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Pour Mehdi Houas, le bien-être dope la performance de Talan

Décodages | publié le : 06.11.2017 | Gwenolé Guiomard

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Pour Mehdi Houas, le bien-être dope la performance de Talan

Crédit photo Gwenolé Guiomard

Management participatif, création d’un poste de chief happiness officer, incitation à mener des projets en interne comme à l’externe : Mehdi Houas fait feu de tout bois pour chouchouter les consultants de Talan. Un carburant indispensable pour attirer les candidats et doubler, d’ici à 5 ans, le chiffre d’affaires de cette ESN créée il y a une vingtaine d’années. Un sacré challenge dans un secteur en panne de… talents.

« Bienvenue chez vous ». Lorsque le nouveau siège parisien de Talan, a ouvert ses portes, en septembre 2016, le message à destination des salariés était floqué, façon pochoir, à l’encre bleue sur le trottoir. Cette entreprise de services du numérique (ESN) a beau être méconnue, elle ne manque pas d’ambition. Ses dirigeants affichent la volonté de doubler le chiffre d’affaires tous les deux ans pour atteindre le milliard d’euros en 2022, alors que son volume d’affaires actuel (160 millions d’euros en 2016) la place vers le bas du top 50 du secteur.

Pour réussir ce pari, l’entreprise doit entrer dans une spirale vertueuse et résoudre une équation devant laquelle échouent bon nombre de ses concurrents : attirer et fidéliser des consultants sur un marché de l’emploi totalement pénurique. Car, en matière de croissance interne, Talan s’en remet avant tout à des salariés experts. Il s’agit de disposer de spécialistes en nombre dans une branche (le conseil en solutions informatiques et digitales) où l’on se bagarre littéralement pour recruter des collaborateurs hautement qualifiés mais rarement fidèles.

L’attractivité que veut exercer Talan commence par son nouveau siège social situé entre l’Arc de Triomphe et la tour Eiffel, au cœur du très chic 16e arrondissement. Talan a confortablement installé ses troupes dans un immeuble de prestige, avec colonnades à l’appui. Symbole d’un développement exponentiel, qui a vu cette petite société de services et d’ingénierie en informatique, créée en 1989 sous le nom de Telease Consultant par trois copains, anciens d’IBM, devenir un acteur respecté du secteur. « Nous n’avions pas trente ans. Avec Philippe Cassoulat et Éric Benamou, nous avons décidé de monter notre boîte car j’avais le sentiment qu’IBM ne donnerait pas de promotion à un salarié issu de la diversité », indique Mehdi Houas, président-fondateur du groupe, devenu Talan en 2002.

La suite tient de la success story comme il en existe beaucoup d’autres dans les nouvelles technologies. Le groupe, qui pouvait se réunir dans une cabine téléphonique il y a près de trente ans, emploie désormais 1 700 personnes, dans trois grands domaines d’activité : le conseil et l’innovation technologique, avec Talan Consulting, qui réalise des analyses de marché et des audits d’organisation et aide à l’optimisation des processus et modes de fonctionnement grâce à de nouvelles organisations ; les objets connectés et le big data avec Talan Labs ; et, enfin, la location d’outils numériques avec Talan Solutions. « Naître en pleine crise, à la suite de l’éclatement de la bulle Internet et passer de 0 à 1 700 salariés en une petite vingtaine d’années, c’est remarquable dans ce monde extrêmement concurrentiel. Reste, pour eux, à gérer une croissance qu’ils souhaitent vertigineuse », estime Pascal Caillerez, auteur du guide des SSII/ESN aux Éditions du management.

Heureux comme un consultant au travail.

Outre le milliard d’euros, Talan veut, en effet, atteindre le cap des 10 000 salariés d’ici à cinq ans. « Dans un marché relativement mature, la seule façon d’atteindre ces résultats est de réaliser des fusions-acquisitions. Le principal risque, en matière de politique de ressources humaines, est alors de créer des tensions entre les anciens et les nouveaux, dues à des pratiques différentes, par exemple sur les congés payés ou les RTT. Sans compter le stress que peuvent engendrer les suppressions d’emploi pour cause de doublons », analyse Xavier Burot, secrétaire fédéral de la fédération des sociétés d’études du syndicat CGT. Dans sa course effrénée à la croissance interne et externe, l’entreprise joue gros et en est consciente. Pour grossir sans heurts, Talan s’appuie sur plusieurs leviers.

Vive la méthode agile !

Première priorité, favoriser le bien-être des salariés. Un discours souvent entendu ailleurs, mais totalement revendiqué ici. « Nous faisons tout pour que les deux tiers de la vie que nous passons au bureau constituent un moment agréable », résume Mehdi Houas, le fondateur de Talan. « Les consultants sont contents de venir travailler, reconnaît l’un d’entre eux. Cela se voit en clientèle. En retour, nos clients sont satisfaits. Et ce retour sur investissement est bon pour tout le monde ». Pour favoriser ce « bonheur au travail » recherché partout, le groupe a nommé, cette année, une chief happiness officer qui était spécialiste en RSE au sein du département ressources humaines. « Mon but premier est de tisser des liens entre les collaborateurs », explique Chloé Vinel, la nouvelle « CHO ». Pour fédérer les consultants souvent partis en mission, elle a, par exemple, inscrit l’entreprise à WorkN’ sport, le premier challenge « connecté, multisports et solidaire inter-entreprises », en partenariat avec l’association Handicap international. Avec un principe simple : une minute de sport = un nombre de calories dépensées mesuré par une application Moves = un point. En vertu du nombre de points obtenus, Talan fait un don de 10 000 euros à l’ONG Handicap international. « Quand je parle de notre chief happiness officer, les gens rigolent et se demandent ce qu’elle peut faire de ses journées, souligne un salarié. Mais ces moments festifs sont essentiels. On est plus souvent en clientèle qu’au bureau. C’est important de se retrouver, de se connaître, de s’amuser ensemble ». Dans le même ordre d’idées, l’entreprise multiplie les événements festifs, les voyages de groupe. « Cinquante salariés sont partis à Miami. C’est l’événement dont je suis le plus fier », note Rémi Pierre, manager au sein de la business unit énergie et service public, par ailleurs secrétaire du comité d’entreprise et délégué du personnel sans étiquette syndicale, Talan ne disposant pas de représentation syndicale.

