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La tyrannie des nouvelles évaluations

À la une | publié le : 05.12.2017 |

ANGELIQUE DEL REY enseigne la philosophie dans un centre de postcure pour adolescents, en banlieue parisienne. Dans son premier ouvrage (2003, La Découverte), elle décrypte La Tyrannie de l’évaluation.

Faut-il être pour ou contre l’évaluation ?

D’un côté, l’évaluation au double sens de la connaissance et du jugement est un préalable à tout choix rationnel. Le sportif n’évalue-t-il pas la hauteur ou la longueur avant de sauter ? le chirurgien et son patient n’évaluent-ils pas les chances de réussite et les risques d’échec avant d’opérer ? L’homme politique ne doit-il pas quant à lui évaluer les bénéfices et les inconvénients d’une réforme avant de la proposer ? D’un autre côté, dans un colloque organisé à la Mutualité par des psychanalystes et intitulé « évaluer tue », un consultant émettait l’idée qu’on ne doit pas faire de différence entre le travail des uns et celui des autres, sous peine de tomber dans une pratique managériale libérale, selon laquelle le seul bon salarié est celui qui finit par se suicider sous la pression qui pèse sur lui.

L’évaluation est-elle objective ?

La tyrannie des nouvelles évaluations se fonde sur leur prétendue objectivité. Alors même qu’elles tendent à s’exercer sur la totalité de la vie individuelle et sociale, elles se font passer pour tout autre chose qu’un pouvoir : une simple « information », voire un discours de… vérité. Et avec le progrès des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le jugement de valeur présent dans toute évaluation tend à s’effacer derrière l’imposition automatique d’une mesure… auto-référencée : si tel blog ou site Internet génère beaucoup de mentions « j’aime », c’est qu’il est bon et mérite d’être fréquenté, si le spectacle fait venir peu de spectateurs ou s’il ne participe pas activement à la « création de lien social » (prix de consolation), il ne vaut rien, si le projet a demandé beaucoup d’argent, il faut évaluer le rapport coût/bénéfice (y compris si c’est un projet qui met en jeu la santé des bénéficiaires), et ainsi de suite.

Quelle est la conséquence de l’évaluation des politiques et actions publiques ?

Cette dernière forme d’évaluation, qui commence à s’imposer en France dans les années 2000, a des conséquences dans tous les secteurs, sur toutes les organisations et institutions, dans tous les métiers et professions. L’enseignement supérieur et la recherche furent parmi les premières institutions touchées, notamment à travers un classement bibliométrique autoréférencé des revues, ainsi que des critères formels de classement des chercheurs et des universités. L’Éducation nationale a été également concernée, avec des postes réduits de façon drastique, la formation des enseignants supprimée, les établissements scolaires mis en concurrence… comme un résultat des évaluations « par la performance ». Dans le domaine de la santé, l’évaluation a entraîné la fermeture de certains centres de soins, la tarification à l’acte, les évaluations de soignants selon des logiques étrangères à leur métier. En matière de justice, cette évolution s’est traduite par l’apparition des peines plancher et des rétentions de sûreté… Même les secteurs correspondant aux fonctions régaliennes de l’État comme la police n’échappent pas aux évaluations managériales, et des policiers de plus en plus nombreux n’hésitent pas à se plaindre de devoir « faire du chiffre » au lieu de faire leur métier.