logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

La notation sociale, garde-fou des pratiques des entreprises ?

Décodages | Responsabilité sociale | publié le : 07.02.2018 | Irène Lopez

Image

La notation sociale, garde-fou des pratiques des entreprises ?

Crédit photo Irène Lopez

La notation extra-financière consiste à évaluer les politiques environnementale, sociale et la gouvernance des entreprises. Elle permet de les comparer en s’affranchissant des données financières. Elle peut faire la différence auprès des investisseurs. Qui sont les agences qui notent ? Avec quels indicateurs ? Sont-ils efficaces ?

« Les données financières ne disent pas tout », répondait Nicole Notat, présidente de l’agence Vigéo Eiris, sur un plateau de télévision en décembre 2017 à la question : « Pourquoi existe-t-il des agences de notation extra-financières ? » Fouad Benseddik, directeur des méthodologies et affaires institutionnelles du même groupe, surenchérit : « Une entreprise peut présenter des bilans financiers flatteurs mais des facteurs endogènes peuvent peser sur sa performance qui ne sont pour autant pas capturés par la comptabilité tels que la cohésion du capital humain, les compétences, les savoir-faire, l’innovation, la réputation, l’efficience énergétique de l’organisation… Ce sont des risques qui, s’ils sont maîtrisés, deviennent une composante majeure du goodwill. »

Apparues il y a une quinzaine d’années, les agences de notation extra-financières évaluent et notent les entreprises et les États au regard de leurs pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), domaines non pris en compte par la notation financière. Chaque domaine d’analyse donne lieu à une évaluation selon différents critères (transparence, innovation, communication…) et est pondéré pour obtenir une note finale. Ces agences s’appuient généralement sur des sources multiples : les entreprises elles-mêmes (documents publics, questionnaires spécifiques et rencontres), les parties prenantes (ONG, syndicats, organisations gouvernementales, etc.) et les médias.

Généralistes ou spécialisés.

Une notation extra-financière est souvent effectuée à la demande d’investisseurs qui veulent estimer la responsabilité sociale d’une entreprise avant de l’intégrer à son portefeuille. Les fonds ISR (Investissement Socialement Responsable) intègrent dans leurs décisions de placement des critères extra-financiers en plus des critères de performances économiques. La contribution à l’amélioration de la santé publique, l’adoption d’un code de conduite, la valorisation de la formation professionnelle, l’amélioration des conditions d’hygiène et de sécurité, le respect des droits de l’Homme, la mise en place d’une politique de protection de l’environnement, la lutte contre la corruption sont autant d’exemples de critères extra-financiers.

Les principaux acteurs opérant en Europe sont Vigeo-EIRIS (France), MSCI (US), oekom research (Allemagne) et Sustainalytics (Pays-Bas). Il existe également des agences spécialisées telles que Proxinvest en France qui travaille exclusivement sur les questions de gouvernance (rémunération des dirigeants, organisation des pouvoirs, droits des actionnaires minoritaires, etc.) ou Trucost (acquis en 2016 par S& P Dow Jones Indices), en Angleterre, focalisée sur les enjeux environnementaux, ou encore EthiFinance qui évalue les pratiques ESG des petites et moyennes entreprises.

Tous les ans, les agences présentent leur liste des entreprises les plus vertueuses. Parmi les dix premières répertoriées par Vigéo-Eiris figurent deux groupes français : Aéroports de Paris et General Amundi France. Pour OEKM-reseach, la seule concordance est la présence d’entreprises françaises dans son Top 10 : Michelin, Peugeot PSA et Schneider Electrics. Et c’est là où réside la difficulté : chaque agence a sa méthodologie, son panel de sociétés scrutées et ses indices. En bref, elles ne mesurent pas la même chose. Les investisseurs doivent alors choisir les indices les plus représentatifs à leurs yeux en fonction de leur choix : Indices Euronext Vigeo Eiris, Indices ESI, Eiris Best EM Performers ou encore Indices CAC 40(r) Governance pour l’agence française qui passe au crible 3 000 entreprises ; Global Challenges Index pour Oekm-research qui s’appuie sur un panel de 1 600 entreprises.

Un portefeuille d’indicateurs toujours plus fourni.

En 2018, il ne suffit pas de s’allier pour préserver ou prendre de nouvelles parts de marché. Il faut aussi faire évoluer et grandir son offre. Le marché se diversifie ainsi en termes de produits et services proposés : les agences offrent des services d’alertes en cas de controverses graves, un accompagnement sur l’engagement auprès des sociétés détenues en portefeuille, un accompagnement sur les émissions d’obligations vertes et déploient une nouvelle offre liée à la mesure d’empreinte carbone.

Alors que cet indicateur est encore très récent et que les méthodologies ne sont pas stabilisées, l’empreinte carbone des portefeuilles est devenue un indicateur très suivi par un nombre croissant d’investisseurs qui souhaitent disposer d’un état des lieux afin d’intégrer les risques climatiques dans leur gestion d’actifs et s’engager dans la transition énergétique. Les acteurs principaux de ce marché sont à la fois des agences historiquement spécialisées sur les enjeux environnementaux comme Trucost et South Pole Group qui dominent actuellement le marché, mais aussi les agences de notation extra-financière citées précédemment.

L’utilité des agences.

Les indicateurs de ces agences sont-ils de simples vitrines dont s’enorgueillissent les patrons du CAC 40 ou de véritables garde-chiourme des pratiques ESG ?

