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Le transport routier s’accommode des ordonnances

Décodages | Dialogue social | publié le : 05.12.2017 | Rouguyata Sall

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Le transport routier s’accommode des ordonnances

Crédit photo Rouguyata Sall

Début octobre, partenaires sociaux du transport routier et gouvernement ont signé le premier protocole d’accord de branche post-publication des ordonnances. Retour sur les coulisses de la négociation et les enjeux à venir dans ce secteur.

Une fois n’est pas coutume, syndicats et patronat du transport routier sont tombés d’accord pour exiger du gouvernement un protocole d’accord de branche qui sécurise les rémunérations. Après plusieurs mouvements d’action. Opérations escargot, barrages filtrants, les salariés de la route se sont fortement mobilisés à la rentrée de crainte que les ordonnances ne permettent aux employeurs de réduire leurs garanties. La menace d’une grève a porté ses fruits et sans doute permis de parvenir à un accord en temps record. « Les employeurs ont compris qu’on allait vers un mouvement très dur », affirme Blaise Patrick, secrétaire général de l’Union fédérale route de la CFDT. « Ils nous ont rejoints et c’est ce qui a permis de faire bouger les ministères des Transports et du Travail. »

Le 28 septembre, une réunion de négociation est provoquée par le ministère des Transports pour désamorcer la situation. À l’ordre du jour, les travailleurs détachés et le dumping social qui mine l’activité du secteur. Une commission mixte paritaire est ensuite organisée le 4 octobre. Pendant une douzaine d’heures, syndicats, patronat, ministère des Transports, cette fois-ci ministère du Travail, négocient la mise en place de dispositions protectrices sur, entre autres, les indemnités liées au travail du dimanche, les jours fériés ou de nuit. Car si elles continuent de piloter la politique salariale en matière de minima conventionnels, les branches professionnelles perdent la main sur les primes et autres gratifications depuis la publication des ordonnances. Ce qui, dans un secteur comme le transport routier morcelé en beaucoup de petites entreprises, et exposé à une très forte concurrence internationale, peut ouvrir la voie au dumping social.

Syndicats et patronat main dans la main.

De nombreux secteurs d’activité coexistent dans cette large branche où la plupart des entreprises comptent moins de 20 salariés, que ce soit le transport routier de marchandises ou de voyageurs, les ambulanciers, les déménageurs, les transports sanitaires, ou encore les transports de fonds. Leurs différentes organisations syndicales se sont unies pour aller convaincre en premier lieu le patronat. Ensemble, ils s’accordent alors sur la nécessité d’identifier un socle social minimal pour les rémunérations, comme pour les amplitudes de travail. Une problématique notamment dans le transport scolaire où l’amplitude est grande pour un temps de travail relativement réduit. « On a tout de suite compris les enjeux », explique Thierry Douine, président de la Fédération des transports CFTC. « Il fallait parer à cette situation des ordonnances qui ouvraient des vannes dangereuses par lesquelles des entreprises pas toujours dans des pratiques honorables pouvaient s’infiltrer. Le problème c’est que le ministère nous soutenait tout en disant que c’est le ministère du Travail qui validait. Et le ministère du Travail a mis quand même du temps avant de se mettre autour de la table ». Thierry Douine garde toutefois à l’esprit que tout ne fait que commencer : « On a signé un pré-accord pour dire qu’on ne doit pas déroger à la convention collective de la branche. Le fond, il va falloir aller le négocier en convention collective et réécrire nos accords ». Côté CGT, on se félicite d’avoir ouvert une brèche dans les ordonnances. « Le fait d’ancrer un socle minimum dans le cadre de la convention collective et de la branche nous a permis d’avoir des immunités », se réjouit Fabrice Michaud, secrétaire général de la Fédération des transports CGT.

Pour Yves Fargues, président de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France (Union TLF), il fallait lever les inquiétudes des salariés. Sur les primes, comme sur les frais de déplacement, pour lesquels le gouvernement s’est engagé à confirmer les spécificités dans le Code des transports. « Les frais de déplacement représentent des sommes importantes, ce n’est pas un complément de rémunération, assure Yves Fargues, de l’U-TLF. Ces soucis, on les comprenait. Et l’ensemble des entreprises que nous représentons étaient d’accord, après consultation, pour que l’on considère que les primes relèvent d’une négociation collective et non pas en entreprise. Il y avait un front patronal complètement uni. On était d’accord avec les organisations syndicales. Il a fallu simplement convaincre le gouvernement du bien-fondé de notre accord et prouver qu’il ne remettait pas en cause les ordonnances. »

Contre la philosophie des ordonnances ?

Les négociations avancent alors vers la signature d’un protocole d’accord de branche. Quelque peu à l’encontre de la philosophie des ordonnances qui privilégie la négociation d’entreprise. « Est-ce que nous étions bien en phase avec le cadre des ordonnances ? On s’est posé la question », admet Jean-Marc Rivera, secrétaire général de l’Organisation des transports routiers européens (OTRE). « À partir de là, on a fait un certain nombre d’exercices qui n’étaient pas simples, pour voir si nos dispositifs pouvaient rentrer légitimement dans les salaires minima hiérarchiques. » Et par conséquent dans le premier bloc indéboulonnable où l’accord de branche prévaut sur l’accord d’entreprise. Pour les dispositifs qui n’y rentraient pas automatiquement, les partenaires sociaux se sont engagés à modifier la convention collective. Une astuce pour déroger aux ordonnances ? Pas aux yeux d’Yves Fargues (Union TLF) : « Ce n’est pas un artifice, mais un mode de calcul qui fait dépendre directement ces primes des minima conventionnels hiérarchiques. Et dans ces conditions, elles peuvent parfaitement relever du bloc 1 et nous sommes en parfaite adéquation avec les ordonnances ». Thierry Douine (CFTC) estime, quant à lui, que la branche a bousculé certaines choses : « Chacun peut regarder comment sont les ordonnances, ce qu’on a fait au niveau du transport routier, et se faire son propre avis ».

