Dispositif emblématique des ordonnances Macron, la rupture conventionnelle collective (RCC) est déjà en vigueur. Plusieurs entreprises, dont certaines aguerries aux plus traditionnels plans de départ volontaire (PSA notamment), ont d’ores et déjà engagé des négociations en ce sens. Quel est l’objet ? Quels sont les enjeux de ce nouveau dispositif ?
L’objectif de la RCC est clair : éviter de passer par la case « licenciements économiques » pour supprimer des emplois. L’objectif était déjà celui des PDV mais la volonté d’évitement est poussée jusqu’au bout puisque l’application du droit du licenciement pour motif économique est purement et simplement exclue. Logique se dira-t-on probablement ! Pas si évident car la procédure des licenciements pour motif économique est progressivement devenue, à partir des années 1990, une procédure applicable aux suppressions d’emploi pour motif économique, quelle qu’en soit la forme (licenciement, mise à la retraite, départ volontaire).
La question qui se pose immédiatement est de savoir si un tel dispositif fonctionnera. On a à l’esprit l’échec de dispositifs présentés comme emblématiques notamment les accords de maintien de l’emploi ou les accords de préservation et développement de l’emploi ! Le terrain semble plus favorable pour la RCC car elle surfe sur le succès des PDV. Ceci étant, il n’est pas certain que le passage des PDV aux RCC se fasse si facilement. Côté employeur, on voit aisément l’intérêt de la RCC : pouvoir s’extraire à la fois de la procédure des licenciements pour motif économique (information-consultation, PSE, même allégé, priorité de réembauche, etc.) et du motif économique, et ainsi pouvoir supprimer des emplois en dehors de toute cause économique au sens du Code du travail. La réduction des coûts ou le rajeunissement de la pyramide des âges (attention toutefois à la discrimination lorsque les départs concernent pour l’essentiel des seniors) peuvent parfaitement justifier une RCC. L’intérêt de la RCC est surtout pour les entreprises en bonne santé (ce qu’on voit d’ores et déjà avec l’exemple de PSA) puisque celles en situation de difficultés économiques auront souvent intérêt à utiliser la voie du PSE. L’employeur sait que s’il a recours à un PSE unilatéral l’administration jugera les mesures du PSE à la lumière des moyens – limités si elle est en difficultés – de l’entreprise ! Il est donc peu probable qu’il accepte de mettre des moyens importants dans une RCC.
L’intérêt pour les syndicats de signer une RCC est moins évident. Tout dépendra des avantages que l’employeur proposera de faire figurer dans l’accord ! Le volet indemnitaire (les fameux chèques valise) sera certes essentiel et on peut penser que les syndicats ne signeront pas si l’accord se limite au minimum légal, à savoir le montant de l’indemnité légale qu’aurait perçue le salarié en cas de licenciement. Il faudra aussi des mesures non financières du type aide au reclassement externe ; à ce propos, le texte guide les négociateurs en mentionnant des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ; l’enjeu sur le reclassement est très important car, à défaut d’application du droit du licenciement pour motif économique, les salariés concernés, à qui le PSE ne sera pas applicable, ne se verront pas non plus proposer un congé de reclassement ou un contrat de sécurisation professionnelle (contrairement aux PDV classiques).
Pour que la RCC soit valablement mise en place, il faut un double accord.
Un accord collectif d’abord. Le plus probablement ce sera un accord d’entreprise mais au vu de la rédaction du texte, un accord de branche n’est pas exclu (en cas d’articulation avec l’accord d’entreprise, ce dernier prévaudrait quel que soit son contenu). Cet accord, majoritaire, doit contenir un certain nombre de clauses obligatoires : (1) les modalités d’information du comité social et économique ; (2) le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées, et la durée de mise en œuvre de la RCC ; (3) les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier ; (4) les critères de départage entre les potentiels candidats au départ ; (5) les modalités de calcul des indemnités de rupture ; (6) les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ des salariés ; (7) des mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés ; (8) les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l’accord collectif.
