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Le marché sera difficile à capter

Dossier | publié le : 01.02.2001 | F. C.

Les nouveaux outils d'épargne salariale, PPESV et PEI, auront-ils le succès escompté ? Tout dépend de l'attrait que ces nouvelles formules exerceront auprès des petites, voire très petites, entreprises, mais aussi de la capacité des opérateurs à les convaincre de leur utilité.

Il a fallu plus de vingt ans pour que l'épargne salariale commence à susciter un début d'intérêt dans les grandes entreprises. On peut donc se montrer sceptique sur ses chances de développement, à court terme, dans les PME, a fortiori dans les très petites entreprises. Souvent mal informés, peu équipés pour bâtir des produits adaptés à leurs besoins, les employeurs ne sont pas a priori demandeurs de produits nouveaux. Avec les plans Fabius, la situation risque bien d'être la même que celle rencontrée en 1993 avec les fonds de retraite Madelin destinés aux entreprises individuelles et dont le décollage s'est révélé particulièrement laborieux.

Conscient du danger, le gouvernement a glissé in extremis dans le projet de loi une disposition permettant de financer la mise en place du plan d'épargne interentreprises. L'intention est louable. Elle aura pourtant du mal à masquer le sentiment d'extrême complexité qui ressort du texte. Exemple probant ? Celui des délais. Les versements et transferts au PPESV doivent s'effectuer dans un délai de cinq ans à compter de la date du premier versement et être conservés au minimum dix ans, durée de blocage du plan. Par ailleurs, les titres souscrits lors d'une augmentation de capital réservée sont bloqués au minimum sept ans. Les titres souscrits dans les trois ans suivant le premier versement doivent être détenus jusqu'à l'expiration d'un délai de dix ans. Trois ans, cinq ans, sept ans, dix ans, bravo pour la confusion entretenue entre durée de blocage des sommes versées et durée du plan.

Gymnastique et perplexité dans les entreprises

À terme, le nouveau système présente une faille majeure. Il semble admis qu'un salarié puisse n'effectuer des versements que dans les toutes dernières années du plan pour bénéficier des 30 000 francs d'abondement de l'entreprise, auquel cas on voit mal qu'on puisse bénéficier d'un avantage fiscal sans la contrepartie que constitue l'indisponibilité des sommes déposées. On imagine la gymnastique que devra s'imposer l'entreprise pour assurer une gestion individualisée du PPESV.

Mais les difficultés pour les employeurs ne s'arrêteront pas là. Ramener de six à deux mois la condition d'ancienneté pour bénéficier de l'intéressement ou de la participation, tout comme faciliter les transferts de comptes d'une entreprise à une autre ou imposer la remise d'états récapitulatifs aux salariés quittant l'entreprise à seule fin de favoriser la mobilité visent à l'évidence à étendre l'épargne salariale au plus grand nombre. Mais cela se traduira par des coûts de gestion élevés, pas toujours compensés par un régime fiscal plus avantageux.

Si le passage par le plan d'épargne interentreprises permet de réduire les coûts en les mutualisant, la loi reste très imprécise sur les modalités d'adoption d'un PEI. « Dans quelles conditions et à quel niveau s'ouvrira la négociation sur leur mise en place ? En cas de carence d'accord, une mise en place unilatérale par une entreprise sera-t-elle possible ? Par ailleurs, si l'accord envisage de faire appel à une société de gestion, ne faut-il pas prévoir une obligation d'appel d'offres ? » s'interroge Chantal Cumunel, de l'Observatoire de l'actionnariat salarié en Europe.

