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Harcèlement sexuel : le réveil des consciences

Décodages | Responsabilité sociale | publié le : 05.12.2017 | Valérie Auribault

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Harcèlement sexuel : le réveil des consciences

Crédit photo Valérie Auribault

Trop peu d’entreprises affichent la loi relative au harcèlement sexuel. Trop peu sensibilisent leurs salarié(e)s. Mais depuis le scandale outre-Atlantique de l’affaire Harvey Weinstein, les victimes prennent enfin la parole. Changement de donne.

La parole n’en finit plus de se libérer sur les réseaux sociaux. Les victimes de harcèlement sexuel ou d’agressions, notamment au travail, commencent à se lâcher. Aucun secteur n’est épargné. Le monde bancaire, les médias, la classe politique… Et la gendarmerie a enregistré une hausse des plaintes de 30 % en octobre dernier. Des agressions banalisées qui ont mis beaucoup de temps à être révélées et surtout prises en compte.

« Une démarche de combat ».

Pourtant, ces violences sont d’une extrême gravité. Autant que les répercussions sur les salariées : sur leur vie professionnelle, privée et sur leur santé. Des violences au cœur des inégalités et des processus de domination qui prennent diverses formes : physiques, psychologiques, verbales, environnementales. Mais dénoncer relève du tour de force. « Les femmes qui viennent me voir au cabinet sont dans une démarche de combat, pour dénoncer, obtenir réparation et éviter d’autres victimes », explique Maud Beckers, avocate spécialisée en droit du travail et discriminations. Sur leur lieu de travail, ces femmes sont rarement prises au sérieux. « Dans l’un de mes dossiers, trois collègues s’étaient arrangés pour donner la même version. Ils avaient d’ailleurs été entendus en même temps par la hiérarchie », note l’avocate. « Souvent, l’entreprise préfère fermer les yeux et conserver un haut responsable ou un commercial qui fait du chiffre, admet le psychologue Matthieu Poirot, fondateur du cabinet Midori Consulting, spécialisé dans la qualité de vie au travail. Surtout dans les TPE, les PME et les collectivités territoriales. » Les salariés victimes de harcèlement pouvaient se tourner vers leur Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) afin qu’une enquête soit menée. Mais la réforme et la fusion des instances représentatives du personnel vont compliquer la donne. « Avec la disparition du CHSCT, c’est marche arrière toute, déplore Laure Ignace, juriste à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Dans les entreprises de moins de 20 salariés, le devoir d’alerte disparaît. Sans parler des effectifs de l’Inspection du travail : 2 000 inspecteurs pour 18 millions de salariés ! » La baisse des effectifs de l’Inspection du travail devrait se poursuivre jusqu’en 2018 : 49 sections d’inspection vont être supprimées en Île-de-France. Faire enregistrer une plainte n’est guère plus facile. La police oriente le plus souvent vers une main courante et non vers un dépôt de plainte. « Selon elle, les faits qui ont lieu en entreprise relèvent des Prud’hommes », constate Maud Beckers. Or le harcèlement sexuel est un délit passible de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Qu’il ait lieu au travail ou non.

Abus de vulnérabilité.

En 2015, seules 109 condamnations ont été prononcées par les tribunaux français. « Trop peu de saisines nous sont adressées, reconnaît Sandra Bouchon, juriste au pôle emploi privé au Défenseur des droits. Notamment parce que les preuves sont difficiles à obtenir. Ces agissements ont souvent lieu tard le soir, entre deux portes où lors de séminaires hors des locaux habituels. Il n’y a pas de SMS pour prouver ce qui s’est passé, ni de mails. Cela se passe à huis clos. » Certes les enregistrements audio sont acceptés au pénal. Mais pas au civil où ils sont jugés comme étant un procédé déloyal… vis-à-vis de l’agresseur ! S’ajoute à cela la peur de perdre son emploi. « Lorsque les femmes sont en CDD, dénoncer ce genre d’actes est encore plus compliqué, poursuit Sandra Bouchon. Nous observons alors un abus de vulnérabilité de la part du harceleur en raison de la précarité dans laquelle se trouve la victime. » Un CDI ne protège pas plus. En 2014, une journaliste de la Nouvelle République du Centre-Ouest a été licenciée après un an d’arrêt de travail dû à un harcèlement sexuel. Son employeur estimant qu’elle n’était plus à même d’assurer son activité professionnelle. Dans la rédaction, cette salariée subissait un harcèlement d’ambiance de la part de ses collègues : blagues vulgaires à connotation sexuelles avec apposition de photographies suggestives. La salariée constitue alors un dossier avec les photographies affichées et les captures d’écran de postures sexuelles envoyées par ses collègues. En février 2017, le journal a été condamné en appel. Une condamnation qui fait jurisprudence en matière de harcèlement sexuel « environnemental ». « On parle beaucoup de burn out en entreprise, souligne la sociologue Laetitia César-Franquet. Mais que cache une insomnie, une anxiété, une dépression ? Peut-être une situation de harcèlement. Le CHSCT, les syndicats et les responsables des ressources humaines doivent se poser la question. Cela relève de leur responsabilité. »

Sensibilisation et Label Égalité.

