« En apparence, c’est une ville. Dans ses profondeurs, le monde d’aujourd’hui ». Le nouvel ouvrage de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin ressemble davantage à un polar qu’à un essai.
Grands reporters au Monde, Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué ont posé leurs carnets de note à Trappes, bastion communiste devenu un petit bout de banlieue médiatique. Elles ont mené l’enquête et l’ouvrage se lit pratiquement d’une traite. Trappes sert de décor aux spectacles de Jamel Debbouze et aux raps de la Fouine ; Benoît Hamon croyait en faire son laboratoire présidentiel. De Los Angeles ou de Dubaï, Omar Sy et Nicolas Anelka ne la quittent pas des yeux. Elle détient le triste record européen de départs en Syrie. « Y rester, c’est accepter ses codes, ses interdits. Pour briller, il faut en partir », déclarent les auteurs.
Le récit est brillamment mené et trace l’évolution de cette cité-dortoir de l’industrie automobile au cours des cinquante dernières années. Ce « feuilleton » repose sur des parcours individuels : papy, le pharmacien, le président du club de football, l’enseignant, l’animateur, etc. La République peine à faire valoir ses valeurs face aux petites sociétés cloisonnées issues pourtant des meilleures idées urbanistiques. Les squares et les cités alentour, le grand café de la place du marché, la mosquée, la synagogue qui brûle, le lycée… sont le théâtre d’événements parfois touchants, souvent tragiques (comme la mort de l’homme « à tout faire » du lycée, brûlé en tentant d’empêcher l’incendie de l’établissement).
Les luttes de pouvoir entre communautés y sont aussi violentes qu’elles peuvent se révéler être dans le monde du travail. Il y a ceux qui partent, ceux qui assistent impuissants à la ruine d’une utopie républicaine et ceux qui se battent pour y rester. « Plus qu’une ville, c’est une communauté. Attachante comme une famille. Redoutable comme un clan » est un résumé efficace. Mais ce serait dommage de s’y cantonner. Une fois le livre refermé, on s’interroge. Quelle est la responsabilité des représentants de l’État ? Quid des responsabilités individuelles ? « On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas » pour reprendre une expression maintes fois galvaudée. Le déni n’est plus possible.
Écrit dans un style journalistique, à mille lieues de la thèse universitaire, l’ouvrage est haletant. Et indispensable pour comprendre la société actuelle.
, Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué. Éditions Albin Michel. 333 pages, 20 euros.
