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Relever le défi de la formation

Dossier | publié le : 06.11.2017 | Gwenaël Cadoret

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Relever le défi de la formation

Crédit photo Gwenaël Cadoret

Le système de la formation peine à s’ouvrir au public handicapé. Mais les lignes commencent à bouger.

« Nous cherchons ardemment à recruter des travailleurs handicapés ! » Directeur de la Mission handicap chez CapGemini, Jean-Claude Mouhat l’assure : son entreprise est « handi-compatible » pour les titulaires de master 2, de diplôme d’ingénieur ou d’école de commerce… Sauf que ces profils sont extrêmement rares. À peine 9 % des jeunes en situation de handicap poursuivent des études supérieures, alors les entreprises s’arrachent « la crème de la crème » : des Bac+5 si possible spécialisés, et disposant d’une reconnaissance de leur qualité de travailleur handicapé (RQTH). Philippe Baconnet, son homologue chez Sopra Steria, confirme. « Il est très difficile de trouver des personnes formées, alors que nos métiers sont compatibles avec un bon nombre de handicaps. »

Parmi les demandeurs d’emploi handicapés, 26 % seulement ont un niveau supérieur ou égal au Bac, 48 % ont plus de 50 ans, et 56 % sont chômeurs de longue durée. « Les personnes en situation de handicap sont en général plus âgées, avec un niveau de diplôme plus bas que la moyenne de la population active », rappelle Zineb Rachedi-Nasri, sociologue de l’INS HEA.

Pallier le déficit de formation initiale

Le système éducatif est en partie responsable de cette situation. L’Éducation nationale et l’enseignement supérieur prennent encore assez mal en compte la question du handicap, faute d’y dédier des moyens humains suffisants, comme l’a montré la suppression de nombreux postes d’auxiliaires de vie scolaire en contrats aidés. Lors des passages entre l’école primaire et le secondaire, les pertes d’effectifs sont importantes. Très peu d’enfants porteurs d’un handicap font des études supérieures. Et le défaut d’orientation et de soutien scolaire pèse encore lourd sur les parcours. « Je croise parfois des jeunes en classes adaptées – Clis, Ulis ou Segpa – qui n’ont rien à y faire », déplore Bénédicte Sauer, fondatrice du Club Osons, qui accompagne 200 jeunes bretons en situation de handicap.

En matière de formation professionnelle, les comptes personnels de formation ont été peu mobilisés. Si les plans régionaux d’insertion (Prith) coordonnent parfois mieux les acteurs du territoire, l’accès à la formation reste encore trop restreint. En partie parce que les dispositifs dédiés aux personnes en situation de handicap ont disparu. « L’Afpa a longtemps proposé des formations dédiées, mais elles sont réduites à peau de chagrin », rappelle Wenceslas Baudrillart, membre du Conseil consultatif sur le handicap et dirigeant d’une entreprise adaptée. L’intention de l’Afpa était d’intégrer les personnes handicapées dans les formations de droit commun. Au final, une concurrence s’opère entre les publics éloignés de l’emploi et les personnes valides. « Comme il n’y a pas de places prioritaires réservées aux travailleurs handicapés, la personne devient un candidat parmi les autres », regrette Marlène Cappelle, manager du pôle expertise de Cheops, qui représente les Cap Emploi. « L’Agefiph est censée compenser le surcoût financier de ces formations lié au handicap, mais cela ne suffit manifestement pas », constate Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath, l’association des accidentés de la vie.

Aux problèmes d’accès à la formation s’ajoute l’obstacle de l’âge. 77 % des travailleurs handicapés et 92 % des accidentés du travail ont plus de 40 ans. Un âge où se multiplient les cas d’usure professionnelle, d’accident du travail ou de la vie. La reconversion de ces « seniors » est d’autant plus ardue qu’elle prend souvent plusieurs années. « Quand un maçon ou un carreleur doit se tourner vers le tertiaire, c’est une révolution personnelle et professionnelle », confirme Véronique Bustreel, de l’Association des Paralysés de France. En fonction de sa situation, la personne est alors prise en charge par Cap Emploi, le Sameth ou les centres de rééducation professionnelle.

Les branches à la manœuvre

Pour dénicher la perle rare, certains employeurs se sont mis au défi de former eux-mêmes leurs recrues potentielles. Plusieurs branches professionnelles ont pris le sujet à bras-le-corps, depuis que la loi de 2005 oblige à négocier des accords spécifiques. Ces accords donnent la possibilité d’utiliser le montant des indemnités Agefiph sous forme de budget dédié et autonome. Ce qui permet de multiplier les actions pour faire remonter le taux d’emploi. Ainsi, depuis 2008, HandiFormaBanques a formé plus de 700 personnes aux métiers de la banque. En 2009, des assureurs mutualistes ont créé l’association Gema-handicap, devenue en 2016 la Mission Handicap Assurance, désormais chapeautée par la Fédération française de l’assurance qui regroupe 280 entreprises du secteur. Elle forme chaque année une cinquantaine de personnes à un certificat de qualification professionnelle (CQP), ou en 24 mois au brevet de technicien supérieur.

