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Dépassé l’entretien annuel ?

À la une | publié le : 05.12.2017 | Lucie Tanneau

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Dépassé l’entretien annuel ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Généralisé dans les années 2000 pour faire le point avec le salarié sur ses objectifs professionnels et personnels, l’entretien annuel est aujourd’hui remis en question. Plus en phase avec le rythme du business, ni avec les méthodes de management à la mode. Certaines entreprises l’ont déjà supprimé… d’autres cherchent à l’aménager.

Inefficace, obsolète, chronophage… Les critiques contre l’entretien annuel d’évaluation se multiplient. « C’est une purge : c’est toujours ce que j’ai entendu dire autant du côté des managers que des managés », résume Gaël Chatelain, manager pendant 20 ans dans de grandes entreprises (TF1, Canal+, INA…) aujourd’hui consultant. Contrairement à l’entretien de formation, obligatoire tous les deux ans, l’entretien d’évaluation est facultatif, mais il a été généralisé dans pratiquement toutes les entreprises au début des années 2000. Son but : faire le point sur les derniers projets du salarié, ses réussites et échecs, fixer le cap pour l’année à venir, et évoquer ses attentes pour évaluer, au cours d’une discussion manager-managé ses aspirations tant en termes d’évolution de carrière que de salaire. « Pour bien faire, il faut le préparer et prévoir au moins deux heures d’échanges avec le collaborateur, peu de managers s’y contraignent », résume Gaël Chatelain. « C’est comme si dans un couple, quand on a un problème, on attendait la fin de l’année pour en parler ! Il faut le supprimer », plaide-t-il.

Un dispositif qui n’a pas suffisamment évolué.

Deux tiers des entreprises seraient sur la même ligne, ou presque. « La moitié des entreprises pensent que le système d’évaluation actuel est inefficace, et deux tiers voudraient le faire évoluer », détaille Philippe Burger, en charge du conseil RH au sein de l’agence Deloitte, qui a mené une étude en France l’an dernier auprès de 300 entreprises de toutes tailles. « et 75 % des collaborateurs jugent que l’entretien n’est pas satisfaisant, donc le constat est partagé », complète-il. « C’était mieux que rien, alors qu’avant les années 1990 il n’y avait pas d’échanges réels entre le manager et ses collaborateurs », reprend Gaël Chatelain, qui fait coïncider le début de cette remise en cause massive avec la vague de suicides chez France Télécom, en 2008-2009. « Ça permettait de professionnaliser et d’objectiver la relation », poursuit Philippe Burger. Sauf que cette rencontre n’aurait, selon eux, pas évolué aussi vite que l’époque.

« Avant, l’entreprise fonctionnait sur une sorte de calendrier annuel, mais tout s’est accéléré : les clients attendent des retours plus rapides. Le fast work s’applique dans le développement du produit, mais aussi en RH », confirme Agnès Bensoussan, DRH France de General Electric, souvent cité en exemple pour avoir supprimé l’entretien annuel. « Nous ne l’avons pas supprimé, corrige-t-elle, mais la transformation de GE comme acteur numérique et le changement de culture globale nous a forcés à imaginer une procédure d’évaluation plus agile, avec notamment une revue de priorités par trimestre, qui correspond plus au rythme du marché », complète la DRH. Le rythme d’entretien a aussi été revu chez Microsoft depuis trois ans. « Le système d’entretien que l’on prépare pendant 2 h et durant lequel on discute pendant 3 h était lourd, alors que le système change vite, il fallait imaginer des rendez-vous plus pragmatiques et cohérents avec la culture de l’entreprise », justifie la DRH Caroline Bloch. « On prévoit maintenant deux connect obligatoires de 45 minutes par an pour faire le point sur les mois précédents et fixer les objectifs suivants et jusqu’à cinq ou six si besoin », détaille-t-elle, convaincue qu’il est nécessaire d’alterner le temps de l’action, très rapide, avec des temps de pause, pour se poser et réfléchir à l’apport du collaborateur dans la réussite de l’entreprise. « Un grand rendez-vous annuel de plusieurs heures n’est plus nécessaire si la relation a été continue tout au long de l’année », conclut-elle.

Des échanges plus fréquents.

