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Idées

Dans les coulisses de l’immobilier

Idées | Livres | publié le : 06.11.2017 | Lou-Eve Popper

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Dans les coulisses de l’immobilier

Crédit photo Lou-Eve Popper

Pour la première fois en France, une chercheuse a enquêté sur les conditions de travail des agents immobiliers, travailleurs précaires souvent méconnus d’un secteur économique qui fait pourtant figure d’Eldorado pour les jeunes.

Qu’ils sont forts ces sociologues ! À certains égards, certains d’entre eux pourraient même passer pour des supra-journalistes. La chercheuse Lise Bernard (du Centre Maurice Halbwachs, rattaché au CNRS) qui a enquêté minutieusement pendant de longues années sur les agents immobiliers, figure sans aucun doute parmi ceux-là. Entre septembre 2005 et juin 2008, alors qu’elle n’était encore qu’une jeune étudiante, cette dernière est parvenue à « infiltrer » une agence immobilière parisienne. Cultivant le flou sur ses intentions scientifiques, l’universitaire a ainsi pu analyser le travail quotidien des négociateurs et de leur responsable d’agence. Son observation ethnographique s’est par ailleurs doublée d’une multitude d’entretiens avec de très nombreux agents immobiliers partout en France. Douze ans plus tard, elle tire de son investigation un livre d’une rigueur scientifique remarquable, qui se lit comme un roman.

On y découvre avec stupeur que les agents immobiliers, loin de rouler sur l’or, vivent en réalité dans des conditions de précarité à faire frémir. Rémunérés uniquement grâce à un pourcentage sur les ventes, beaucoup sont dans une situation d’esclavage moderne. Parmi les nombreux portraits qui jalonnent son enquête, Lise Bernard raconte ainsi avoir rencontré un agent immobilier ayant touché pendant deux ans l’équivalent du RSA, tout en travaillant entre 50 et 60 heures par semaine. Rien ne pouvait prédire à cet ancien agent de sécurité que le mois suivant serait meilleur que le précédent.

À cette insécurité financière s’ajoute une ambiance de travail souvent délétère au sein des agences. Car la concurrence est rude : les négociateurs se disputent les clients potentiels avec une violence peu commune. Quelques scènes, rapportées dans le livre, en témoignent. Dans ce milieu marqué par des conditions de travail épouvantables, où seuls les requins semblent pouvoir survivre, la plupart sont pourtant fiers de leur travail. Ils revendiquent leur indépendance, leur autonomie et n’hésitent pas à dénoncer la fainéantise des salariés et plus particulièrement des fonctionnaires, ces « assistés » pour qui « tout est acquis », les syndicats et les grévistes. Ces pros de l’immobilier valorisent ainsi « le risque, l’ambition, la réussite économique et l’investissement dans le travail ». C’est sans honte aucune qu’ils revendiquent leur attrait pour l’argent, gagné à la sueur de leur front, souvent sans diplôme.

Avec finesse, sans jamais les juger, Lise Bernard parvient donc à faire émerger des personnages complexes, à la fois victimes et partisans du système dans lequel ils évoluent. Tout au long de la lecture, ces derniers suscitent ainsi des sentiments contradictoires : à première vue antipathiques et vénaux, ils apparaissent dans un second temps comme des êtres au parcours chaotique, souvent blessés par la vie et assoiffés de reconnaissance sociale. Un sacré paradoxe.

La précarité en col blanc.

Une enquête sur les agents immobiliers Lise Bernard-Puf, 356 pages, 29 euros.

Auteur

  • Lou-Eve Popper