Exclus de la directive détachement.

Mais un autre dossier s’est invité dans les réunions tripartites entre les partenaires sociaux et les ministères de tutelle. Le transport routier est, en effet, exclu de la révision de la directive européenne des travailleurs détachés. Ce texte datant de 1996 est censé faciliter la circulation de la main-d’œuvre au sein du marché intérieur de l’UE. Il est accusé par les pays d’Europe de l’Ouest de favoriser le dumping social. Après l’Allemagne, la France est l’un des pays les plus concernés par le travail détaché au sein de l’UE, avec des travailleurs venant principalement de Pologne, de Portugal, d’Espagne et de Roumanie. L’avantage étant que l’entreprise les paye au salaire minimum français, mais avec les cotisations patronales du pays d’origine. Les ministres du Travail européens sont arrivés à s’entendre, notamment sur un alignement des rémunérations sur celles des travailleurs nationaux et une durée maximale de détachement de 18 mois. Sauf que les pays de l’Est mais aussi l’Espagne et le Portugal ont obtenu l’exclusion des chauffeurs de cette nouvelle directive. Le détachement des chauffeurs routiers est ainsi repoussé aux discussions sur le « paquet mobilité », un texte européen spécifiquement consacré aux transports. « C’est purement et simplement scandaleux qu’on soit exclu de cette directive qui a été améliorée dans le sens qu’on souhaitait », dénonce Blaise Patrick (CFDT). « On n’en restera pas là, il est bien évident que l’on va agir. Ça veut dire que les travailleurs du transport sont des travailleurs low-cost pour l’Europe. Et ça, ce n’est pas acceptable. » Thierry Douine de la CFTC, déplore que le transport routier soit pointé du doigt comme une profession spécifique : « On a peut-être été bradés pour le reste des professions. C’est dommage parce que tout ça, c’est la qualité de vie des salariés, c’est leur sécurité ». Quant à Fabrice Michaud (CGT), il regrette qu’avec cette éviction, le dumping social actuellement en cours ne soit pas remis en cause. Il se prépare avec les autres syndicats français et européens, à porter haut et fort les revendications du secteur : « refus de voir le transport routier exclu de la directive détachement, refus de la libéralisation du cabotage, refus de la modification des temps de travail et repos, renforcement du contrôle ».

Côté patronat, Yves Fargues de l’Union TLF souligne la difficulté de contrôler le détachement, le fond du problème selon lui : « Par définition, les conducteurs routiers sont des travailleurs hautement mobiles. Quoi qu’on édicte comme règle, il est très difficile d’en contrôler la bonne application ». Il souligne également un aspect positif : « On reporte au « paquet mobilité » qui va être discuté d’ici la fin de l’année. Mais dans l’intervalle, l’Europe réaffirme que le principe du détachement des travailleurs s’applique aux routiers, certes sous la forme de l’ordonnance de 96. Alors qu’il y a des pays qui en doutaient encore et qui n’appliquaient pas du tout la précédente directive au transport routier ».

À suivre : le « paquet mobilité ».

L’accalmie dans le transport routier européen, et par conséquent français, n’est pas d’actualité. Une révision profonde de la réglementation européenne est en cours. Des mesures d’encadrement du détachement sont prévues. « La discussion va se poursuivre dans le cadre du Conseil des ministres [européens] des Transports, pour définir les conditions particulières de cette directive dans le transport routier », avait déclaré la ministre des Transports Elisabeth Borne. Au-delà du détachement, l’encadrement du cabotage mais aussi l’utilisation des véhicules utilitaires légers, annoncent de vifs débats à Bruxelles.

Concurrence étrangère

Le protocole d’accord du 5 octobre est né des craintes du transport routier français, concurrencé par les entreprises des pays de l’Est et de la péninsule ibérique. Depuis 2009, un chauffeur européen en mission de transport routier international peut réaliser dans le délai de sept jours, trois opérations de transport à l’intérieur d’un même pays. C’est ce qu’on appelle le cabotage. Ce dispositif régi par la Commission européenne permet aux transporteurs de ne pas circuler à vide, avant de rentrer avec un chargement dans leur pays. Plutôt positif compte tenu du poids des transporteurs dans les émissions de gaz à effet de serre. Sauf que cette vertu économique et écologique déstructure le marché français. « Des véhicules étrangers sont présents quasiment à demeure », explique Jean-Marc Rivera (OTRE). « Les entreprises étrangères ont compris qu’il y avait des parts de marché à capter. Donc ils se servent de leurs transports internationaux pour justifier d’une présence légale en France. Mais derrière, leur objectif, c’est de venir capter le marché intérieur en ne respectant pas les règles du cabotage. » Outre le cabotage, un autre phénomène inquiète les transporteurs français. Il s’agit « des camionnettes ». Ces véhicules utilitaires ne transportent certes pas la même quantité de marchandises qu’un 44 tonnes, mais elles ont envahi les routes d’Europe : « Ils font des distances relativement importantes, avance Jean-Marc Rivera, et ils ne sont pas soumis à des obligations aussi lourdes que le transport lourd. C’est-à-dire pas d’obligation de respect de temps de conduite, circulation à des vitesses beaucoup plus importantes. Donc ça pose un vrai problème ».

Auteur

  • Rouguyata Sall