En 2014, Vigeo avait décidé de dégrader de la notation de BNP Paribas de 2 points (sans plus de détail sur son échelle de notation) suite à quatre manquements : l’éthique des affaires, l’efficience de ses procédures d’audit et de contrôle, la protection des droits des minoritaires et la prévention des risques d’atteinte aux droits de l’Homme dans la conduite des transactions dans des zones en situation de conflit. Entre-temps, BNP Paribas s’est remis d’équerre puisqu’elle occupe la première place dans le secteur des banques diversifiées (Europe) au classement 2017 de l’agence Vigeo Eiris. Le rapport de l’agence précise que le groupe s’est notamment illustré par ses très bons scores sur les critères droits de l’Homme, ressources humaines et gouvernance d’entreprise.

D’autres exemples montrent une portée limitée des notations. Standard Ethics, une agence de notation sociale basée à Londres et à Bruxelles a abaissé la note des États-Unis de EEE– à EE+, une semaine après l’investiture de Donald Trump. Son rejet des traités internationaux sur la liberté de circulation des biens et des personnes, le refus de réduire des émissions polluantes ou encore la promotion de la torture sont parmi les facteurs négatifs invoqués. À part l’opprobre international, Trump continue de mener sa politique.

L’investisseur tout puissant.

Un autre exemple emblématique est celui que tous les médias ont appelé la « catastrophe de Dacca ». Le 24 avril 2013, l»effondrement du Rana Plaza, un immeuble situé dans le faubourg ouest de Dacca, la capitale du Bangladesh a provoqué plus de 1 130 morts (pour environ 2 500 rescapés). Le bâtiment abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour diverses marques internationales de vêtements (dont Carrefour et Auchan). La cause ? Un bâtiment vétuste et de nombreuses fissures, conséquences de la violation des règles de sécurité et d’inspection du bâtiment. Dès le lendemain du drame, Vigéo-Eiris émettait des alertes concernant des entreprises se fournissant auprès de Rana Plaza, par leurs analystes à l’intention de leurs clients investisseurs. Une alerte mais pas une dégradation des notes des entreprises concernées ! Face à l’émoi provoqué par le drame, 70 grandes chaînes de distribution possédant ou sous-traitant à des usines textiles au Bangladesh se sont toutefois engagées auprès des syndicats bangladais à inspecter toutes les usines de textile du pays et à effectuer les travaux de sécurisation indispensables.

Pour comprendre les limites des agences de notation, il faut garder à l’esprit qu’elles ne font que suggérer. C’est l’investisseur qui a le dernier mot comme l’affirment Marta Camprodon, José Sols et Albert Florensa dans leur Analyse critique des agences de notation extra-financière : « On voit bien que ces agences assument la mission d’analyser et d’ordonner toute l’information publique disponible sur le développement durable d’une entreprise pour voir comment elle agit. Le rapport élaboré sur cette entreprise est vendu aux investisseurs socialement responsables, et ceux-ci, en fonction de l’information obtenue, prennent des décisions d’investissement. […] Les agences n’analysent pas la moralité des entreprises, mais seulement leur comportement. C’est l’investisseur qui décide si le comportement de l’entreprise mérite son investissement socialement responsable ».

Les principaux indices

Depuis cinq ans, la plupart des grandes entreprises travaillent d’arrache-pied pour être référencées dans ces indices boursiers extra-financiers, fruits de collaborations entre des fournisseurs d’indices (Dow Jones…) et des agences de notation spécialisées (SAM, Vigeo Eiris…). Il y avait 20 indices extra-financiers en 2000, on en compte actuellement plus de 100.

• Le plus sélectif Dow Jones sustainability group index

Cette famille d’indices sélectionne les 340 entreprises plus performantes en matière de développement durable parmi les 2 500 plus importantes capitalisations boursières mondiales.

• Le plus crédible Carbone disclosure project

Il classe les 500 plus grandes entreprises mondiales en termes de capitalisation boursière en fonction de l’intégration du changement climatique dans leurs stratégies.

• Le plus éthique FTSE4Good

Cet indice exclut les producteurs de tabac, les entreprises de l’armement et du nucléaire.

• Le plus européen Aspi eurozone

Cet indice répertorie de façon sectorielle 120 entreprises de la zone euro et s’appuie sur les évaluations de l’agence de notation française Vigeo Eiris.

• Le plus ancien Domini 400 Social Index

C’est le premier indice boursier éthique au monde. Créé aux États-Unis en 1990 par Amy Domini, il regroupe 400 entreprises selon deux critères. D’une part, sont écartées toutes les entreprises qui œuvrent dans le domaine du tabac, de l’alcool, du jeu, de l’armement ou encore du nucléaire. D’autre part, sont sélectionnées les entreprises qui font le plus d’efforts en matière de respect de l’environnement, de mise en place de politiques de responsabilité sociale et de bonne gouvernance.

Source : Le portail de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics.

Un marché fortement concurrentiel

Depuis 2008, plusieurs phases de concentration des agences de notation extra-financière se sont succédé. Cette concentration s’accompagne d’une intégration croissante des services extra-financiers par des fournisseurs traditionnels de données financières, à l’image des partenariats noués par Sustainalytics avec Bloomberg (2014) et Morningstar (2016).

La concentration est le résultat d’un marché fortement concurrentiel, où pour rester dans la course, il vaut mieux avoir un positionnement international et couvrir un maximum de zones géographiques. C’est le cas de Vigéo, agence française et Eiris, son homologue britannique qui ont fusionné en 2015 pour « redéfinir le modèle classique de la notation extra-financière ». Pour expliquer le rapprochement de Vigéo et Eiris, Nicole Notat, à l’époque présidente de Vigeo, avait communiqué : « Cette fusion fait sens. Elle permet à nos deux agences un vrai changement de taille et d’échelle, à un moment ou` le marché de l’ISR se mondialise, se développe, se diversifie et gagne en maturité ». Autrement dit, pour rester dans la course, il vaut mieux être présent partout dans le monde et ne pas rester principalement sur le marché français.

Auteur

  • Irène Lopez