logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“Démultiplier la négociation dans l’entreprise : un défi redoutable”

Actu | Entretien | publié le : 06.11.2017 | Jean-Paul Coulange

Image

“Démultiplier la négociation dans l’entreprise : un défi redoutable”

Crédit photo Jean-Paul Coulange

Ces deux ardents défenseurs du dialogue social analysent l’impact des ordonnances sur la négociation dans l’entreprise et réclament un renforcement des moyens alloués aux instances représentatives du personnel.

Après les ordonnances sur la réforme du Code du travail, êtes-vous optimistes sur l’avenir du dialogue social ?

Dominique Gillier : Elles expriment une volonté forte de développer la négociation d’entreprise. Mais elles comportent aussi des mesures qui vont permettre aux employeurs, dans les entreprises de moins de vingt salariés notamment, de contourner cette négociation. Cela ne veut pas dire que cela ne produira pas du dialogue social, mais sous des formes différentes.

Jean Grosset : Sur la loi travail, le monde syndical était coupé en deux. Aucun syndicat n’a soutenu les ordonnances. Certaines organisations ne voulaient même pas en discuter. D’autres sont sorties déçues ou mécontentes de la discussion.

Même Jean-Claude Mailly, de Force Ouvrière ?

Jean Grosset : J’ai cru comprendre que son organisation avait vu les choses autrement. Pour qu’il y ait davantage de négociation, il faut s’en donner les moyens. Or les critiques sur les ordonnances portent sur le fait qu’elles ont élargi la possibilité de négocier dans l’entreprise, sans que les moyens suivent. C’est pourquoi toutes les organisations syndicales veulent faire bouger les décrets pour qu’ils apportent des précisions sur la fusion des instances représentatives du personnel, sur les heures de délégation, sur la base de données unique etc.

L’accord de branche signé dans le transport routier ne va-t-il pas à l’encontre de la philosophie des ordonnances, qui privilégient la négociation d’entreprise ?

Dominique Gillier : Selon la ministre du Travail, l’accord dans le transport routier s’inscrit parfaitement dans le cadre des ordonnances. Or l’idée de déplacer l’essentiel de la négociation de la branche vers l’entreprise est contredite par une réalité sectorielle, celle du transport routier, qui a besoin d’accords de branche.

Jean Grosset : Si on applique les ordonnances de façon stricte, dans les moins de cinquante salariés, tout se discute dans l’entreprise, y compris les primes. Or l’accord chez les routiers ramène la négociation au niveau de la branche, par un mécanisme d’augmentation qui intègre les primes aux salaires ! Parfois, la loi percute la réalité de certains secteurs, et il faut l’entendre.

À quoi va servir la branche ?

Dominique Gillier : Les organisations syndicales ont réussi à faire valoir leur point de vue sur la branche. Son champ de négociation s’est un peu élargi. Mais un grand nombre de thèmes de négociation sont désormais plus ouverts au niveau de l’entreprise. Il y en avait déjà, notamment sur l’organisation du temps de travail.

Jean Grosset : Dans la première mouture des ordonnances, les entreprises jusqu’à 300 salariés, dépourvues de syndicats, avaient la possibilité de signer des accords unilatéraux. À juste titre, toutes les organisations s’y sont opposées.

Le référendum d’entreprise va-t-il se développer ?

Dominique Gillier : Dans la loi travail, une forme de compromis avait été trouvée avec une majorité d’organisations syndicales pour encadrer fortement le recours au référendum. Il ne pouvait résulter que de la volonté de syndicats signataires minoritaires. L’évolution est assez radicale puisque le référendum pourra être à l’initiative de l’employeur.

Jean Grosset : Je souhaite bien du plaisir à un employeur qui voudra organiser un référendum dans son entreprise. La démocratie de délégation assure le calme, même s’il y a parfois des conflits sociaux. Regardez ce qui s’est passé chez Smart. Le risque est de monter les salariés les uns contre les autres et c’est préjudiciable à la vie de l’entreprise.

Pourtant la représentativité des syndicats est remise en cause…

Dominique Gillier : La question de leur légitimité est omniprésente. Quelles sont les autres organisations, dans notre pays, qui ont le même nombre d’électeurs, le même nombre d’adhérents et qui ont une telle capacité de mobilisation. Même dans le secteur privé, il n’y a pas à rougir du taux de participation aux élections professionnelles. Certes, le syndicalisme français est très particulier. Les salariés votent mais ils n’adhèrent pas. Mais quand les syndicats se mettent d’accord, cela prend une résonance gigantesque dans la société.

