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Dossier

Trois questions à Denis Maillard

Dossier | publié le : 07.02.2018 | Lou-Eve Popper

Spécialiste des questions sociales et des mutations du travail et auteur de Quand la religion s’invite dans l’entreprise (Fayard)

Dans votre livre vous désignez la religion comme une « invitée surprise » dans l’entreprise. Pourquoi ?

Il y a un siècle, la religion était plutôt l’affaire des patrons et le mouvement ouvrier se battait pour retirer les crucifix dans les ateliers des usines. Aujourd’hui, c’est devenu le fait des salariés, ce qui est plutôt inattendu. En 2008, la société a pris conscience de ce basculement avec l’affaire de la crèche Baby-Loup. Et puis il y a eu les attentats de 2015, qui ont instauré un climat de suspicion au sein de l’entreprise. Dans les faits, très peu de revendications religieuses posent problème. Il faut cependant noter que les cas litigieux augmentent.

Comment en est-on arrivé là ?

Il y a plusieurs explications. Le retour du fait religieux est d’abord le résultat des « ratés de l’intégration » du début des années 1980. En 1982, des OS immigrés maghrébins se sont mis en grève dans les usines automobiles pour avoir le droit de prier sur le lieu de travail et d’aménager leurs horaires pour faire le ramadan. À l’époque, le gouvernement y a vu une menace d’intégrisme alors qu’il s’agissait d’une demande d’intégration. Cette génération avait compris qu’elle ne repartirait pas et demandait donc à pouvoir pratiquer en France un Islam culturel. Un an plus tard, leurs enfants demandent à leur tour à être intégrés lors de la Marche des Beurs. Mais dans les deux cas, la réponse va être décalée. Aux OS immigrés, on propose une aide de retour. Et aux Marcheurs, un droit à la différence plutôt que le respect de l’égalité républicaine. Le résultat a été l’affirmation, dans les nouvelles générations issues de l’immigration, d’une identité musulmane.

Le fait religieux en entreprise est-il, lui aussi, un révélateur des transformations du travail ?

Oui. À partir des années 1970, les salariés ont exprimé leur besoin d’autonomie et de liberté au sein de l’entreprise. Cette dernière y a répondu en faisant appel à leur subjectivité et en leur demandant de s’investir dans le travail avec toute leur identité. C’est comme ça que les revendications religieuses ont émergé sur le lieu de travail. Enfin, le retour du religieux s’explique aussi par la montée en puissance des politiques de diversité. Pour pallier les insuffisances de l’État, on a cherché à créer une sorte d’entreprise Providence, soit un lieu de totale non-discrimination. Or ces politiques de diversité trouvent leur limite avec le fait religieux car la société française est fondamentalement travaillée par l’esprit de la laïcité.

Auteur

  • Lou-Eve Popper