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Faut-il alléger les charges sociales au-delà de 2,5 Smic ?

Idées | Débat | publié le : 04.01.2018 |

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Faut-il alléger les charges sociales au-delà de 2,5 Smic ?

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En novembre, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé « réfléchir à un allègement de charges au-dessus de 2,5 Smic », en portant le plafond à 3,3 fois le Smic. Des déclarations temporisées par le Premier Ministre, Édouard Philippe, qui a rappelé qu’il était nécessaire au préalable de « rétablir la situation des comptes publics ». Mais le débat est lancé !

Éric Heyer Directeur du département analyse et prévision de l’OFCE1

Depuis 1993, les gouvernements ont mis en place des dispositifs d’exonération de cotisations sociales qui représentent près de 50 milliards d’euros en 2017. À l’exception de la deuxième tranche du Pacte de responsabilité qui porte sur les salaires compris entre 1,6 et 3,5 Smic, ces mesures ont ciblé essentiellement les bas salaires afin de profiter de rendement plus fort sur l’emploi, notamment des non qualifiés. La proposition d’alléger les cotisations sociales au-delà de 2,5 Smic s’inscrit dans la continuité des stratégies des gouvernements précédents et notamment des préconisations du rapport Gallois de 2012. Cette stratégie aura, au moins à court terme, des effets moins forts sur l’emploi que les dispositifs « bas salaires » mais en ciblant davantage les rémunérations dans l’industrie, et le gouvernement en attend des effets plus forts sur la compétitivité de nos entreprises exposées à la concurrence internationale.

Mais la mesure profitera autant à l’industrie qu’au secteur bancaire et cela devrait se traduire par des hausses de salaires, insuffisantes pour attirer des talents, mais qui limiteront l’amélioration de la compétitivité de notre tissu productif. Par ailleurs, la situation financière des entreprises, notamment exportatrices, n’est plus celle qui prévalait au moment du rapport Gallois. CICE et PR ont permis un redressement spectaculaire du taux des marges des entreprises industrielles. Enfin, dans un contexte de resserrement de la contrainte budgétaire, il est opportun d’optimiser les incitations fiscales sans désorganiser le financement de la protection sociale. Or dans un environnement économique marqué par une automatisation et une relocalisation des processus de production, les enjeux de concurrence et d’attractivité ne se situent plus au niveau du coût du travail mais davantage sur la fiscalité de la production et de l’impôt sur les bénéfices.

Richard Duhautois Chercheur au Cnam-Lirsa1 et membre du CEET2

Pour rendre les entreprises plus compétitives et réduire le chômage, des politiques d’allégements de charges sociales sur les bas salaires ont été mises en œuvre dans de nombreux pays européens. En France, cela concerne aujourd’hui de nombreux salariés jusqu’à 2,5 fois le Smic. La littérature économique montre que les effets sur l’emploi sont plutôt faibles et dépendent en partie de la structure des allégements. En effet, les études analysant les conséquences des allégements de charges sur l’emploi montrent qu’ils sont plus efficaces lorsqu’ils concernent les non qualifiés. Le gouvernement pense étendre les allégements à trois fois le Smic, soit environ 3 500 € nets. Cette rémunération correspond environ au neuvième décile, c’est-à-dire que 90 % des salariés gagnent 3 500 € nets ou moins. Si on s’intéresse aux seuls cadres, 50 % des cadres gagnent 3 500 € ou moins. On peut donc se demander si étendre le dispositif – déjà généreux – à 90 % des salariés du secteur privé est encore une mesure ciblée sur les bas salaires ou une baisse généralisée des charges ?

Ces chiffres montrent que tous les secteurs d’activité sont concernés par les allégements, ce qui pourrait améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Mais ce sont les entreprises des secteurs riches en main-d’œuvre non qualifiée qui en bénéficient le plus, dans de nombreux secteurs de services non exposés à la concurrence internationale : l’hôtellerie et la restauration, le commerce de détail, les services à la personne, etc. D’une part, la notion de compétitivité n’est pas pertinente pour de nombreuses entreprises de ces secteurs et d’autre part elles peuvent faire face, au contraire, à des difficultés de recrutement. Finalement, les arguments en faveur des politiques d’allégements de charges sont toujours économiques mais elles en disent plus sur les volontés de transformation de la société.

Hubert Mongon Délégué général de l’UIMM1

Oui, il faut alléger les charges sociales au-delà de 2,2 Smic afin de cibler les salaires intermédiaires des secteurs d’activité exposés à la concurrence internationale. Pourquoi ? L’aggravation du déficit du commerce extérieur de la France (déficit cumulé de 41,02 milliards d’euros sur les sept premiers mois de 2017, contre 27,23 milliards un an auparavant) témoigne des faiblesses persistantes de la compétitivité de notre économie et plus particulièrement de l’industrie.

Poursuivre, comme nous le faisons depuis plus de vingt ans, une politique d’allégements de cotisations patronales fléchée sur les seuls bas salaires est, à cet égard, un contresens. La conséquence est que l’industrie et les services à l’industrie, qui emploient massivement des salariés qualifiés, sont pénalisés par rapport à d’autres secteurs d’activité, protégés, eux, de la concurrence internationale. Or la mondialisation de l’économie impose d’avoir un coût du travail compatible avec le niveau de spécialisation et le positionnement de gamme de l’industrie. Un coût trop élevé, comme c’est le cas en France du fait du poids excessif des prélèvements sur le travail, contraint les entreprises industrielles à rogner sur leurs marges, au détriment de l’investissement, de l’innovation et in fine de l’emploi. La tentation du gouvernement peut être de sacrifier l’enjeu de la compétitivité de l’économie à des considérations politiques de court terme : cibler les bas salaires a un impact rapide sur l’emploi. Mais il n’est pas sûr que l’emploi soit gagnant à moyen et long terme. La persistance d’un chômage de masse en France (9,7 % en septembre 2017, contre 7,5 % en Europe, 3,7 % en Allemagne, 4,2 % au Royaume-Uni…) devrait poser la question de la pertinence du ciblage de la politique d’allégements sur les seuls bas salaires, telle qu’elle est poursuivie depuis plusieurs décennies par nos gouvernements successifs.

Ce qu’il faut retenir

// Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est un avantage fiscal qui permet à certaines entreprises de bénéficier d’une baisse de leurs cotisations sociales. Il sera remplacé en 2019 par un allégement de cotisations patronales de 10 % jusqu’à 1,5 fois le Smic et de 6 % entre 1,6 et 2,5 Smic.

// Avec un élargissement des salariés concernés par la mesure, le gouvernement entend notamment cibler les entreprises industrielles qui veulent exporter et aider ainsi à renforcer la compétitivité du secteur en France.

// La mise en place de la réforme coûterait cher (2,9 milliards d’euros selon certains chiffrages).

En chiffres

17,9 milliards, C’est le coût pour les finances publiques du CICE en 2015. Source : Rapport du comité de suivi et d’évaluation du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), octobre 2017

7 % C’est le taux de réduction des charges patronales sur les salaires ne dépassant pas 2,5 fois le Smic (depuis le 1er janvier 2017). Source : www.service-public.fr

(1) Observatoire français des conjonctures économiques

(1) Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action (Lirsa).

(2) Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET).

(1) Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).