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Politique sociale

Turbulences à la CFDT chez Michelin et EDF

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.02.2001 | Valérie Devillechabrolle

La jeune FCE-CFDT, née de la fusion des fédérations cédétistes Chimie et Énergie, vit des heures difficiles. Une partie de ses troupes d'EDF-GDF revendiquent la création d'une structure autonome, tandis que bon nombre de ses militants de Michelin contestent son souhait de signer sur les 35 heures.

Décidément, les fusions ne sont pas un long fleuve tranquille. Et pas seulement dans les entreprises. Près de quatre ans après avoir été porté sur les fonts baptismaux, le biréacteur FCE-CFDT, né du regroupement des fédérations cédétistes de la Chimie et de l'Énergie, traverse une zone de turbulences préoccupante. À EDF comme chez Michelin, une partie des troupes contestent ouvertement la ligne fédérale incarnée par le « chimiste » Jacques Kheliff. Il est vrai que le pari était osé. À Lyon, en mai 1997, l'« électricien » Bruno Léchevin et Jacques Kheliff célébraient les vertus de la plus grande fusion jamais réalisée au sein de la CFDT entre deux entités de cette importance (plus de 20 000 adhérents chacune). Une gageure, tant les mariés semblaient différents : alors que la Fédération de l'énergie fonctionnait comme un supersyndicat d'entreprise publique chez EDF et Gaz de France, la Fédération de la chimie était déjà organisée en sept branches, pour l'essentiel issues du privé. Qu'importe ! C'est justement « pour lutter contre le corporatisme et le repli sur soi » que ces deux adeptes du syndicalisme contractuel avaient placé d'emblée la barre très haut, en choisissant la mixité totale des équipes et des moyens.

Aujourd'hui, il ne reste plus grand monde de l'ancienne équipe dirigeante de l'énergie. Suite à leur désaveu par le dernier congrès de la FCE, ou par solidarité avec leur ancien leader, la quasi-totalité a imité Bruno Léchevin, parti en mai 1999, et quitté l'exécutif de la nouvelle fédération. Seuls rescapés, les deux administrateurs d'EDF et de GDF (qui ont, depuis, perdu leur label CFDT) ont tenté en décembre une ultime rébellion en annonçant la création de Synergie CFDT. « Cette nouvelle structure constitue la seule façon de porter une action revendicative à l'échelle des électriciens-gaziers », plaide Hervé Gouyet, l'un de ses porte-parole, en revendiquant une « plus grande autonomie politique et financière ». « Inacceptable », rétorque Jacques Kheliff, qui vient de recevoir le soutien du bureau national de la confédération. « Cela revient, souligne le patron de la FCE, à reconstituer un syndicat d'entreprise, à l'opposé du syndicalisme fédéré et confédéré défendu par la CFDT. »

Un mano a mano au sommet

Entre les dissidents et l'exécutif fédéral, le désaccord porte autant sur la forme que sur la stratégie syndicale. En intégrant la nouvelle fédération, les responsables de l'ancienne équipe de l'énergie entendaient négocier la mutation sociale d'EDF et GDF, appelés à perdre leur monopole, en profitant de l'expérience du privé de leurs nouveaux collègues. Sous la houlette de Bruno Léchevin, venu du secteur industriel d'EDF, ils ont profité de l'opposition systématique pratiquée par la CGT pour conclure une série d'accords, sur le temps de travail notamment, avec des directions d'entreprise à la recherche d'un partenaire syndical responsable. Pour Jacques Kheliff, cette stratégie syndicale ne présente pas que des avantages. D'un côté, elle n'offre pas toutes les garanties d'indépendance. Le responsable fédéral en veut pour preuve le fait que depuis que l'équipe, issue pour la plupart de la filière nucléaire, a pris les rênes, la CFDT ne joue plus son rôle de « vigie du nucléaire ». Il constate aussi que ce « mano a mano de sommet » était de toute façon compromis par la décision des deux P-DG de renouer le dialogue avec la CGT, le syndicat majoritaire, ce qui tend à « escamoter la légitimité contractuelle précédemment octroyée à la CFDT ».