Le deuxième pilier de la politique RH de Talan repose sur la gestion des carrières. L’ESN aura recruté près de 900 consultants cette année (500 en 2016). Mais elle devra en embaucher près de 2 000 par an pour atteindre ses objectifs. Pour attirer les jeunes diplômés, l’entreprise leur propose un parcours de carrière. Celui de Guillaume Laborier en est un bon exemple. Ce diplômé de l’Ensam (École nationale supérieure des arts et métiers) a été embauché, en 2008, sur un Salon de recrutement. « J’ai eu un bon feeling. Talan était une petite boîte ambitieuse. J’ai débuté comme consultant en maîtrise d’ouvrage chez Engie pour travailler sur une application de gestion des terminaux méthaniers. En 2010, j’ai changé de client pour intervenir chez ERDF/Enedis. J’y suis encore mais j’ai fortement évolué. J’ai encadré d’abord trois personnes. J’en ai 25 aujourd’hui sous ma responsabilité ». Guillaume a suggéré à sa direction d’appliquer une méthode agile, la méthode OKR (Objective and Key Result) dans son équipe, qui vient d’être étendue à l’ensemble de cette business unit de 250 personnes. « Elle pourrait être généralisée à l’ensemble de l’entreprise. Talan est une boîte différente car elle favorise le bottom up et l’intelligence collective ».

Pour les consultants de Talan, l’application de la méthode OKR est un bon aiguillon car elle leur permet de fixer eux-mêmes leurs objectifs, le manager tenant lieu de coach. « Ce mode de management est rare. Il n’est appliqué généralement que dans les PME. Mais c’est l’avenir. Si ce système est mis en place avec l’aval des salariés, c’est une bonne piste d’évolution dans le travail. Les collaborateurs comprennent mieux les objectifs, les acceptent mieux et le travail est mieux fait », estime Marie Buard, la secrétaire nationale CFDT de la Fédération Communication conseil culture, qui couvre la branche des entreprises du service numérique.

Des salaires haut de gamme.

Pour fidéliser son personnel, Talan a cherché à comprendre pourquoi les consultants s’en allaient, en sachant que le turnover est de 8 %, dans un secteur où la norme est de 14 %, selon l’Opiiec (Observatoire paritaire de l’informatique, de l’ingénierie, des études et du conseil), avec des pointes à plus de 20 %. « Nous avons fait des études pour analyser chaque départ, explique Hugo Catherine, directeur des ressources humaines du Groupe. Nous nous sommes rendu compte que les partants gardent une bonne image de nous. Nous en avons donc profité pour intégrer les anciens dans notre éco-système. Chez nous, un ex-Talan est un futur partenaire qui peut redevenir aussi un futur salarié. » Les passerelles entre l’interne et l’externe sont favorisées. « J’ai ainsi reçu un jeune consultant qui voulait nous quitter pour aller travailler aux États-Unis. Je lui ai proposé d’ouvrir un bureau à New-York. » C’est ce que ce salarié a fait avec, en prime, un MBA payé par l’entreprise.

Élément classique de fidélisation, la rémunération est également un domaine où Talan essaie de performer. « Grâce aux bonus, nos salaires se situent dans la fourchette haute par rapport à la concurrence », souligne un consultant. Pour un jeune diplômé, la rémunération à l’embauche se situe entre 36 000 et 38 000 euros bruts par an avec, en sus, un bonus de l’ordre de 3 000 euros. À comparer avec le salaire moyen donné par la Conférence des grandes (33 353 € bruts par an, hors bonus, pour les ingénieurs diplômés en 2016). Quant à l’Ensam, elle situe le salaire moyen à l’embauche de ses diplômés entre 34 500 et 38 000 € bruts par an.

L’ESN est très vigilante sur la question salariale, nerf de la guerre sur le marché du consulting. Quand une tension apparaît sur les rémunérations, le CE actionne immédiatement le signal d’alarme. « En cas de différent salarial, un consultant peut trouver un autre job en un mois, commente un membre du comité d’entreprise. Nous sommes tous sollicités par des chasseurs de têtes, donc l’objectif de la direction est de nous faciliter les choses… » Pour le syndicat CGT de la branche, cette autorégulation ne pourra pas durer. « Tant que tout va bien, cette population jeune, diplômée, bien payée, qui peut facilement changer d’employeur, ne fait pas appel à nous. Cela changera si la forte expansion de l’entreprise ne permet pas d’assurer la cohésion et le maintien d’avantages et de salaire importants », estime Jean-Luc Molins, secrétaire national à l’Ugict, la section cadres et ingénieurs de la CGT. À bon entendeur. Pour réussir sa croissance, Talan ne peut pas se permettre de perdre sa matière grise.

En chiffres

7 sites en France (Île-de-France, Lyon, Nantes, Rennes, Amiens, Montpellier, Lille).

8 implantations à l’étranger (Grande-Bretagne, USA, Canada, Chine, Tunisie, Maroc)

160 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016

1 milliard d’euros escomptés en 2022

1 800 salariés en 2017

10 000 escomptés en 2022

Auteur

  • Gwenolé Guiomard