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La relève n’est pas pour maintenant

À la une | publié le : 07.02.2018 | Judith Chétrit

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La relève n’est pas pour maintenant

Crédit photo Judith Chétrit

Les jeunes se désintéressent des syndicats, la pyramide des âges prend donc un sérieux coup de vieux. Il est grand temps de moderniser la communication pour espérer les séduire.

Les derniers congrès syndicaux en apportent une preuve éclatante. Les jeunes restent aux abonnés absents. Le portrait-robot du syndiqué actuel ? Un homme blanc d’une cinquantaine d’années qui a de grandes chances de travailler dans une grande entreprise publique. Pourtant, depuis le début des années 2000, le renouvellement des troupes est un impératif répété. Il y a plus de dix ans, le secrétaire national de la CFDT, Jacky Bontemps dressait déjà ce constat : « Notre pyramide des âges est inquiétante ». Il reste encore rare de trouver des moins de 35 ans dans les commissions et les bureaux confédéraux.

Si les organisations sont peu enclines à communiquer ou à produire des données statistiques sur le nombre de jeunes syndiqués, la sous-syndicalisation de la jeunesse est une réalité – près de 5 % des syndiqués ont moins de 30 ans, approchant environ les 8 % jusqu’à 35 ans. « Si l’on regarde la proportion de jeunes syndiqués par rapport au reste de la jeunesse, le taux avoisine les 2 % pour les moins de 25 ans et les 5 % pour les moins de 35 ans », prolonge Camille Dupuy, sociologue à l’université de Rouen et co-auteure d’une étude comparative sur l’engagement syndical des jeunes en France et à l’étranger pour la CGT.

Travail de prospection.

À l’image d’autres structures de pouvoir, ceux-ci manifestent un manque d’intérêt à l’égard des syndicats. Les raisons de ce désamour sont les mêmes depuis une dizaine d’années : les jeunes finissent leurs études plus tardivement que les précédentes générations et rejoignent les rangs syndicaux une fois leur insertion professionnelle passée, soit aux alentours de la trentaine. Sans compter les embauches précaires qui font passer l’engagement syndical au dernier plan. Pour Camille Dupuy, ce n’est pas tant l’âge qui importe mais la position sur le marché du travail. Certains soulignent aussi des différences d’opinion sur les combats à mener en priorité ou sont en attente d’une plus grande radicalité. D’autres attendraient d’être confrontés à un problème pour franchir la porte d’un local syndical. « Les jeunes ont encore du mal à identifier ce qu’est l’objet syndical. C’est peu présent dans leurs parcours scolaires et universitaires. Le panorama est plus complexe avec un émiettement et une désidéologisation des organisations. Des jeunes préfèrent s’engager sur des causes plus ponctuelles », ajoute Stéphane Sirot, historien et spécialiste du syndicalisme. Le sujet est loin d’être nouveau. La crainte anticipée par chaque centrale est de ne plus représenter une image fidèle de la démographie salariale actuelle. « Cela met aussi en question le dialogue social dans une entreprise quand il n’y a pas de passage de relais. Dans les enquêtes de terrain, plusieurs équipes syndicales avouaient leurs difficultés à trouver également des candidats pour des mandats », raconte Sophie Béroud, politologue qui a participé à l’étude comparative sur le syndicalisme. Pourtant, les syndicats ne désespèrent pas de séduire de nouvelles catégories de salariés en modernisant leur communication. Ils veulent d’abord dépoussiérer l’image d’un syndicalisme bureaucrate et immobile qui défend les intérêts professionnels de salariés déjà bien intégrés professionnellement.

Communication sur les réseaux sociaux.

Chacun d’entre eux donne un nom à ce travail de prospection. À la CFDT, on parle de “repérage des nouveaux militants”. Des journées de sensibilisation aux responsables des branches et en région, un dispositif de formation appelé “Effervescence” pour les profils à fort potentiel sur lesquels le syndicat mise dans un proche futur. « Dans les congrès, nous encourageons les organisations à envoyer plus de jeunes délégués », raconte Inès Minin, secrétaire nationale, elle-même ancienne présidente de la Jeunesse ouvrière chrétienne. Il y a deux ans, le syndicat a organisé un rassemblement intitulé Working Time Festival ouvert aux 18 à 35 ans. Quand les organisateurs attendaient 5 000 personnes, seulement la moitié a fait le déplacement, dont 60 % de non-adhérents. Il devait y avoir une seconde édition en 2017 tournée autour de l’Europe et des transitions économique et écologique mais elle a été annulée au profit d’un rassemblement plus généraliste.

