, il semble donc avoir peu de chances, décrypte un bon connaisseur de la maison. Mais il pose de bonnes questions et son côté intello plaît bien aux PDG de l’Association française des entreprises privées ».

La position face au pouvoir est d’autant plus compliquée à définir que le chef de l’État se passe volontiers du patronat. Les ordonnances de 2017 rendent la part belle aux branches – de façon certes bornée – et aux entreprises au détriment de la négociation interprofessionnelle. En outre, le président de la République a lancé des réformes de l’assurance-chômage, de la formation et des retraites qui devraient réduire peu ou prou le champ d’intervention des partenaires sociaux. S’agissant de la définition de l’objet social de l’entreprise ou du développement de l’actionnariat salarié – qui seront au cœur de la future loi de Bruno Le Maire – le nouveau pouvoir avance seul, sans le Medef.

La succession de Gattaz dépasse donc la traditionnelle lutte intestine entre fédérations. Elle pose la question de sa place. Au sein des services, l’influent patron de la fédération des Assurances, Bernard Spitz, milite pour une coopération avec le pouvoir : « Cette élection arrive à un moment crucial de transformation pour le pays et pour toutes nos entreprises, en France et en Europe, avec un gouvernement plus à l’écoute des employeurs, des syndicats plus réceptifs à nos priorités. L’enjeu pour le Medef, c’est d’être le partenaire actif de cette évolution. Constructif, innovant, ouvert sur le monde, porteur de propositions », argumente-t-il. Un plaidoyer cohérent avec son histoire. Spitz est le co-fondateur des Gracques. Ce groupe d’anciens hauts fonctionnaires désireux de dépasser les clivages politiques, est en phase avec Macron qui les a fréquentés au début de sa carrière.

Une ère nouvelle.

Une autre fédération fait écho aux assureurs, celle du commerce et de la distribution. « Comment peut-on redevenir une force de propositions ? Incarner l’avenir, le numérique, l’économie verte ? Nous avions lancé la refondation sociale dans les années 2000, il y avait un leadership sur les idées. Le sujet n’est donc pas de savoir qui négocie mais sur quoi porte la négociation », renchérit Jacques Creyssel (FCD).

Même les alliés des PME espèrent une ère nouvelle. François Asselin, président de la CPME, aimerait que le successeur de Pierre Gattaz ne vienne pas, lui, jouer dans sa cour : « La posture actuelle sur les PME n’est pas ce qu’on attend d’eux. Notre confédération est ultra-représentative. Le Medef doit assumer son rôle de grand frère, porter des perspectives dans l’unité, représenter les entreprises à l’international »

Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Les déçus de la présidence Gattaz comptent sur le renouvellement des instances pour reprendre la main. Macron ou pas Macron. Il y a de la revanche dans l’air. L’enjeu, très classique, est le rôle du Medef dans les négociations – si tant est qu’il y en ait encore beaucoup… Autrement dit, le poste de négociateur occupé par Alexandre Saubot, candidat potentiel. Le cœur du réacteur patronal est dévolu historiquement à l’UIMM au regard du poids de l’industrie dans le salariat, de ses équipes juridiques de haut niveau et de ses valeurs traditionnelles de cohésion sociale. Une prééminence qui fait grincer des dents. « Le BTP et certaines branches des services sont très remontés contre l’UIMM et contre les négociations menées sous le mandat de Gattaz », observe un conseiller patronal. « Il y a un amour-haine permanent. Chacun voudrait du sur-mesure », s’attriste un membre de l’équipe sortante.

Conciliabules et grandes manœuvres.