Mais le principal reproche fait aux promoteurs de Synergie est de n'avoir pas su prendre du recul et dépasser leur « corporatisme de filière », dixit Jacques Kheliff, en se fondant dans le nouvel ensemble. « À l'instar de leurs homologues d'autres entreprises publiques, ils ont tendance à être électriciens et gaziers avant d'être syndicalistes », confirme un consultant, bon connaisseur d'EDF et du syndicalisme. « Cette accusation caricature notre démarche, assise sur l'histoire et la culture des industries électrique et gazière », s'insurge l'un des responsables sanctionnés, en rappelant que les accords portant sur la lutte contre l'exclusion ou les propositions cédétistes relatives au droit à l'énergie pour tous « sont bien loin des seuls intérêts des salariés d'EDF ». Au-delà de ce désaccord de fond, les dissidents de la branche énergie ont été laminés par l'efficacité du mode de fonctionnement fédéral. Pour réussir à tirer dans le même sens sept branches très diverses – allant du caoutchouc au papier-carton en passant par le pétrole et la pharmacie –, l'ex-Fédération de la chimie s'est imposé des règles strictes. « Le débat se noue au niveau du comité directeur – l'équivalent du parlement fédéral –, il est tranché, et la décision majoritaire s'applique », résume Jacques Kheliff. Une mécanique bien huilée à laquelle n'étaient pas préparés les anciens de l'énergie, plutôt habitués à « un mode de fonctionnement communautaire, spontané et informel », selon les propos d'un observateur qui les connaît bien. Pour les dissidents, elle présente toutefois une faille : « Le caractère démocratique du débat est mis à mal dans la mesure où l'essentiel des syndicats qui composent ce comité directeur tirent leurs moyens financiers de l'exécutif fédéral. Lequel n'hésite pas à exercer un véritable chantage aux moyens en cas de désaccord », dénonce Hervé Gouyet. « Pure calomnie », répond Jacques Kheliff.

Malheureusement pour le patron de la FCE, ce n'est pas la seule brèche interne qu'il doit aujourd'hui colmater. Rien ne va plus en effet à la CFDT des « Bibs ». La décision de la fédération de demander à la direction de Michelin l'organisation d'un référendum sur le projet d'accord 35 heures suscite une véritable rébellion sur le terrain. La majorité des membres de la liaison CFDT des usines du groupe ont réclamé la démission de Jacques Kheliff pour protester contre ce « coup de force fédéral ». La FCE est accusée de vouloir passer outre l'avis des militants opposés à l'accord. « Ce n'est pas de notre part une lubie subite d'en découdre avec nos militants, se défend le numéro un fédéral. Mais nous pensons que cet accord de réduction du temps de travail propose des avancées non négligeables et surtout qu'il constitue un défi formidable pour moderniser le social chez Michelin. »

Un rejet légendaire des syndicats

Principal reproche des Bibs cédétistes à leur fédération : avoir sacrifié le contenu au profit du symbole que représenterait la signature d'un accord dans cette entreprise jusque-là réputée pour son rejet légendaire des syndicats. « Dès la fin août, nous avons senti que la fédération voulait absolument un accord », raconte Jean-Marc Debrion, délégué syndical national CFDT de Michelin, qui pointe les insuffisances du projet : « ouverture d'une dérogation permanente au repos dominical des salariés postés, insuffisance des jours de RTT obtenus et faiblesse des engagements de création d'emplois au regard du rythme toujours aussi élevé des suppressions ». Mais, pour Jean Barat, secrétaire (CFDT) du nouveau comité d'entreprise européen, qui, lui, défend l'accord, l'essentiel est ailleurs : « Depuis que le syndicalisme existe chez Michelin, c'est la première fois que la direction prend en compte certaines de nos revendications, comme la garantie du maintien du pouvoir d'achat pour trois ans. » Pour lui comme pour la majorité du comité directeur fédéral, signer avec Édouard Michelin, qui a succédé à son père en 1999, revient à « faire un pari sur la capacité de changement du social dans l'entreprise ». « Avec cet accord, le syndicalisme s'ouvre une porte vers d'autres champs de la négociation: intéressement, participation, droit syndical, renchérit Jacques Kheliff… Non seulement cela vaut le coup d'être tenté, mais il n'y a pas d'autre alternative. »

Marqués par le climat d'antisyndicalisme en vigueur du temps de François Michelin, et incapables de tourner la page, nombre de militants cédétistes ont tiré les conséquences de leur divergence avec la FCE en rendant leur tablier : « La fédération nous a fait comprendre qu'elle n'avait plus besoin de nous », constate, amer, Gilles Poirier, secrétaire du syndicat de l'usine de Joué-lès-Tours. À l'instar de ce dernier et de Jean-Marc Debrion, beaucoup ont franchi le pas et créé une section SUD. Chez Michelin comme à EDF, la FCE-CFDT doit maintenant prouver qu'elle est capable de rebondir… sur de nouvelles bases.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle