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Associations : les bénévoles, des collaborateurs à part ou à part entière ?

Décodages | publié le : 06.11.2017 | François Desnoyers

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Associations : les bénévoles, des collaborateurs à part ou à part entière ?

Crédit photo François Desnoyers

C’est un défi pour les services de ressources humaines des grandes associations : faire cohabiter des salariés et des bénévoles aux objectifs et aux attentes souvent sensiblement différents.

Aux Restos du Cœur, il est parfois plus facile de gérer les 70 000 bénévoles qui font marcher les 2 000 centres d’accueil que les 500 salariés permanents de l’association. Certains présidents d’associations départementales ont toutes les peines du monde à endosser le costume d’« employeur », entre gestion des conflits, lien de subordination et pouvoir de coercition. Engagés dans l’aventure des Restos pour porter les valeurs de solidarité qui leur sont chères, ils abordent souvent avec perplexité cette autre dimension de leur action bénévole.

Ils ne sont pas les seuls. Pour Matthieu Hély, professeur de sociologie à l’Université de Versailles et spécialiste du travail en milieu associatif, on assiste aujourd’hui à un véritable « désenchantement de la pratique bénévole » dans les associations hexagonales. Un revirement qui incite des militants historiques à prendre leurs distances. Simultanément, d’autres poussent les portes des associations. C’est une nouvelle génération de convertis à l’aise avec la professionnalisation du bénévolat, l’autre évolution marquante pointée par Matthieu Hély, qui voit les associations s’entourer de spécialistes en comptabilité, en logistique, en fundraising ou en communication.

Dans l’univers du bénévolat, ces mutations profondes ont transformé des poids lourds comme le Secours catholique ou la Croix Rouge. Depuis longtemps déjà, les grandes associations ont juxtaposé les statuts (bénévoles, salariés en CDD, en CDI, en contrat aidé, volontaires, engagés en service civique…). Cette transformation concerne tout particulièrement les 8 000 d’entre elles qui emploient plus de 50 salariés. Par effet collatéral, cette professionnalisation progressive a entraîné une montée en puissance du salariat associatif, et avec elle une cohabitation forcée entre salariés et bénévoles. « Dans le milieu associatif, le nombre de salariés a triplé en 30 ans », explique Matthieu Hély. On en compte aujourd’hui 1,8 million, au beau milieu des 13 millions de bénévoles.

Pour les services RH des structures associatives de plus de 50 salariés, le premier défi est de rendre cette cohabitation la plus harmonieuse possible. « C’est l’un des sujets centraux qui distingue la gestion des ressources humaines d’une association et celle d’une entreprise marchande, explique Céline Ciéplinski, directrice des ressources humaines du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre solidaire (175 salariés et 15 000 bénévoles). Les objectifs, les attentes, les besoins peuvent être sensiblement différents entre salariés et bénévoles ». À taille équivalente, « les dirigeants d’associations reconnaissent que la GRH est plus complexe que dans une organisation classique, avec un double management, dédié aux bénévoles d’un côté, et aux salariés de l’autre », confirme Jean-Michel Huet, associé au sein du cabinet de conseil BearingPoint, coauteur de « Management et économie sociale et solidaire » publié aux Éditions Pearson fin octobre.

Les modèles de management peuvent même être beaucoup plus complexes. « À côté du management salarial classique, de salarié à salarié, la structure peut mettre en place un management délégué, lorsque des bénévoles ayant des responsabilités transfèrent tout ou partie de leur autorité à un salarié, du président élu vers le directeur général par exemple. Il est aussi possible de trouver un management participatif, de bénévole à bénévole, quand ces mêmes élus s’adressent aux bénévoles de terrain. Enfin, il existe également un management d’animation impulsé par des salariés vers des bénévoles », énumère Jean-Michel Huet.

Binôme.