Pour la Fédération française du bâtiment, la cause est entendue. Son président, Jacques Chanut, veut défendre l’intérêt des adhérents, et rien d’autre : « L’organisation doit se recentrer sur ses missions, agir sur la fiscalité et le droit du travail. Nous n’avons pas à participer à des débats sociétaux ni à la recherche de compromissions, lâcher dans une négociation pour revenir dans une autre… Qu’avons-nous vraiment gagné si, au bout du compte, un secteur sort pénalisé ? Nous avons reculé dans la négociation sur la formation, par exemple. Nous ne sommes pas là pour sauver la France mais pour défendre nos entreprises. » Et Chanut de fustiger « un mouvement d’apparatchiks » qui accepte des « subsides de l’État »…

Un sujet cristallise les tensions : la taxation des contrats courts. Le dispositif partiel créé en 2013 suite à l’accord interprofessionnel avait déjà déchiré les services et le bâtiment – grands pourvoyeurs de CDD – et l’industrie – qui embauche davantage en contrats d’intérim, épargnés par la surtaxe. Emmanuel Macron veut aujourd’hui un bonus-malus et l’exécutif laisse planer la menace d’une nationalisation de l’Assurance-chômage… Les uns acceptent d’en discuter, les autres refusent toujours avec ardeur.

La négociation en cours avec les syndicats s’effectue donc dans un contexte instable. « En temps normal on attend toujours très longtemps la position patronale parce qu’ils ont du mal à s’entendre. Mais là, c’est vraiment très long », déplore le dirigeant d’une centrale. Du coup, la partie est subtile à mener pour Alexandre Saubot, qui se retrouve au cœur des dissensions internes tout en devant potentiellement rassembler…

Dans cette poudrière, le patronat bruisse de conciliabules et de grandes manœuvres. Les rumeurs vont bon train sur un nouveau Yalta. « Saubot s’est rapproché du bâtiment depuis plusieurs mois. S’il a l’industrie et le BTP, il a gagné. Du coup, Chanut fait monter les enchères », glisse un ancien cadre. Au sein de l’Assemblée générale du Medef, l’influence de l’UIMM ne se limite pas à sa fédération. Les industriels, notamment de PME, sont très présents à travers les Medef territoriaux, ce qui accroît son poids dans la désignation finale.

Sortir des luttes intestines.

Autre sujet de messes basses, le Groupement des professions de services (GPS, qui rassemble les grandes fédérations du secteur) suivra-t-il Geoffroy Roux de Bézieux ? L’ancien héraut de la nouvelle économie a déjà une campagne à son actif et il en a tiré une solide expérience. « Il a une vraie stratégie : labourer le terrain pour séduire les Medef territoriaux, conquérir les fédérations, obtenir le ralliement futur d’autres candidats comme Patrick Martin ou Frédéric Motte », décrypte un familier de l’avenue Bosquet. Mais au sein de la banque, certains aimeraient faire émerger la candidature du PDG d’Accenture, Christian Nibourel, en dépit d’une condamnation pénale suite à un contrôle de l’inspection du travail. « Les services ne savent plus vers qui se tourner. Ils avaient soutenu Roux contre Gattaz il y a cinq ans mais certains ont été déçus qu’il n’aille pas au bout », glisse un conseiller du secteur.

Sentant le risque de déchirements, les présidents des grandes fédérations veulent enterrer les haches de guerre. Du moins, essayer. Ils pensaient l’an dernier avoir un candidat idéal et incontestable, Jean-Dominique Sénard. Mais le président de Michelin est atteint par la limite d’âge – il a 65 ans en mars – et les manœuvres pour contourner cet obstacle ont échoué. Pied-de-nez, Emmanuel Macron lui a confié (ainsi qu’à Nicole Notat) une mission sur « l’entreprise et l’intérêt général ». Manière de souligner à quel point le patronat se serait trompé en barrant la route à ce PDG fin et cultivé.

Pour sortir des luttes intestines, des rendez-vous s’organisent donc depuis mi-février entre les responsables des plus grandes branches. D’ordinaire, le consensus autour du patron du Medef aboutit au début du printemps, de sorte que l’élection puisse ressembler à une cooptation où personne n’aurait perdu. Cette fois-ci, les grandes fédérations anticipent, dans l’objectif de dégager une philosophie commune, de maintenir l’unité de la maison, de s’entendre sur les dossiers en cours, d’épargner aux Français le spectacle d’une campagne au couteau – une image que les chefs d’entreprise détestent montrer. Et, si possible, de trouver rapidement un président…

Auteur

  • Nicolas Prissette