Depuis 1985, la fédération mines énergie de la CGT organise aussi un rassemblement dédié à ces jeunes agents. Ces deux syndicats comptent des collectifs de jeunes au niveau fédéral et confédéral. « Dans ces collectifs, on parle des sujets qui touchent les jeunes mais aussi la place dans leur organisation. Certains sont plus ou moins actifs, cela dépend toujours des personnes qui les portent. Ils nous ont aussi permis de moderniser notre communication sur les réseaux sociaux », détaille Céline Verzeletti, secrétaire confédérale CGT qui travaille sur les libertés syndicales, l’égalité femme-hommes et les jeunes. Mais rien ne vaut la présence sur le terrain, selon Stéphane Sirot. « Les rencontres sur le lieu de travail restent déterminantes. Or, les syndicats sont aujourd’hui composés d’élus de plus en plus accaparés par la négociation collective et la préparation de réunions à l’image d’un dialogue social devenu de plus en plus technique. »

Le syndicalisme étudiant vivier de recrutement.

Un des viviers de recrutement reste le syndicalisme étudiant. Dans les années 2000, la CFDT avait même apporté un soutien matériel et politique à la Confédération étudiante au succès rapide bien qu’éphémère, jusqu’à sa disparition en 2013. Mais avec une réalité fluctuante du marché du travail, les organisations ont concentré leurs actions de revendication et de repérage sur les jeunes en situation précaire et les saisonniers. Pendant l’été, on aperçoit des caravanes itinérantes siglées pour se montrer au contact de ces travailleurs et les sensibiliser à leurs droits. Pourtant, ce lot d’initiatives ponctuelles, disposant généralement de peu de moyens, n’a guère inversé le cours des choses. « Les moyens ne sont pas mis sur la syndicalisation massive. Après tout, ce sont les résultats aux élections professionnelles qui leur donnent une légitimité », analyse Camille Dupuy. Certains osent une tout autre approche, plus à moyen terme. La CFE-CGC a organisé des soirées à Paris et à Nantes, surnommées “Pas à pas”, pour faire connaître le syndicat auprès d’étudiants en école de commerce. Durant cet événement avec buffet et champagne où des managers et des entrepreneurs sont invités à se présenter, on ne parle pas tant d’action collective que de conseils sur des débouchés métiers et la recherche d’emploi. Un parti pris assumé pour redorer l’image du syndicalisme accroché à ses mandats et ses revendications auprès de cette cible. À l’issue de la soirée, aucun bulletin d’adhésion n’est rempli, mais un guide “pas à pas dans l’entreprise” est distribué aux invités. « Il faut trouver le bon dosage. Il ne faut pas être non plus trop décalé sous peine de sortir de notre rôle initial », décrit Fabrice Tyack, délégué national confédéral en charge de la jeunesse. Issu de la section syndicale de BNP-Paribas, où près d’un tiers des adhérents a la trentaine, il entend se montrer rassurant au cours de ces événements. « Quand des jeunes veulent faire carrière dans une boîte, ils voient le fait de se syndiquer comme un frein. On veut leur montrer qu’ils ne seront pas mis au placard mais auront, en revanche, accès à un réseau de gens mieux informés. » La CFDT expérimente aussi la pré-adhésion pour les nouveaux entrants au travers de différents événements informels comme une Work Party organisée par la fédération francilienne des services. « Nous avons distribué environ 800 bulletins et espérons faire 250 adhérents. Nous récupérons les coordonnées et avons jusqu’à un an pour leur faire découvrir une organisation syndicale et les sujets sur lesquels elle travaille », précise Inès Minin.

À l’UNSA Caisse des dépôts et consignations, premier syndicat du groupe, un petit cinquième des syndiqués a moins de 35 ans, confie Luc Dessenne, secrétaire général. Lui estime défendre les mêmes revendications pour l’ensemble des salariés mais a déjà plusieurs arguments en tête si un jeune venait à lui reprocher de ne s’occuper que des anciens. « Nous leur expliquons ce que nous avons mis en place comme des aides pour disposer de places réservées en crèches ou la semaine de quatre jours. Je trouve qu’aujourd’hui, les gens ne vont pas se syndiquer pour défendre des grandes causes mais demandent aussi des réponses individuelles à leur situation », estime-t-il. « Apprendre à les garder est aussi un travail de longue haleine. Dans notre catégorie de salariés (ingénieurs, cadres et techniciens, ndlr), il y a beaucoup d’exigences sur le débat politique et les contre-propositions que nous apportons. On va rapidement nous demander des arguments affinés. C’est rarement une adhésion coup de tête », renchérit Vincent Gautheron, secrétaire national de l’UGICT-CGT, accréditant la piste actuelle d’un syndicalisme de services.

Autre front de bataille commun : s’implanter dans des secteurs recruteurs de jeunes et où ils sont moins présents. « On tente d’être plus présent dans le commerce et la restauration où il y a aussi beaucoup de précarité. Dans les PME aussi, quel que soit le secteur, c’est là où le cadre syndical est le moins établi. On aide indirectement les auto-entrepreneurs quand ils cherchent à s’organiser mais la plupart veulent garder leur indépendance », explique Céline Verzeletti. Même stratégie pour Solidaires : « Dans notre fédération PTT des activités postales et des télécommunications, nous nous intéressons aux centres d’appel qui recrutent beaucoup de jeunes précaires. Nous essayons aussi de nous introduire dans le secteur associatif », développe Frédéric Bodin, secrétaire national en charge de la syndicalisation.

Anticiper le remplacement des papy boomers.

Pourtant, à l’image de Solidaires, qui reconnaît ne pas avoir développé d’outils spécifiques en direction des jeunes, certains syndicats ne revendiquent pas de stratégie particulière par crainte d’être taxés de “jeunisme”. « Nous anticipons la syndicalisation de tous les nouveaux salariés, pas seulement des plus jeunes. Il faut anticiper le remplacement des papy boomers. Mais c’est une question de personnes, pas d’âge », argue Frédéric Souillot, secrétaire confédéral FO. Pourtant, des commissions jeunes existent dans les unions départementales et les fédérations avec une coordination au niveau national. « Elles ont été créées comme un relais de développement de la syndicalisation. Nos élus représentants dans les entreprises ont souvent la tête dans le guidon donc cela leur permet d’avoir une aide pour réfléchir à de nouveaux outils génériques », précise celui qui a en charge le développement de la syndicalisation et la formation des militants. Les deux aspects sont, en effet, intrinsèquement liés : alors que peu de syndiqués participent effectivement à la vie de la section syndicale, la syndicalisation des moins de 35 ans est vue comme un outil pour détecter de nouveaux talents qui souhaiteraient évoluer dans l’organisation. Aucune formation interne n’est spécifiquement réservée aux jeunes mais les parcours s’étoffent dans les cursus internes : ils apprennent l’histoire et l’identité des organisations, l’organisation des sections, la négociation, la communication et l’ensemble des droits dont disposent les salariés. Dans certains syndicats, on a nommé des tuteurs pour accompagner les plus jeunes.

Un apprentissage du militantisme qui s’accélère ces dernières années.. À condition d’avoir pu déjà maîtriser les codes et les rouages en interne. « Il faut les intégrer assez rapidement dans les différentes instances. C’est quand même plus facile et ouvert qu’il fut un temps car tout le monde en a conscience », considère Céline Verzeletti. Malgré des résistances qui restent encore vivaces, Camille Dupuy partage la même observation : « Une fois que ces jeunes syndiqués ont un mandat de représentant du personnel, ils ont plus de chances de se faire rapidement repérer par les fédérations puis la confédération. Cela donne aujourd’hui des carrières syndicales plus rapides car les organisations ont envie de rajeunir leurs instances ». Sans qu’il y ait de quotas formels, les confédérations cherchent à rajeunir leurs comités. À la CFTC, depuis 2015, deux sièges sont désormais réservés aux moins de 35 ans pour le conseil confédéral qui regroupe une quarantaine de personnes. « On avait tendance à choisir les personnes avec le plus d’expérience. Les jeunes participent à la prise de décisions. On ne voulait pas que le jeune ne s’occupe que des jeunes », résume Vladimir Djordevic, responsables du groupe Jeunes et désormais conseiller confédéral. « Lorsqu’il y a des résistances internes, il m’arrive d’intervenir et de faire un retour auprès des structures quand je sais que certains jeunes sont disposés à prendre des responsabilités », ajoute-t-il. Pour autant, à l’image de la question de l’égalité femmes-hommes, c’est souvent l’arbre qui cache la forêt. Rares sont les syndicats à avoir mené des études-bilan pour mesurer les fruits de leurs initiatives à l’égard des jeunes, tant en nombre de nouveaux adhérents que de personnes qui ont pris des postes à responsabilité.

Jean-Baptiste Drevillon, un délégué syndical désabusé

Alors que dans les médias, les syndicats restent identifiés comme les porte-voix de revendications sur les licenciements et les retraites, Jean-Baptiste Drevillon a voulu s’y frotter. Électricien de maintenance dans l’usine de Gourin (Morbihan) d’Ardo, le leader européen du légume surgelé, il s’est syndiqué « par opportunisme, pour décrocher un mandat au CHSCT », à l’âge de 21 ans. Sept ans plus tard, le voici devenu délégué syndiqué central FO. « Quand je me suis syndiqué, je trouvais que les compte-rendus du CHSCT étaient trop vagues et techniques. Je pensais que je pouvais apporter un autre regard et faire avancer les choses. » Rapidement, les formations s’enchaînent dans son union départementale. On l’invite aux réunions paritaires. Il se retrouve à la tête du réseau Jeunes mais faute de temps et de budget, le projet s’arrête au bout d’un an d’existence. « Il faut rendre notre produit plus attrayant. J’avais commencé à passer des accords avec des banques et des entreprises de voyages pour attirer des jeunes. Mais je n’avais pas beaucoup de retours des délégués syndicaux d’autres sites. Débordés, ils le voyaient comme une charge supplémentaire. » Aujourd’hui, Jean-Baptiste Drevillon se dit désabusé quant au fonctionnement des sections syndicales. « On entend plus le mot retraites qu’embauches dans les dernières AG. Si les syndicats ne nous expliquent pas comment ils peuvent nous aider, pourquoi on devrait les aider à remplir les rangs… Cela doit être du donnant-donnant. » De quoi brider son potentiel militant ?

Auteur

  • Judith Chétrit