Sur la finalité même du PPESV, les spécialistes affichent la plus grande perplexité. Notamment parce que « la durée de blocage retenue entretient à tort la confusion avec l'épargne retraite », estime l'ancien ministre Jacques Barrot. Membre du directoire d'Inter Expansion, filiale spécialisée dans l'épargne salariale du groupe CRI, Martine Tessières est particulièrement dubitative face à ce produit présenté comme un plan à long terme : « Il semble plus proche d'un produit d'assurance vie multisupport que d'un produit à long terme. Un investissement plus important en actions est dans la logique d'un placement de long terme. Or je m'interroge sur la part investie en actions diversifiées, alors qu'il sera plus naturel d'aller vers des produits de taux. »

Après-demain peut-être…

Ces incertitudes n'entament pas l'intérêt des opérateurs. Il est vrai que, sur le papier, ce nouveau marché s'annonce prometteur. Vingt millions de salariés sont potentiellement bénéficiaires d'épargne salariale. L'obligation annuelle de négocier devrait déboucher, d'ici à quelques années, sur une meilleure connaissance des outils de l'épargne salariale et l'engouement des salariés des PME être au rendez-vous. Et si les difficultés s'amoncellent pour les retraites, obligeant les salariés à compléter leur pension par une formule d'épargne, le bingo n'est pas loin. En tout cas, cette perspective ne peut qu'encourager la constitution d'une offre intégrée sur laquelle travaillent tous les opérateurs.

Tels sont quelques-uns des arguments flatteurs de l'épargne salariale. Il en existe un autre, lié à la situation actuelle sur le marché de l'épargne retraite. Le classement des opérateurs (voir tableau, page 78) montre clairement que les banques, voire les institutions de prévoyance à travers leurs filiales d'épargne salariale, ont pris d'assaut les grandes entreprises. Or les sociétés d'assurance ont une revanche à prendre auprès de cette cible, en travaillant notamment en partenariat avec les institutions de prévoyance. Soucieux de se protéger contre la concurrence, les cabinets de gestion restent naturellement discrets sur la stratégie qu'ils vont mettre en œuvre dès que les décrets d'application de la loi Fabius seront publiés, vraisemblablement à la mi-mars. Des textes qui sont particulièrement attendus, compte tenu des zones d'ombre actuelles.

Ne pas affoler le chaland

Deux politiques seront alors possibles pour les opérateurs. La première consistera à s'adresser directement aux salariés. Compte tenu de l'émiettement du marché et de l'absence de sensibilisation des salariés sur ce sujet, c'est bien évidemment la voie la moins prometteuse à court terme. La seconde passera par le plan d'épargne interentreprises. « Très clairement, nous étudions une offre dans ce cadre », indique-t-on à Interépargne, filiale de la Bred, leader sur le marché de l'épargne salariale. « Il est probable que nous nous trouverons face à des initiatives croisées au niveau de la profession et sur le plan local, indique Martine Tessières. Les groupements locaux, tout comme les chambres de commerce, participeront à cette émulation. Nous nous attendons à un foisonnement d'initiatives dans un domaine où tout est à construire. »

La tonalité n'est guère différente aux AGF. Patrick Warin, directeur des assurances collectives, précise que son groupe prendra rapidement une participation dans une importante structure gérant de l'épargne salariale – le groupe CRI confirme que des discussions sont effectivement en cours avec l'assureur. Les AGF travaillent parallèlement à la mise au point de nouveaux schémas de prospection et de distribution avec des modèles de regroupement sur des bases professionnelles, sectorielles ou géographiques. C'est à leur niveau qu'interviendront les opérateurs pour ne pas affoler le chaland. « On ne parlera surtout pas intéressement, participation, PEE, PPESV ou PEI au candidat à l'adhésion », précise Martine Tessières.

Gérer la complexité en matière d'épargne salariale, c'est aussi décharger l'entreprise de toutes les tâches matérielles liées à la gestion de cette épargne. Désormais habitués à gérer la prévoyance flexible, c'est-à-dire adaptée aux besoins de chaque membre du personnel et de sa famille, les assureurs sont bien armés pour construire une offre personnalisée. Sauf qu'il s'agit cette fois-ci d'aller encore plus loin et de concevoir, à côté de comptes individuels, des outils permettant à chacun de suivre la gestion de son épargne, voire de choisir en toute connaissance de cause entre des formules de placement plus ou moins dynamiques, offrant plus ou moins de sécurité. Lettre d'information adressée aux salariés, service reporting en temps réel, conseils par Internet… Sur tous ces créneaux, les assureurs entendent bien être présents. Mais ils ne seront pas les seuls. Car si personne ne croit à une explosion du marché demain, après-demain est une autre histoire…

Auteur

  • F. C.