L’aéronautique s’y est mise également. Depuis 2010, l’association Hanvol Insertion, soutenue par 14 entreprises dont Airbus, Dassault ou encore Safran, a permis la signature de 115 contrats en alternance, et l’obtention de 74 diplômes, dont la moitié de Bac pro. 64 % ont ensuite signé des CDI, 14 % des CDD et 14 % travaillent en intérim. « Cela prouve que si l’on organise bien la formation, on peut voir des travailleurs handicapés dans des métiers que l’on n’imaginait pas », note Arnaud de Broca, de la Fnath.

Handituteurs chez Sopra Steria

Certains grands groupes se sont saisis eux-mêmes du dossier du handicap. C’est le cas de Capgemini et de Sopra Steria, qui ont décidé d’anticiper leurs recrutements à très long terme. Capgemini multiplie ainsi les conventions et projets de formations dédiées avec les universités et grandes écoles, et a même mis en place HEduCAP, une formation maison d’un an dédiée au public Bac+4 handicapé. Avec Airbus et Thalès, elle porte le dispositif « Atout pour tous », conventionné par plusieurs rectorats, des universités et des grandes écoles. L’objectif est « d’accompagner des personnes handicapées du collège à l’enseignement supérieur », décrit Jean-Claude Mouhat. Au programme : visites et stages au sein des entreprises, aides matérielles… Ces actions ont été de pair avec la mise en place d’une culture d’entreprise plus ouverte. Le taux d’emploi de Capgemini atteint désormais 3,01 % alors qu’en 2006 il plafonnait à 0,6 %. Chez Sopra Steria, le programme « HandiTutorat » offre du soutien scolaire à une centaine de jeunes en situation de handicap par des élèves d’écoles d’ingénieurs de Bordeaux, Paris, Rennes et Clermont-Ferrand. « Ces handituteurs suivent une formation sur le handicap, et sont accompagnés par un handimanager de Sopra Steria, tout au long de l’année », explique Philippe Baconnet. L’ambition est double : donner aux lycéens l’envie de poursuivre leurs études après le Bac malgré leur handicap et préparer les cadres de l’entreprise au management de la diversité. Sopra Steria forme également les salariés de son sous-traitant Atimic, une entreprise adaptée, dont 80 % des effectifs ont une RQTH.

Vers un choc de formation ?

L’idée s’impose. En milieu ordinaire, il faut améliorer l’accompagnement vers l’emploi au sein de l’entreprise. Les Cap Emploi misent sur les périodes de mise en situation en milieu professionnel (11 000 prescriptions en 2016). L’Agefiph soutient les actions de découverte-métier dans les métiers de bouche, l’électronique… Et compte également « mettre le paquet » sur l’alternance. « Cela fonctionne aussi bien dans le luxe que dans l’assurance », assure Hugues Defoy, directeur du Pôle métier de l’Agefiph. Surtout, l’alternance s’adapte autant aux grands groupes qu’aux PME, car elle « rassure l’employeur qui peut voir les compétences de la personne sur le long terme », argue Philippe Chognard, de la CPME. Mais le mécanisme est loin d’être rôdé. Moins de 5 500 contrats d’apprentissage et de professionnalisation ont été aidés financièrement par l’Agefiph en 2016 (en baisse de 12 % par rapport à 2015) (source Agefiph). Le grand plan d’investissement du gouvernement va-t-il changer la donne ? 15 milliards d’euros sont annoncés, dont 7,1 pour les publics les plus éloignés de l’emploi. « On a une énorme carte à jouer », s’enthousiasme Véronique Bustreel de l’APF. Pour accompagner cette montée en puissance, l’Agefiph va développer un nouveau service : « Ressource formation handicap ». Déployé à l’échelon régional, il offrira une expertise globale sur les questions de formation. La méthode : informer, analyser les besoins de compensation liés à la formation, et émettre des recommandations. « Les outils existants ne sont pas toujours bien mobilisés, note Hugues Defoy. L’expert sera là pour simplifier les choses ». Une meilleure information, pour plus d’inclusion.

Repère

> 9 % des personnes handicapées poursuivent des études supérieures

> 77 % n’ont pas été au-delà du CAP ou du BEP

> 5 452 contrats d’apprentissage et de professionnalisation ont été aidés financièrement par l’Agefiph en 2016

Auteur

  • Gwenaël Cadoret