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La géolocalisation au travail fait des remous

Décodages | Législation | publié le : 07.02.2018 | Rouguyata Sall

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La géolocalisation au travail fait des remous

Crédit photo Rouguyata Sall

Le développement de la géolocalisation au travail n’est pas sans créer des problèmes. Le Conseil d’État vient de trancher en faveur de la Cnil qui a censuré le dispositif de géolocalisation des véhicules de la société Odeolis. Décryptage des moyens de surveillance existants qui suscitent des craintes chez les salariés.

Odeolis ne peut plus équiper les véhicules utilisés par ses techniciens itinérants d’outils de géolocalisation en temps réel. Cette entreprise spécialisée dans la maintenance de systèmes informatiques utilisait des dispositifs permettant de collecter des données relatives notamment aux incidents et événements de conduite ou au temps de travail des salariés. Début 2016, la Cnil a procédé à un contrôle dans les locaux de la société, à Aix-en-Provence. Six mois plus tard, la présidente de la Cnil a mis en demeure Odeolis « d’adopter un certain nombre de mesures afin de faire cesser les manquements constatés à diverses dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ». Autrement dit, de cesser de traiter les données issues de l’outil de géolocalisation afin de contrôler le temps de travail de ses salariés. L’entreprise a alors déposé une requête au Conseil d’État pour obtenir l’annulation de cette décision. Mais les hauts magistrats administratifs ont confirmé la décision de la Commission, en rappelant le cadre légal de la collecte des données personnelles des salariés au travail.

Dans sa décision rendue le 15 décembre dernier, le Conseil d’État abonde dans le sens de la Commission, en rappelant que « l’utilisation par un employeur d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail de ses salariés n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation ». La décision prise à l’encontre de l’entreprise Odeolis est basée à la fois sur la loi informatique et libertés et sur le Code du travail, l’employeur disposant, dans ce cas, de documents déclaratifs, la collecte et le traitement des données de géolocalisation pour contrôler le temps de travail sont considérés comme excessifs.

La grève des rondiers de Prosegur.

Près de Saint-Étienne, des salariés ont suivi l’affaire Odeolis avec attention et guettent toute évolution de la jurisprudence. Il s’agit des salariés du site de Saint-Jean-Bonnefonds de l’entreprise Prosegur Sécurité Humaine. Pour lutter contre la volonté de leur employeur de les équiper d’un dispositif de géolocalisation qu’ils estiment permanent, les travailleurs rondiers ont mené une grève pendant dix jours. Ces agents de sécurité qui effectuent des rondes de nuit pour surveiller les établissements des clients, notamment des banques, travaillent en toute autonomie avec les véhicules de l’entreprise, déjà équipés de GPS. « Quand vous êtes un salarié qui, normalement, prend ses responsabilités, la géolocalisation n’a pas lieu d’être », estime Jean-Luc Gray, agent de sécurité et élu CHSCT du site, qui travaille à Prosegur depuis vingt-et-un ans.

Aujourd’hui, les sept rondiers en grève sur les dix du site refusent d’être équipés d’un smartphone avec une application qui les géolocaliserait pendant toute la durée de leur temps de travail. Baptisé Anikit et surnommé « couteau-suisse de la sécurité » sur le document de présentation, ce dispositif a pour premier objectif la « sécurité des équipes ». Puis, pour objectifs commerciaux, « l’innovation technologique » et le « reporting client ». Ce « contrôleur de ronde en temps réel » permettra la géolocalisation du rondier, déjà géolocalisé par le GPS de son véhicule, et par son PTI (appareil doté d’un dispositif de Protection du Travailleur Isolé qui peut être déclenché de façon volontaire et/ou automatiquement, en cas de perte de verticalité du travailleur par exemple).

Dans leurs droits, les élus CHSCT demandent lors d’une session extraordinaire les récépissés de déclaration à la Cnil concernant le nouveau logiciel, ce qui constitue une obligation pour l’employeur. Selon Jean-Luc Gray, les documents présentés ne correspondaient pas à l’application Anikit. « Ça n’avait rien à voir avec une géolocalisation permanente. Les déclarations Cnil correspondaient aux PTI, appareils qu’on avait déjà, et que les rondiers n’avaient pas refusés. Le PTI, personne ne le refuse. On sait que c’est un élément de sécurité. C’était bienvenu pour nous. Mais la géolocalisation permanente qui vous suit même quand vous allez aux toilettes, les rondiers n’en veulent pas ». Le document que l’on a pu consulter concerne effectivement les PTI et une collecte de données de localisation de manière indirecte, par les « remontées GSM des alarmes sur PC télésurveillance ». Malgré de multiples tentatives, la direction n’a pas souhaité nous répondre, mais, à en croire Jean-Luc Gray, elle aurait expliqué vouloir mettre en place la géolocalisation permanente pour un besoin de sécurité. « On a déjà un PTI pour la sécurité, explique Jean-Luc Gray. La géolocalisation permanente ne se justifie pas ». Ils auraient également précisé que les clients étaient demandeurs, afin qu’ils « puissent suivre aussi les salariés en temps réel et connaître les passages de rondes ». Les clients ont pourtant déjà l’information du passage, via le système électronique de pointage en place.

Les salariés craignent avec cette application un « flicage » permanent qui pourrait avoir des conséquences sur leur avenir. « On a bien compris quel était le nerf de la guerre de Prosegur. Ce qui est sous-jacent, c’est qu’en réalité, ça va permettre à Prosegur de regarder comment rentabiliser le travail des salariés, en améliorant les rondes. Et foncièrement, supprimer un salarié, dans la mesure où on va pouvoir calculer les points à l’exactitude. À l’instant t, on va même savoir si le salarié va s’arrêter cinq minutes », s’indigne cet agent de sécurité. La grève des rondiers aura duré dix jours. Les salariés n’ont pas perdu de salaire grâce au protocole de fin de conflit. L’entreprise paierait la moitié des temps de grève et le reste sera vraisemblablement pris sur les repos compensateurs. Mais le conflit est toujours en cours. « On va faire notre travail de CHSCT, on va saisir la Cnil », prévient Jean-Luc Gray.

7 703 plaintes reçues par la Cnil.

En 2016, la Cnil a reçu 7 370 déclarations pour des dispositifs de géolocalisation, réalisées par les employeurs. De l’autre côté, ce sont pas moins de 7 703 plaintes reçues dont 14 % concernant les conditions de travail, le principal sujet de plainte étant la vidéosurveillance. La surveillance vidéo est installée par volonté ou besoin de vidéoprotection. Les systèmes GPS dans les véhicules et GSM sur les smartphones restent les outils les plus classiques. Mais la vidéosurveillance peut aussi permettre de suivre en temps réel l’activité des salariés. La philosophie de la Cnil est plutôt claire sur les précautions à prendre. Elle précise dans son rapport d’activité 2016 que « chaque système vidéo doit être mis en œuvre de manière proportionnée à son objectif (nombre de caméras, emplacement, orientation etc.) et respecter la vie privée des personnes filmées (pas de surveillance constante, notamment par l’intermédiaire d’un smartphone) ». Dans sa fiche vidéosurveillance-vidéoprotection au travail consultable en ligne, la Commission rappelle le droit au respect de la vie privée des salariés. Elle souligne également que les caméras ne doivent pas filmer les employés sur leur poste de travail, « sauf circonstances particulières » (le cas d’employé manipulant de l’argent par exemple). Mais la caméra doit davantage filmer la caisse que le caissier. Ou le cas d’un « entrepôt stockant des biens de valeurs au sein duquel travaillent des manutentionnaires ». Les caméras ne doivent pas non plus filmer les zones de pause ou de repos des employés, ni les toilettes.

Le scanner dans les entrepôts.

La Cnil rappelle également que seules les personnes habilitées et dans le cadre de leurs fonctions, peuvent visionner les images enregistrées et que ces personnes doivent être formées et sensibilisées aux règles de mise en œuvre d’un système de vidéosurveillance. La durée de conservation des images est également fixée : elle ne doit pas excéder un mois. Côté formalité, il faut déclarer le dispositif de vidéosurveillance à la Cnil, si les caméras filment un lieu non ouvert au public. Et le dispositif doit être autorisé par le préfet si elles filment un lieu ouvert au public. Les instances représentatives du personnel doivent également être informées et consultées avant toute décision d’installer des caméras.

Autre moyen de surveillance décrié : le scanner dans les entrepôts logistiques. Des salariés de l’entreprise Amazon s’inquiètent des données collectées par leur outil de travail. Le magazine Challenges a enquêté sur le géant de l’e-commerce qui a inauguré son nouveau site d’Amiens-Boves en octobre et ouvrira un sixième site français à l’automne 2018, à Brétigny-sur-Orge en Essonne. L’hebdomadaire rapporte les témoignages de salariés qui dénoncent le flicage permanent, notamment d’un « picker/packer » (« ramasseur/emballeur ») du site de Montélimar. Ce salarié travaille en permanence avec un scanner Wi-Fi connecté à un logiciel qui lui indique quel article prélever et où le trouver. Autre précision : « Officiellement, le principal intérêt du scanner vanté par Amazon est d’optimiser les trajets des salariés en temps réel ». La DRH d’Amazon Logistique insistait alors sur le fait qu’avec le scanner « on traque les produits, pas les personnes. Ce n’est certainement pas pour cela qu’on l’utilise ». Sauf que le salarié interrogé rapporte que la moyenne des 100 meilleurs pickers et la production du cinquantième est fixée à tout le monde comme objectif à atteindre le mois suivant.

Mesure des comportements humains.

Plus qu’un moyen de surveillance des salariés, le scanner devient alors un outil de mesure de la productivité. Les salariés peuvent alors se sentir en marathon de la performance. Un sentiment exacerbé pour les travailleurs intérimaires. On est toutefois loin du « business microscope » proposé par l’entreprise japonaise Hitachi. Ce badge ne risque pas d’être autorisé en France mais il traduit comment la géolocalisation peut devenir un indicateur sophistiqué de productivité. Depuis 2004, l’entreprise japonaise fait travailler ses équipes recherche et développement sur la mesure des comportements humains. Porté par le salarié, le « business microscope » permet comme tout un badge classique de pointer à l’entreprise mais il enregistre aussi des données sur l’activité du salarié. Non seulement les capteurs permettent la géolocalisation au sein de l’entreprise mais ils peuvent aussi identifier et enregistrer l’identité des collègues avec lesquels vous interagissez, la durée de la discussion, combien de temps vous restez à votre bureau et même vos prises de paroles en réunion. Un badge qui ne risque pas de passer la porte de la Cnil.

Auteur

  • Rouguyata Sall