D’autant que le rapport entre manager et managé a beaucoup changé depuis le début des années 2000. « L’entretien correspondait à un mode de management assez directif », confirme Pascal Grémiaux, président d’Eurecia, un éditeur de logiciel de gestion RH pour les PME. « Aujourd’hui, on défend un management plus ouvert, plus dynamique et plus agile, qui colle avec la durée plus réduite des projets : les échanges doivent être plus fréquents. » Pour lui, ce management passe par « des objectifs et feedbacks plus réguliers qui permettent d’encourager le salarié, et d’apporter les correctifs nécessaires : on ne peut plus attendre de faire le point une fois par an. C’est comme si les cinq fruits et légumes par jour, on les ingurgitait en une fois en mangeant dix kilos de cerises à la bonne saison ! », ironise-t-il. Un rythme qui serait sûrement difficile à digérer… Comme l’entretien annuel l’est pour les RH ? « Comment un DRH peut-il faire la synthèse de 500 entretiens annuels effectués par une quantité de managers différents ? », interroge ainsi Gaël Chatelain, qui dénonce en outre le risque d’un rendez-vous focalisé sur les deux ou trois derniers mois de l’année. Et donc celui d’évaluer le salarié sur une partie de son travail seulement.

Outre le rythme, le temps perdu ou le changement de culture et de management, la façon même d’évaluer les salariés au cours de cet entretien est en effet montrée du doigt. « Dans beaucoup de métiers, le salarié ne travaille pas directement avec son chef. Les études que nous avons réalisées montrent que le salarié se sent ainsi jugé par une personne qui n’est pas forcément la plus pertinente, ce qui n’est pas de nature à favoriser son engagement », détaille Philippe Burger, pour Deloitte. « Aujourd’hui, les managers sont davantage des coachs, et le salarié n’accepte plus cet entretien qu’il perçoit comme une sanction », rappelle-t-il. La note finale pouvait notamment bloquer le collaborateur. « Nous l’avons supprimée, tranche Agnès Bensoussan de GE, car on s’est rendu compte que la notation était la seule chose que retenait l’employé : la déception ou la satisfaction impactait négativement ce qui avait été dit par ailleurs, par exemple si la note était bonne mais que le manager conseillait des changements, le collaborateur retenait seulement “tout va bien” », relève la DRH. Si elle reconnaît que la note était un outil, notamment pour la revue de salaire, ce nouveau procédé permet néanmoins d’offrir des promotions. « La note est une hyperationalisation, qui nous rassure, mais n’est pas forcément utile. On revient à un procédé peut-être plus sain, mais qui demande plus de courage managérial : le manager doit justifier les choix, ce que faisait la note », reconnaît Agnès Bensoussan.

Le digital change l’outil.

Si l’entretien est critiqué, tous ces détracteurs insistent sur la nécessité de continuer à évaluer le salarié. « Le collaborateur sait que c’est son manager qui va décider de ses promotions ou de son évolution, et il souhaite donc que l’on s’occupe de lui », défend Caroline Bloch. La DRH de Microsoft France pense notamment à la génération des Millenials, « qui a besoin de discussions plus rapides et plus fréquentes ». « C’est une génération beaucoup plus libre dans sa façon de s’exprimer », confirme Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur émérite à HEC Paris et tout nouveau président de l’Association des chercheurs en ressources humaines (AGRH). « Moi, je suis baby-boomer. On savait qu’on se préparait à une carrière entière dans une entreprise. Les générations Y et Z, qui ont connu le développement ou sont nées avec Internet, sont beaucoup plus rapides et impatientes : c’est dans leur ADN. » Le digital a changé les salariés, mais aussi les outils. L’évaluation est désormais de plus en plus numérique (lire ci-contre). Les retours se font via des applications mobiles, l’évaluation sur des plateformes en ligne. Le face-à-face en présentiel est-il mort et enterré ? « Les outils peuvent mener des évaluations à 360°, mais il reste une relation manager-managé qui a besoin de dialogue : le rôle du DRH est de responsabiliser ses managers à cette nouvelle posture de coach », défend Charles-Henri Besseyre des Horts, qui insiste sur la formation nécessaire des managers tenus d’assurer une forme d’équité entre contribution et rétribution. « Supprimer toute forme d’évaluation est une absurdité : l’enjeu, c’est de transformer un entretien rigide en une procédure managériale plus souple. Pour ça, il n’y a pas une bonne méthode. Dans le high-tech ou la sidérurgie les outils ne seront pas les mêmes, mais tous doivent y réfléchir », conclut le président de l’AGRH.

« La chaleur humaine et la communication restent la base de tout », défend Pascal Grémiaux. Au risque de passer pour un « Bisounours », le président d’Eurécia défend la rencontre « comme un outil nécessaire, parmi d’autres ». « C’est comme en famille, si on veut créer des relations réelles et sincères, on ne peut pas se voir qu’une fois par an à Noël », illustre-t-il. Dans toutes les entreprises focalisées sur la qualité de vie au travail, les logiciels devraient donc être utilisés pour servir la rencontre.

Auteur

  • Lucie Tanneau