Selon une enquête de l’institut de sondages Ifop pour le Défenseur des droits1, une femme sur cinq aurait été victime de harcèlement sexuel au travail. Le plus souvent, elles trouvent une écoute auprès d’un(e) ou plusieurs collègues (73 %), de la famille (48 %), un membre de la direction (42 %), un représentant des syndicats, un représentant du personnel (21 %) ou de l’Inspection du travail (5 %). Aujourd’hui, le Défenseur des droits rappelle qu’il peut intervenir et invite les femmes à se saisir de cette autorité. Parmi les grandes organisations syndicales syndicats, certaines ont pris la mesure du problème. « Le travail, c’est 8 heures par jour pendant 42 ans, souligne Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC et vice-présidente du Conseil économique et social européen (Cese). C’est aussi un lien social avec des collègues. Si ça, ça casse, les conséquences sont terribles. » À l’instar de la CFTC, la CGT a largement sensibilisé ses délégué(e)s. « La CGT n’est pas machiste mais il y a trop de machos à la CGT. Une phrase signée Philippe Martinez, rappelle Sophie Binet, membre de la direction confédérale et déléguée à l’égalité femmes-hommes. Tout le monde doit être sensibilisé. À l’heure actuelle, beaucoup d’employeurs refusent d’évoquer la question et d’afficher la loi. » Celle du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel. Or, l’article L.4121-1 du Code du travail souligne que l’employeur est tenu d’assurer la santé et la sécurité physique et mentale des salariés. Et doit empêcher la survenue d’agissements de harcèlement sexuel.

En 2005, les Services funéraires de la ville de Paris (SFVP) ont été parmi les premiers à obtenir le Label Égalité et à se saisir de cette question. « Nous avons mis en place diverses actions, instauré un règlement intérieur suivi de plusieurs réunions afin d’informer chaque salarié. Une cellule d’écoute a été créée avec une ligne directe dont le numéro est largement diffusé dans nos locaux, explique Cendrine Chapel, directrice générale adjointe de SFVP. Il faut comprendre que quand c’est non, c’est non. » Et les salarié(e)s l’ont bien compris. Une employée qui avait subi un geste déplacé a reçu le soutien sans faille de ses collègues. L’agresseur qui travaillait aux SFVP depuis 4 ans « estimait que ce n’était pas grave et s’était excusé. Nous l’avons licencié pour faute grave. Aucune entreprise n’est à l’abri. Nous devons tous être vigilants », insiste Cendrine Chapel.

Un protocole en cas de plainte.

Depuis 2014, le groupe La Poste a mis en place un dispositif identique. « Une enquête est ouverte dès lors qu’il y a une plainte, explique Florence Wiener, directrice de la stratégie sociale et de la qualité de vie au travail du groupe. L’enquête suit les règles d’un protocole. Durant cette démarche, le médecin du travail et l’assistante sociale accompagnent les personnes impliquées. » Tous les responsables RH veillent au déclenchement de ce protocole en cas de plainte. Des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées à l’encontre des auteurs. Jusqu’au licenciement. Les postiers victimes de violences de la part de clients peuvent se voir proposer un autre parcours de distribution. « La Poste porte alors plainte contre le client aux côtés de son collaborateur », poursuit Florence Wiener.

D’autres langues se délient…

Matthieu Poirot, qui forme et enquête dans les entreprises, insiste : « il faut sensibiliser les managers. Par le biais du théâtre ou de jeux de rôles, les gens comprennent mieux et réagissent ». La procédure en cas de harcèlement sexuel doit être claire et accessible. « La victime doit savoir immédiatement vers qui se tourner, connaître le déroulement de l’enquête, le compte rendu… », rappelle-t-il. Certaines grandes écoles de managers prennent les devants. Originaire du Mexique, « un pays très machiste où le taux de féminicide est très inquiétant », Mar Pérezts, professeure associée en management et sciences sociales à EM-Lyon et membre du Centre de recherche OCE, sensibilise systématiquement les étudiants. « Souvent les étudiantes ne se sentent pas concernées par les discriminations, le sexisme et le harcèlement sexuel, constate-t-elle. Elles sont diplômées, issues des classes moyennes ou aisées. D’autres sont plus vigilantes. Un Collectif Olympe a été créé en réponse à ces soirées étudiantes dans lesquelles des jeunes filles peuvent subir des agressions sexuelles. » Laurent Bibard, professeur à l’Essec et titulaire de la chaire Edgard Morin de la complexité, note qu’à « force d’être connectés, nous avons oublié que nous avions un corps. Mettre la main sur l’épaule d’un collègue, c’est déjà une prise de pouvoir. C’est une volonté de puissance sur l’autre. Le geste n’est pas anodin et il faut une juste distance avec les autres. Plus de lois n’est pas la solution. Il faut éduquer ! ». La ministre de la Justice a déjà déclaré que « la justice est prête à faire face » à la hausse des plaintes. Et un nouveau texte contre les violences sexuelles et sexistes est en préparation. Mais déjà d’autres langues se délient. Celles des hommes. Ils seraient 3 % en France à subir ce type d’agressions…

(1) en 2014 sur un panel de 615 femmes

Auteur

  • Valérie Auribault