L’histoire de l’association va également peser sur cette subtile alchimie. Salariés ou bénévoles peuvent prendre le pouvoir et donner une « couleur » managériale à l’association. Aux Restos du Cœur, ce sont les bénévoles qui prennent les décisions. « Au siège, les tâches sont partagées entre salariés et bénévoles mais rien ne se fera sans l’aval de ces derniers, explique Brigitte Miché, responsable du service des ressources bénévoles. Un principe de binôme a d’ailleurs été retenu : chaque responsable salarié travaille avec un bénévole. » « L’association est managée par des bénévoles qui vont chapeauter les salariés », résume Martine Dray, bénévole et responsable du service des ressources humaines salariées. Toujours en référer à son alter ego bénévole : tel est le credo du salarié modèle de l’association, ce qui peut parfois créer des tensions, accentuées par des temps de présence variables entre permanents et bénévoles. Pour fluidifier les relations, les Restos du Cœur ont mis en place un accompagnement des équipes : « Un coaching est proposé par un prestataire externe afin de mieux maîtriser et d’optimiser ce travail en binôme, et résoudre d’éventuelles difficultés. »

Au sein de l’association Aurore, dédiée à la lutte contre l’exclusion (1 700 salariés, 700 bénévoles), ce sont, a contrario, les salariés qui « gardent la main sur l’organisation », précise Isabelle Escoffier, chef de service vie associative. « Notre ouverture au bénévolat ne remonte qu’à 2012. Pour que les choses se passent bien, nous avons édicté des règles claires. Les bénévoles sont « recrutés » pour une mission précise, par exemple un atelier de jardinage ou de danse et doivent démontrer des compétences techniques et sociales. Leur référent sera toujours un chef de service salarié. Aucun bénévole n’est, chez nous, responsable d’un salarié. »

L’association a souhaité éviter les écueils classiques du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) quand les professionnels sont placés sous la responsabilité de bénévoles. « Ce n’est pas toujours simple, explique une salariée d’une ONG internationale. Nous avons une formation et des connaissances qui peuvent faire défaut aux bénévoles dans certaines situations. Et ils ne sont pas nécessairement, au quotidien, dans le même état d’esprit que nous. »

Le rattachement à un bénévole peut être mal vécu. A fortiori quand la montée en régime du bénévolat de compétences suscite des craintes pour l’emploi des salariés « associatifs ». L’association Passerelles et Compétences, qui met en relation associations et professionnels pour des missions ponctuelles de bénévolat de compétences a pris la mesure de ce phénomène : 917 missions de ce genre ont été réalisées par son intermédiaire en 2016 contre 3 321 entre 2002 et 2015. « Dans un contexte de restrictions budgétaires, les salariés sont inquiets pour leur avenir et peuvent avoir peur que les bénévoles les remplacent, explique Élisabeth Pascaud, vice-présidente de France Bénévolat, en charge du développement de l’engagement bénévole. Cela renforce un sentiment de méfiance à leur égard ». « Le statut des salariés du secteur associatif s’est globalement précarisé », confirme le sociologue Matthieu Hély. Une cadre dirigeante bénévole d’une grande association caritative abonde : « On a fait venir, dans mon service de communication, des bénévoles pour renforcer les compétences internes. Ils ont quasiment le même rôle que les salariés qui, du coup, ne manquent pas de s’interroger… »

Côté bénévoles, certains vont parfois jusqu’à afficher une forme de mépris à l’égard des salariés, parfois assimilés à des mercenaires. « Être payé pour accomplir une mission d’intérêt général leur semble contraire à l’éthique de l’association », explique une salariée. En retour, certains bénévoles estiment qu’ils accomplissent des tâches similaires à celles réalisées par des professionnels et pensent qu’ils seraient en droit d’exiger un salaire.

Complémentarité.

Ces sources de tension peuvent suffire à gripper la bonne marche des associations. Les services RH font donc de la prévention, en cherchant à ce que salariés et bénévoles apprennent à mieux se connaître. « Il faut qu’ils comprennent le type de relations qu’ils doivent avoir les uns avec les autres, explique le consultant Jean-Michel Huet. Les bénévoles veulent bien faire, mais parfois aussi trop en faire. Ils ne doivent pas oublier que les salariés ont été recrutés pour leurs compétences et leurs savoir-faire. D’un autre côté, les salariés doivent comprendre que les bénévoles ne sont pas disponibles à volonté. » La solution ? « Bien définir qui fait quoi et qui est responsable de quoi. Des processus de délégation explicites doivent être mis en place. Cette clarification est particulièrement importante pour l’orientation stratégique, le budget ou encore le recrutement. »

CCFD-Terre solidaire a bien compris la nécessité de fixer les règles du jeu. : « Il ne doit pas exister de concurrence mais une complémentarité entre bénévoles et salariés, indique Céline Ciéplinski. Nous essayons donc d’être très clairs lorsque nous rédigeons les fiches de poste des salariés. Dans le même temps, nous faisons en sorte que les missions des bénévoles, formalisées ou non, n’aient pas les mêmes « dimensions » que celles des salariés. » Une gestion RH différenciée doit impérativement être mise en œuvre, selon Élisabeth Pascaud, de France Bénévolat : « Il faut communiquer avec les salariés, avoir un discours de transparence et développer un argumentaire en expliquant que si les effectifs ne devraient pas augmenter, ils ne seront pas pour autant remplacés par les bénévoles. Mais il faut en même temps manifester de la reconnaissance à l’égard des bénévoles ». Par des attentions concrètes, du simple remerciement à l’organisation d’un repas en fin d’année, en passant par la formation.

L’équation est difficile à résoudre : prendre en compte la spécificité des salariés et des bénévoles, tout en cherchant à développer leur coopération et leur complémentarité. Cela afin de limiter les conflits mais aussi de favoriser l’efficacité des missions. Un exercice des plus délicats, qu’une récente décision gouvernementale devrait complexifier plus encore. La révision à la baisse du nombre de contrats aidés (310 000 en 2017 et 200 000 en 2018 contre 459 000 en 2016) va en effet impacter directement les associations, grandes utilisatrices du dispositif. De quoi leur imposer une périlleuse réorganisation. Et menacer l’équilibre fragile de leur politique de ressources humaines.

Jusqu’au burn out

« Tu seras là dimanche ? » Lucile entend cette ritournelle chaque semaine. « Des bénévoles me demandent si je vais venir à telle ou telle manifestation organisée par l’association le week-end », explique cette cadre dans une ONG. La plupart du temps, la jeune femme refuse, non sans une certaine gêne. Dans une structure militante, il n’est pas toujours évident de se détourner de l’action collective. « Dans le monde associatif, la norme reste le dévouement », relève Matthieu Hély. Beaucoup de salariés en sont « victimes » et enchaînent journées de travail et soirées ou week-end bénévoles. Jusqu’à risquer l’épuisement. « Il y a des cas de burn-out dans le secteur », observe le sociologue.

Les grosses structures de l’ESS assurent avoir pris conscience du phénomène. « Dans les associations militantes, la relation bénévoles-salariés va confronter ces derniers à une frontière vie professionnelle-vie personnelle plus floue, convient Céline Ciéplinski. Les jeunes salariés sont tout particulièrement exposés au risque de surinvestissement, pouvant aller jusqu’à l’épuisement professionnel. » Au CCFD-Terre solidaire, RH et managers se sont emparés du sujet. « La prévention des risques psychosociaux fait partie des obligations de l’employeur », rappelle la DRH. Lors d’un recrutement comme tout au long du parcours professionnel, l’association invite ses salariés à « vivre leur engagement dans des limites raisonnables ». L’encadrement peut ainsi intervenir s’il juge excessif l’investissement d’un salarié dans l’association. L’entretien annuel d’évaluation est l’occasion d’un bilan d’étape sur la conciliation vie personnelle-charge de travail. « L’échange sur ce sujet est obligatoire, rappelle Céline Ciéplinski. Et il peut nous pousser à intervenir. Si nous constatons par exemple qu’un salarié a participé, le week-end, à des événements liés à la vie de l’association mais ne figurant pas parmi ses priorités, nous pouvons lui demander de revoir à la baisse son implication. »

Auteur

  • François Desnoyers