Jean Grosset : Le travail dominical est un parfait exemple de cette capacité de négociation. Certains syndicats ont été très pragmatiques et ont jugé qu’il était possible d’obtenir des accords majoritaires. Quand on regarde en détail ce qui s’est passé dans les entreprises, presque partout – sinon il n’y aurait pas eu d’accords – c’est du gagnant gagnant pour l’entreprise et pour les salariés.

L’accord majoritaire est-il le Graal que vont devoir atteindre les entreprises ?

Dominique Gillier : Est-ce que le fait d’avoir élargi le champ de la négociation va produire des accords collectifs dans les entreprises ? Ne faisons pas de pari sur l’avenir. Les lois Aubry sur la réduction du temps de travail avaient ouvert la possibilité de négocier au niveau de l’entreprise. Certaines ont construit des accords dans un temps très réduit. Beaucoup d’autres n’étaient pas prêtes. Démultiplier les possibilités de négocier au niveau de l’entreprise est un défi redoutable, à la fois pour les organisations syndicales, pour les organisations d’employeurs et pour les employeurs eux-mêmes.

Jean Grosset : En matière d’accord majoritaire, beaucoup de postures s’arrêtent au niveau de l’entreprise. Un syndicat est jugé sur ce qu’il négocie et s’il fait échouer un accord qui peut apporter un plus, les salariés s’en souviennent aux élections suivantes. C’est un des aspects positifs de la loi de 2008. Les syndicats ne sont pas représentatifs à vie.

Que va-t-il rester à l’échelon interprofessionnel ?

Dominique Gillier : La négociation nationale a toujours fonctionné par cycles. Il est possible qu’on entre dans un cycle où elle aura moins de place, en dehors de domaines comme l’assurance-chômage, mais il y aura un retour de la négociation sociale interprofessionnelle. Certaines évolutions comme le travail détaché, le travail indépendant ne peuvent se traiter qu’avec une vision d’ensemble, sinon on s’expose à des risques de dumping et de concurrence déloyale.

Jean Grosset : Si on cantonne le syndicalisme à l’entreprise, il ne travaille plus à l’intérêt général. Et on risque d’attiser les corporatismes. La négociation interprofessionnelle est un compromis central dans notre société.

Dominique Gillier : Il y a cependant un manque cruel d’articulation entre les différents niveaux de négociation. Des accords interprofessionnels très intéressants n’ont malheureusement pas été déclinés dans les branches. Idem entre la branche et l’entreprise. Selon le sujet et le moment, il faut parfois chercher au niveau supérieur des choses qui sont utiles et inversement, au niveau supérieur, s’inspirer de ce qui s’est passé au niveau de l’entreprise. Sur le forfait jours, on a ouvert largement la négociation au niveau de l’entreprise et on a abouti à une judiciarisation des relations sociales, qui a obligé les branches à redéfinir un cadre.

À quoi va aboutir la fusion des instances représentatives du personnel ?

Dominique Gillier : Le problème n’est pas tant la fusion que la manière dont les IRP vont pouvoir fonctionner. Les délégués du personnel, souvent critiqués, étaient les capteurs qui nourrissaient les organisations syndicales. La fusion ne tue pas cette dimension à condition que les nouvelles IRP aient suffisamment d’élus pour assumer cette charge. Les ordonnances ne prévoient rien non plus sur la formation et sur l’information des représentants du personnel, sur les liens entre les IRP et les conseils d’administration à travers les administrateurs salariés… Dans le modèle allemand qu’on cite souvent, les administrateurs salariés sont directement en lien avec les organisations syndicales, ce qui ne veut pas dire qu’ils se comportent comme des délégués du personnel. Mais ils ont accès à des informations auxquelles les CE n’ont jamais eu droit en France.

Jean Grosset et Dominique Gillier

Respectivement vice-président et questeur du conseil économique social et environnemental, le cédétiste Dominique Gillier et l’ancien n° 2 de l’UNSA Jean Grosset sont deux des principaux animateurs de l’ODIS (observatoire du dialogue et de l’intelligence sociale). Dans la mouvance de la fondation Jean Jaures, ce centre d’études crée il y a une quinzaine d’années rassemble des syndicalistes, des juristes, des élus pour promouvoir le dialogue social. C’est aussi un réseau de consultants qui intervient dans le secteur prive comme dans le secteur public.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange