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Vie des entreprises

Philippe Bourguignon liquide la gestion boy-scout du Club Med

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.02.2001 |

Appelé à la rescousse pour redresser la barre, Philippe Bourguignon a mené la refondation du Club tambour battant, et sans ménagement. Troupes rajeunies, gestion des contrats de travail clarifiée, politique salariale rebâtie, formation redynamisée… C'en est bien fini de la gestion artisanale et paternaliste des Trigano.

« Bulldozer sans état d'âme » pour les uns, « séducteur et convaincant » pour les autres… Trois ans après son arrivée au chevet du Club Med, Philippe Bourguignon ne laisse pas ses ouailles indifférentes. En quittant, en 1997, Marne-la-Vallée et Disneyland Paris pour la Villette, ce pragmatique à forte personnalité savait qu'il ne débarquait pas en terrain conquis. Sa nomination brutale sonnait en effet le glas de la saga Trigano, père et fils.

Toujours est-il que le nouveau président du directoire a redressé les comptes du Club : l'entreprise a annoncé un bénéfice net de 59 millions d'euros (387 millions de francs) pour son exercice clos en octobre 2000. Au passage, l'organisation des ressources humaines a été complètement chamboulée. Et la culture paternaliste des prédécesseurs de Bourguignon reléguée au rayon des souvenirs. Hostile au virage vers le tourisme de masse, cet homme de marketing qui entend doubler la taille du Club s'attaque maintenant à son développement, en déclinant la célèbre marque au trident sur tous les modes du loisir et de la détente (création d'une ligne de vêtements, ouverture du Club Med World à Paris, et bientôt à Montréal). Reste à convaincre les 23 000 salariés disséminés entre le siège et 120 villages dans 40 pays d'adhérer à sa stratégie. Une partie serrée avec les « vieux de la vieille » et les jeunes, qui ont, certes, les pieds au soleil mais la tête dans le Code du travail.

1 RECONSTRUIRE UNE ENTREPRISE

Le changement de style est patent. Avant de rentrer chez lui, Serge Trigano accomplissait un rituel. Il faisait halte à chaque étage du siège et saluait ses « gentils organisateurs ». Désormais premier GO du Club Med, Philippe Bourguignon n'est vraiment pas du genre à traîner autour de la machine à café. Mais, trois ans après son intronisation, l'ex-président de Disneyland n'en a toujours pas fini avec l'héritage Trigano, celui de Gilbert, fondateur avec Gérard Blitz du Club Med en 1950, et celui de Serge, candidat malheureux à la succession de son père. Les comparaisons continuent d'aller bon train entre les « papas » du Club et le gestionnaire parachuté par les actionnaires pour redresser une entreprise au bord du gouffre. « Auparavant, le DRH, c'était Gilbert Trigano », souligne Laurent Amelineau, le DRH actuel du Club, passé par Xerox, Pepsico et Kraft Jacobs Suchard. « Dès son arrivée, Philippe Bourguignon a commencé par mettre en place une véritable direction des ressources humaines qui gère les relations sociales. » Un changement de culture qui a désarçonné les syndicats mais aussi bon nombre de salariés du siège, peu habitués aux intermédiaires.

« Il fallait aller plus vite que la lumière », se défendent les proches collaborateurs de Philippe Bourguignon, conscients du décalage entre les deux derniers présidents. En trois ans, le patron du Club s'est lancé dans des chantiers titanesques. La gestion artisanale, « sans laquelle, reconnaît-il, le Club ne serait pas ce qu'il est », a été mise au rancart, et le spécialiste des loisirs est devenu une entreprise comme les autres, avec des méthodes et une organisation rigoureuses. La stratégie de remise à plat est baptisée « 4 R », comme retour à la compétitivité des prix, rénovation de villages (93 sur 120 ont été reliftés), recentrage sur trois niveaux d'hôtellerie au lieu de cinq et rationalisation des coûts.

Illustration à Djerba, l'un des plus anciens villages. Situés à quelques kilomètres les uns des autres, les trois sites (Djerba la Douce, la Fidèle et la Nomade) ont fonctionné jusqu'alors de manière indépendante. « L'un des villages fabriquait son pain, un autre s'approvisionnait à la boulangerie locale. La buanderie était externalisée. Récemment, le Club a décidé de créer une plate-forme pour rationaliser la maintenance, les transports, la production alimentaire, les achats, les RH… », explique Xavier Le Guillermic, responsable d'un projet pilote qui devrait essaimer. À Djerba, les salariés de la buanderie, internalisés, travaillent désormais pour 4 000 lits. Un seul acheteur négocie pour toute la Tunisie. Cette plate-forme assure également la gestion des ressources humaines pour tous les GE (gentils employés), essentiellement locaux.

2 REMANIER L'ENCADREMENT

Finie, l'ère des cadres dirigeants issus du sérail. Philippe Bourguignon s'est très vite entouré de jeunes loups venus de multinationales et de cabinets de conseil, ce qui n'a pas forcément plu aux anciens de la maison. Surtout au siège, où ses déclarations ont parfois été brutales. « Nous taxer de tribu consanguine n'a pas été du meilleur effet », se souvient une salariée, au Club depuis plus de trente ans. Dans la garde rapprochée du président figurent Yves Martin, le directeur général adjoint, chargé du marketing et des ventes, Henri Giscard d'Estaing, « le fils de », responsable des cordons de la bourse, et Serge Ravailhe, un ancien d'Accor nommé directeur des opérations, qui siègent tous trois au directoire. Au sein du comité exécutif, les survivants de l'époque Trigano se comptent sur les doigts d'une main. Très vite aussi, Philippe Bourguignon s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas manœuvrer aussi librement qu'il le souhaitait avec les anciens du Club. Dans un climat social chahuté, il a décidé, il y a plus d'un an, de lancer un plan d'adaptation des ressources humaines (le Parh). En clair, un plan de départ volontaire pour les plus âgés, ou « plan social déguisé » pour ses détracteurs. D'abord prévu pour les plus de 52 ans, il a été étendu aux salariés de 48 ans.

« Tous les ans, l'âge moyen prenait dix mois », remarque Boris Pincot, jeune consultant de Bernard Brunhes venu rejoindre la DRH pour coordonner les projets à l'international. Un poste au siège était devenu le bâton de maréchal des plus dévoués au Club. Philippe Bourguignon justifie son Parh par « la pyramide d'âges inversée » de l'entreprise. « Jusque dans les années 80, le Club a recruté des jeunes, puis il s'est brusquement arrêté en 1992, d'où un vieillissement des salariés. On est loin d'être fini à 50 ans. Mais il fallait recréer une mobilité interne. » Près de 130 personnes ont ainsi quitté le Club dans des conditions confortables : 70 % de leur salaire jusqu'à 60 ans et une prime de départ de 80 000 francs.

À la tête de troupes rajeunies, Philippe Bourguignon a créé un forum management qui réunit près de 80 têtes pensantes chargées de conduire le changement. Il a aussi impulsé de vastes programmes de formation au siège et dans les villages. « Une entreprise se mesure à la capacité du management à suivre des changements culturels forts », souligne Franck Lemercier, qui a quitté le cabinet Bossard il y a deux ans pour s'occuper de la formation au Club Med. « Les managers doivent intégrer et relayer la stratégie mais aussi savoir travailler en équipe. » Avec un budget de 20 millions de francs par an et un service de formation largement étoffé, l'accent a été mis sur les formations au management, aux métiers et aux comportements « business ». « Terminées, les formations one shot lorsqu'un GO changeait de poste. On a souhaité instaurer un parcours de formation continue sur le long terme, de l'intégration jusqu'aux plus hauts postes », poursuit le jeune responsable. Tout l'encadrement peut demander des stages. Y compris les chefs de village, longtemps oubliés de la formation.

3 RECRUTER EN CONSERVANT L'ESPRIT CLUB

Pas question pour autant de faire une croix sur l'état d'esprit qu'avait su insuffler Gilbert Trigano. Philippe Bourguignon attend de ses collaborateurs qu'ils adoptent la « Club Med attitude », fondée sur la générosité, la curiosité, l'enthousiasme du « GO créateur de liens ». De Djerba à la Villette, chacun possède à portée de main sa petite brochure où figurent les engagements du Club. Une formalisation qui a fait grincer quelques dents. « Pourquoi réinventer un esprit qui était le nôtre ? s'interroge un cadre du siège. Quand le cœur n'y est plus, on ne peut pas artificiellement le décréter. » En partie à cause d'un recrutement davantage axé sur des critères professionnels que comportementaux, la direction a vu cette culture s'étioler. Elle a rectifié le tir en révisant ses processus de recrutement. « Ce qui se passe au Club Med World illustre bien notre démarche, souligne Laurent Amelineau. Plutôt que d'engager des professionnels que nous aurions formé à l'animation, nous avons choisi des personnalités avec des qualités d'ouverture, d'animation, que nous formons aux métiers de service. »

Décentralisé à Lyon, le service du recrutement dispose d'un centre d'appels intégré pour recueillir les demandes. « Nous sommes passés à la vitesse supérieure, explique Juvénal da Cunha, qui cornaque une équipe de recrutement de 38 salariés. Pour embaucher 3 000 GO par an depuis la France pour plus de 80 métiers, nous participons à une quinzaine de forums par an, développons des partenariats avec les écoles et des contrats de qualification et effectuons des campagnes de recrutement dans toute la France, sans oublier le site Internet. » Car le Club a cruellement besoin de sang neuf, particulièrement pour les emplois de réception, de restauration ou de maintenance. Sur 100 GO recrutés, il en reste la moitié la saison suivante et la plupart effectuent trois saisons. Mais le turnover s'est accéléré chez les saisonniers (près de 12 000 au total). Pour les permanents (soit 11 000 personnes), le turnover avoisine 10 %. D'où la nécessité de fidéliser. « Au-delà de trois à quatre ans en village, un GO peut se lasser. La période de réadaptation devient difficile, assure Philippe Bourguignon. On n'entre pas au Club pour la vie. Notre responsabilité est de susciter des évolutions de carrière pour un certain nombre de GO, dont nous avons besoin en interne, mais aussi dans d'autres entreprises avec lesquelles nous sommes en contact. » En visite dans une société de distribution d'articles de sport, le patron du Club a ainsi réalisé que le quart de ses effectifs sont d'anciens GO.

Pour fidéliser les premiers niveaux d'encadrement – responsables d'activités (animation, sport…) et chefs de village –, l'équipe Bourguignon a choisi d'accélérer le passage de CDD en CDI. Il n'était pas rare qu'un GO reste plus de dix ans saisonnier. À l'instar d'Émilienne, qui demande aujourd'hui devant les prud'hommes la requalification de ses vingt-trois ans de contrats saisonniers en CDI. Si le problème n'est pas réglé pour les GO de base, les chefs de service passent désormais automatiquement en CDI au bout de deux ans et demi (cinq saisons). Quant aux chefs de village, ils ont été valorisés et rendus plus autonomes. Auparavant, les cadrages en effectifs émanaient du siège. Aussi, quand Paris envoyait dix GO « voile » alors que six suffisaient, certains chefs pratiquaient la « chartérisation » : le renvoi du GO vers Paris par l'avion du soir. C'est dorénavant le tandem chef de village et patron de pays qui décide des effectifs nécessaires.

4 REMETTRE LES PENDULES À L'HEURE

Le Club Med n'est plus cet eldorado où des jeunes, sans qualification pour la plupart, acceptaient de partir au soleil pour un salaire modique. Si bon nombre d'étudiants font encore un petit tour au Club et puis s'en vont, les « habitués » sont devenus revendicatifs, notamment quant au respect des horaires. En dépit d'un très faible taux de syndicalisation en village, la fronde est née, il y a deux ans, dans les villages de montagne. Les salariés ont compris qu'en dépit d'une rémunération forfaitaire ils pouvaient exiger le paiement des heures supplémentaires. Et cela rétroactivement sur cinq ans.

Chef de village entré au Club comme saisonnier en 1979, Ahmed a en novembre dernier gagné aux prud'hommes la bagatelle de 1 million de francs au titre de ses heures sup non rémunérées et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause. « La défense du Club est toujours la même, souligne Michel Rembault, avocat qui traite une centaine de dossiers contre l'entreprise : travailler au Club Med n'est pas un emploi, c'est un mode de vie. Une notion qui ne figure pas dans le Code du travail ! » Côté direction, on s'étonne du fait que les salariés se plaignent subitement après des années de travail et, surtout, on s'inquiète des surenchères dans la prime au départ.

Fin 1999, en décrétant un jour de congé hebdomadaire obligatoire pour les GO, Philippe Bourguignon a reconnu implicitement que cette journée de repos n'existait pas. Une déclaration aussitôt utilisée par les salariés en litige contre le Club. « Il y avait une espèce de règle laissée à l'appréciation du chef de village, souligne l'intéressé. Nous l'avons systématisée. » Comme l'explique Philippe Claverotte, chef de village de Djerba la Douce depuis vingt ans au Club, « personne ne prenait son jour de repos ». « Mais, depuis l'an dernier, c'est institutionnalisé. Je veille à ce que les GO enlèvent leur badge ce jour-là, pour ne pas être sollicités par les gentils membres (GM), et qu'ils se reposent. Les chefs de village ont encore du mal à déconnecter. »

Les 35 heures ont, elles aussi, permis de clarifier la notion de temps de travail effectif. Pas facile, pour une entreprise sans convention de branche où les salariés vivent sur leur lieu de travail. Les syndicats (CGC, CFDT, FO et CFTC) sont tout de même parvenus à un accord. Au siège, les salariés travaillent 37 heures 30 par semaine et ont obtenu douze jours de RTT. Dans la vingtaine de villages français, l'horaire a été ramené à 39 heures. « Les temps d'activité (cours de voile, restauration…), l'aide aux arrivées et aux départs, les transports à l'aéroport entrent dans ces 39 heures, explique Chantal Brancier, au Club depuis trente ans et déléguée syndicale CFDT. En revanche, les repas avec les GM et les spectacles du soir sont considérés comme de la libre participation. » Savante ambiguïté. « On n'oblige personne à faire des spectacles, insiste la direction. Mais un GO qui refuse cet esprit club s'est trompé d'adresse et nous nous réservons le droit de ne pas lui renouveler son contrat. »

5 DÉSAMORCER LES BOMBES SOCIALES

Autre bombe à retardement : la gestion des contrats. Le Club version Trigano avait pris l'habitude de s'octroyer quelques libertés avec les codes du travail locaux. GO turc depuis neuf ans en procès contre son employeur, Kemal affirme n'avoir pas toujours été déclaré, notamment en Israël. Aujourd'hui, il réclame la délivrance de ses bulletins de salaire, la régularisation de ses cotisations et le paiement de ses heures sup. « Le problème concerne surtout les GO turcs, sénégalais, croates et italiens, souligne un délégué syndical en village. En Italie, par exemple, on avait la consigne de prévenir les cuisiniers croates en cas de descente de l'inspection du travail. L'été dernier, je les ai vus enlever tablier et badge et courir se baigner avec les GM jusqu'à la fin du contrôle. »

Aujourd'hui, la direction affirme se soucier de la couverture sociale des salariés. Les GO étrangers (hors CEE) en CDI passent systématiquement par une plate-forme à Londres chargée de délivrer des contrats britanniques dont les charges patronales ont l'avantage d'être moins élevées. Mais les salariés bénéficient ainsi d'une continuité de couverture sociale (santé, retraite…) tout au long de l'année, quel que soit le pays. Les GO permanents de l'Union européenne obtiennent un contrat français. « Cela étant, le problème reste entier pour les saisonniers, tempère un syndicaliste. Ces GO sous contrat anglais, voire local, ont souvent du mal à faire valoir leurs droits quand ils rentrent au pays ; notamment le paiement de leurs indemnités de chômage pendant les intersaisons. » Sous contrat local tunisien, payé l'équivalent de 5 800 francs mensuels en dinars, Pierre, saisonnier français, a pu dire adieu à la feuille jaune des Assedic.

6 REDISTRIBUER LES FRUITS DE LA CROISSANCE

Dans son travail de reconstruction, Philippe Bourguignon s'est attaché à bâtir une politique salariale digne de ce nom. Partant d'une anarchie totale sur les niveaux de salaire et les primes octroyées, la direction du Club Med a commencé par réintroduire les bonnes vieilles grilles de classification Hay. « Il fallait partir d'une base équitable pour ensuite évoluer vers davantage d'individualisation », souligne Laurent Amelineau, le DRH. Aujourd'hui, tout l'encadrement jusqu'aux chefs de service perçoit une partie variable en fonction des objectifs et des performances. Même réévalués, les salaires ne sont toutefois pas mirobolants. Pour les employés permanents affiliés au régime français de la Sécurité sociale, la fourchette se situe entre 8 000 et 15 000 francs mensuels. Quant aux GO de base, ils touchent l'équivalent du smic. Mais l'écart est encore plus flagrant lorsque les contrats de travail sont locaux.

À charge de travail égale, un moniteur de voile sénégalais ou marocain travaillant dans leur pays d'origine gagnent moins que leurs homologues français ou allemand. « La politique du Club est de calculer les salaires en fonction du pays où le GO est censé dépenser ses revenus, explique Moncef Blili, responsable de la GRH sur la plate-forme de Djerba. Ce qui justifie les différences. En revanche, si un Tunisien part travailler dans un village à l'étranger, son salaire se calque sur un smic français. »

Avec le retour des bénéfices, l'ensemble des salariés attendent des signes forts. « Depuis l'arrivée de Philippe Bourguignon à la tête de l'entreprise, il y a eu pas moins de cinq plans de stock-options pour l'encadrement, souligne Paul Guertner, délégué du personnel CFTC. Les salariés souhaitent une redistribution des fruits de la croissance. » Après une première tentative avortée l'an passé en raison d'une chute de l'action, un plan d'actionnariat salarié devrait être ouvert le mois prochain assorti d'un plan d'épargne d'entreprise avec effet de levier. Les partenaires sociaux veillent en outre scrupuleusement à ce que les GO ne perdent pas leur pouvoir d'achat. D'autant que des menaces planent sur leurs vacances.

Depuis l'époque Trigano, les salariés, leur conjoint et leur(s) enfant(s) peuvent séjourner gratuitement et pendant cinq semaines par an (mais seulement trois semaines pour les nouveaux arrivants) dans n'importe quel village du Club pourvu qu'il y ait de la place. Un avantage appréciable qui se chiffre entre 40 000 et 80 000 francs par an pour un couple avec deux enfants. Mais l'Urssaf a considéré que cela constituait un avantage en nature. Et, depuis fin décembre 2000, les règles du jeu ont changé. Les salariés du Club auront à payer une partie de ces prestations. « Le sujet est chaud », résume un syndicaliste. Philippe Bourguignon devra savoir trouver les mots – et les solutions – pour rassurer ses gentils organisateurs.

Entretien avec Philippe Bourguignon.
« La RTT était l'occasion de passer conventions de branche et Code du travail au marteau piqueur »

Dans son bureau situé à deux pas de la Villette, Philippe Bourguignon a installé un « link trainer ». Armé de l'un de ses multiples téléphones portables dont il ne se dépare jamais, ce bourreau de travail, prompt à convoquer ses proches collaborateurs aux aurores, parcourt ainsi plusieurs kilomètres par jour sur son tapis roulant. Auréolé d'une carrière internationale chez Accor et d'un beau parcours à Disneyland Paris, cet homme de 52 ans, rompu à l'école des loisirs, colle bien à l'image du Club. Passionné de voile – il détient avec Bruno Peyron un record de traversée de la Manche –, il n'hésite pas à survoler le Ténéré en hélico avec le photographe Yann Arthus Bertrand ni à débarquer grimé en rocker devant un parterre de GO. Philippe Bourguignon n'a cependant pas l'âme d'un boy-scout. Pour construire une politique sociale organisée, il a, en trois ans, entièrement relifté le club mythique des Trigano.

Votre image de « financier à l'américaine » a-t-elle pesé dans les relations sociales au Club Med ?

Le financier est sous-jacent à tout. Sans résultat, il n'y a pas de politique sociale, pas de produit, pas de client. L'impératif était de remettre en état une entreprise qui avait du mal à digérer son passé. Si le financier avait été la priorité, on aurait licencié 2000 personnes, serré les boulons partout, fait du résultat pour rebâtir l'entreprise. On a fait l'inverse. On a engagé des changements en demandant de l'argent et du temps à nos actionnaires. Quant au label « américain », c'est plutôt amusant. Je passais à Disneyland pour le Français qui a humanisé une entreprise américaine et, en arrivant au Club, je suis devenu l'épouvantail américain dans une entreprise française. Ces deux clichés ont beaucoup compliqué la mise en place d'une nouvelle politique sociale et d'autres outils de gestion.

Comment s'y prend-on avec une société très paternaliste ?

Mais Disney était incroyablement paternaliste. L'entreprise avait, par exemple, créé un service, que nous avons supprimé, qui s'était substitué au comité d'entreprise. Il fonctionnait avec des budgets faramineux mais décidait du bien des salariés à leur place. Le Club n'aurait pas existé sans forme de paternalisme, ni sans Gilbert Trigano, mélange de visionnaire et de pragmatique à court terme. Mais on ne peut plus gérer ainsi 120 villages et 23 000 GO dispersés aux quatre coins du monde. C'était vrai au niveau du social mais aussi du marketing. On pouvait soit se recentrer, soit opter pour des formes de croissance qui nécessitent des changements en profondeur au niveau du management et des structures, sans pour autant remettre en cause les valeurs du Club.

Pour cela, vous avez jugé nécessaire de bouleverser les équipes du siège

J'ai toujours dit qu'il y aurait des changements importants, un mix de gens venant de l'extérieur et de l'intérieur pour créer une nouvelle culture managériale. Cela étant, les changements ont été probablement plus importants que je ne le pensais au départ. L'échec crée une culture de loosers. Il est extrêmement difficile de motiver des gens, même très compétents, qui se sont trop longtemps résignés. À la différence de Disney, une société jeune qui n'était pas entrée dans cette dynamique. À cela s'était ajouté un autre phénomène : les budgets de recrutement avaient été coupés. Les GO restaient plus longtemps dans les villages, n'étaient pas préparés à leurs tâches futures et réintégrés au siège, créant ainsi une culture consanguine, d'amish. Nous n'avons rien réinventé mais formé les gens aux changements que nous avons opérés.

Pourquoi n'avez-vous pas modifié le management dans les villages ?

Nous n'avions pas ce problème de rigidité en village à cause du nomadisme. Les GO devaient même impérativement changer de village pour éviter qu'ils ne « s'installent ». Le mouvement était volontairement brisé tous les six mois pour casser les liens entre les individus, jusqu'aux liens personnels. Le nomadisme ne doit pas être remis en cause mais on a voulu le réorganiser. Si on a dû investir 2 milliards de francs dans les villages, c'est pour réparer quinze ans de gestion par des gens qui partaient trop vite. Un responsable de maintenance qui reste six mois dans un village ne peut pas faire de prévention. Aujourd'hui, on souhaite qu'il reste deux ans dans un village ouvert toute l'année. Même cas de figure pour le responsable de la restauration et le gestionnaire.

Le soleil et les voyages suffisent-ils à balayer les revendications sociales ?

Les salariés revendiquent davantage. C'est un défi à tous et c'est la richesse de l'environnement que l'on peut créer qui permet aux individus de s'épanouir. D'où la mise en place de la « Club Med attitude ». Ces valeurs comportementales fondées sur la générosité, la créativité ne sont pas que des mots. C'est la responsabilité du siège, des pays, mais aussi du middle management de favoriser ce climat. Mais, paradoxalement, c'est souvent ce dernier qui est le plus intransigeant. D'où la formation nécessaire de l'encadrement.

Les 35 heures sont-elles compatibles avec une activité de loisirs ?

Mes premières positions n'étaient pas défavorables aux 35 heures. Mais, en France, la manière dont le patronat et les syndicats ont géré leurs relations est épouvantable. Du côté du patronat, c'étaient des apparatchiks et non pas des entrepreneurs qui menaient les débats, même si, depuis, Ernest-Antoine Seillière a entrepris une énorme tâche de transformation. L'addition de ces conventions de branche et du Code du travail est un mille-feuille ingérable avec des coûts sociaux incroyablement élevés, qui ne profite ni aux individus ni aux entreprises. Un coût largement supérieur à celui des 35 heures. La RTT était l'occasion unique de passer tout ça au marteau piqueur. J'ai regretté qu'on n'ait pas explosé le Code du travail. Nos appareils sont trop dirigistes et ne font aucune confiance aux individus.

Le Club est redressé. Vous êtes attendu sur le partage des profits.

On est toujours attendu ! Mais il nous faut trouver un équilibre entre une bonne rentabilité de l'actionnaire, une prestation de qualité et les souhaits des GO. Nous allons promouvoir des plans d'intéressement et d'actionnariat salarié. Un plan sera ouvert en mars, avec des critères d'éligibilité. Nous sommes en train de construire le premier étage de la fusée mais, dans deux à trois ans, il faudra élargir. Ce serait une grave erreur de ne le réserver qu'aux salariés en France.

Après cinq ans de vaches maigres, la participation va-t-elle redécoller ?

Par rapport au système précédent de participation, qui était un peu opaque et plutôt arbitraire, la redistribution est aujourd'hui plus équitable. Nous avons préféré mettre en place des systèmes d'évaluation. Le management, jusqu'aux chefs de village, a une partie de sa rémunération indexée sur les performances. Le système devrait être étendu aux chefs de service.

Comment considérez-vous l'épargne salariale ?

Les pays anglo-saxons sont très stock-options et l'actionnariat salarié est relativement peu développé si ce n'est au travers de l'investissement retraite et des fonds de pension. Avec une contradiction de taille aux États-Unis : les fonds de pension demandent des niveaux de rentabilité de plus en plus élevés qui peuvent conduire à des politiques sociales agressives au détriment de ceux auxquels ça rapporte. Pour autant, les fonds de pension sont un bon système de retraite et permettent aux salariés d'être des actionnaires de l'entreprise.

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Jean-Paul Coulange