Une fois l’accord conclu (l’existence même d’une information-consultation du CSE sur le projet de mise en place de la RCC fait débat, le texte ne la prévoyant que pour le suivi de l’accord), l’employeur l’adresse à l’administration pour validation. En l’état actuel du texte, la validation de l’accord suppose que l’administration vérifie (1) sa conformité à l’article L. 1237-19 du Code du travail, à savoir le fait que le dispositif exclut bien tout licenciement ; (2) la présence (la formule pourrait évoluer vers un contrôle plus fort) dans l’accord portant rupture conventionnelle collective des clauses obligatoires ; (3) La régularité de la procédure d’information du comité social et économique.
L’autorité administrative notifie ensuite à l’employeur, au CSE et aux organisations syndicales représentatives signataires la décision de validation dans un délai de quinze jours, sachant que le silence de l’administration vaut ici validation. Comme en matière de licenciement économique, les entreprises ou groupes d’une certaine taille doivent contribuer à la revitalisation du ou des bassins d’emploi si, par leur ampleur, les suppressions d’emploi en affectent l’équilibre.
Un accord individuel ensuite. Une fois l’accord collectif validé, il est possible de conclure les conventions de rupture. Les salariés vont donc se porter candidats selon les modalités prévues par l’accord collectif. Il s’agit, comme pour les PDV classiques, d’un accord régi par le droit commun des obligations, et non par les règles spéciales régissant la rupture conventionnelle individuelle. Les exigences sont ici minimes, comme pour les PDV (simple exigence d’écrit).
Comme pour tout dispositif nouveau, on n’échappera pas à des difficultés pratiques et à des interrogations sur le sens et la portée du dispositif, notamment sur son articulation avec, d’une part le PSE, d’autre part le PDV. L’articulation avec un éventuel PSE constitue l’une des principales interrogations. La crainte de voir la RCC utilisée comme un PSE déguisé n’est pas pur fantasme. L’entreprise aura souvent un objectif cible en termes de suppressions d’emploi et il est tout sauf certain qu’il y ait suffisamment de volontaires pour l’atteindre. Il est totalement exclu, dans le cadre de l’accord de RCC, de prévoir qu’en cas de nombre insuffisant de partants, un plan de licenciement sera organisé car le texte des ordonnances prévoit que l’accord de RCC exclut « tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois ». Sur cette base, l’entreprise ne pourra pas, quelques semaines, sans doute pas non plus quelques mois après, se lancer dans un plan de licenciement. Mais comment juger de la durée ? S’agira-t-il de la durée de mise en œuvre de l’accord de RCC (obligatoirement prévue par l’accord), auquel cas il est indispensable de la négocier avec la plus grande attention ? On regrettera que les textes n’aient pas prévu une période (à tout le moins une exigence de durée raisonnable) avant laquelle aucun plan de licenciement ne peut être engagé, ou à tout le moins, qu’il n’ait pas été prévu que les exonérations fiscales et sociales (adoptées par la loi de finances pour 2018) seront subordonnées à l’absence de PSE pendant, par exemple, 12 mois.
Autre difficulté, que l’on constate d’ores et déjà au vu des premières négociations sur les RCC : quelle articulation avec les PDV ? À première vue, on pourrait se dire que la RCC remplace les PDV dits autonomes, c’est-à-dire ceux ne se traduisant par aucune suppression d’emploi ; ne subsisteraient que les PDV multifonctions, en tant que modalités d’un PSE. Les textes n’autorisent pas à acter une telle exclusivité de la RCC. Mais dans ce cas, doit-on considérer qu’il est encore possible d’utiliser la voie, à la fois du PDV unilatéral et du PDV négocié ? L’enjeu est tout sauf anodin dans le contexte des négociations sur la mise en place d’un accord RCC car le PDV est plus avantageux pour les salariés (application, certes partielle, du droit du licenciement pour motif économique).
Ces problèmes de frontières figurent parmi les nombreuses interrogations que soulève un dispositif qui, d’ores et déjà, attire mais dont il est trop tôt pour dire s’il aboutira ou non à des accords. La stratégie syndicale vis-à-vis de ce nouveau-né (s’engager dans des RCC ; préférer les PDV classiques voire les PSE négociés ?) sera évidemment déterminante.