logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Repères

Un psychodrame et de mauvais acteurs

Repères | publié le : 01.02.2001 | Denis Boissard

Rebelote. Après le mauvais feuilleton de l'assurance chômage, ses vrais-faux suspenses et ses multiples rebondissements, les mêmes acteurs –  le patronat, les syndicats et l'État en embuscade – nous refont un psychodrame sur l'avenir des retraites.

Le décor est connu, archiconnu. Il a été planté par d'innombrables rapports. Petite piqûre de rappel à l'intention de ceux auxquels ce tableau – plutôt sombre – aurait encore échappé : sous l'effet du recul de la natalité, de l'allongement de l'espérance de vie et de l'arrivée imminente à la retraite des générations florissantes du baby-boom de l'après-guerre, il y aura à l'avenir moins d'actifs pour payer les pensions de retraités de plus en plus nombreux. Alors qu'il n'y a aujourd'hui que quatre retraités pour dix cotisants, on en comptera un peu plus de cinq en 2020, plus de six en 2030 et sept en 2040. Le choc financier sur les régimes de retraite par répartition est donc inéluctable.

Le scénario idéal, clef du succès de la pièce qui se joue sur les retraites,

est aussi connu. Pour garantir la survie du système, il faudra soit relever les taux de cotisation des actifs, soit baisser le niveau de pension des retraités, soit allonger la durée de cotisation requise pour toucher une retraite à taux plein, soit – et c'est la solution la plus équitable – un cocktail entre ces trois mesures. Un mélange délicat à doser, auquel on peut ajouter une pincée de réserve en capitalisation pour rendre la médication un peu moins indigeste.

C'est avec le jeu des acteurs que les choses se gâtent. Dans les coulisses, les pouvoirs publics jouent aux abonnés absents, tétanisés par la perspective des prochaines échéances électorales. Pour contrer un procès –  justifié – en immobilisme, deux contre-feux ont été allumés. Tout d'abord, la création d'un fonds de réserve doté de 50 milliards de francs et qui sera, promet le gouvernement, riche de 1 000 milliards à l'horizon 2020. Une promesse qui, selon la formule, n'engage que ceux qui l'écoutent. Car, fort dépensière avec les deniers publics, la maison France tarde à sortir du rouge. Or, pour alimenter sérieusement le fonds créé l'an dernier, il lui faudrait dégager de confortables excédents budgétaires. De surcroît, le chiffre avancé par Lionel Jospin est à mettre en regard avec les 290 milliards de déficit annuel des régimes de retraite, évalués (à législation inchangée et avec un chômage ramené à 6 % de la population active) par le rapport Charpin à l'horizon 2020. L'autre parade des pouvoirs publics, c'est la mise en place du Conseil d'orientation des retraites, chargé de poursuivre la concertation engagée dans le cadre de la commission Charpin et d'actualiser ses travaux, le gouvernement caressant le secret espoir que l'amélioration de l'emploi et donc des rentrées de cotisations rendra la facture moins douloureuse.

Dans la tragi-comédie qui se joue sur les retraites complémentaires,

le courage n'est pas non plus la vertu cardinale des acteurs syndicaux. Certains adoptent sans vergogne la politique de l'autruche. FO n'hésite pas, par exemple, à revendiquer le retour du privé aux 37,5 années de cotisation. D'autres – plus réalistes – pratiquent la danse du crabe, trois pas en avant, deux pas en arrière, corsetés qu'ils sont par le refus catégorique de leurs troupes du public de lâcher la moindre parcelle de leurs avantages acquis dans ce domaine. Les uns et les autres ne sortent pas grandis de la manifestation fourre-tout du 25 janvier, qui a vu défiler en masse les bataillons du secteur public pour la défense de leurs intérêts, alors que seuls les salariés du privé sont, pour l'heure, mis à contribution.

Reste l'acteur patronal.

Dans les discussions sur les retraites complémentaires, son jeu ne s'embarrasse guère de fioritures. Le Medef négocie avec la subtilité du bulldozer et la délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il a mis d'emblée la barre très haut (porter de 40 à 45 ans la durée de cotisation requise d'ici à 2023) et n'en démord pas, refusant même de saisir les perches que lui a tendues la CFDT, avec le but évident de contraindre le gouvernement à sortir du bois sur la question des retraites. Le problème, c'est que sa position n'est pas aussi solide qu'il semble le croire. Tandis que l'organisation patronale envisage froidement de reculer de cinq ans le départ des salariés à la retraite, ses branches (automobile, papier-carton, carrières et matériaux, chimie, banques) signent à tour de bras des accords de cessation anticipée d'activité à partir de 55 ans. Vive la schizophrénie ! Par ailleurs, sa focalisation sur le seul paramètre de la durée de cotisation et son veto à une quelconque hausse de cotisations sont ambigus. Ne cachent-elles pas le souhait de laisser du grain à moudre pour la capitalisation, s'interrogent certains, en observant que Denis Kessler, qui dirige la manœuvre, défend aussi les intérêts des assureurs.

Plutôt que de jouer les fiers-à-bras, le Medef aurait dû pratiquer une politique de petits pas, peut-être moins flamboyante, mais au bout du compte plus productive.

Auteur

  • Denis Boissard