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Profession médiateur

À la une | publié le : 06.11.2017 | Lou-Ève Popper

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Profession médiateur

Crédit photo Lou-Ève Popper

Consultant, coach, psychologue, juriste, DRH… Les médiateurs en entreprise n’ont pas tous le même parcours, loin de là. Petit tour d’horizon de la grande famille de la médiation.

Vous n’aimez pas le conflit ? Vous avez le sens des relations humaines ? Vous connaissez bien le monde de l’entreprise ? Alors n’hésitez plus et proposez vos services de médiateur ! Dit aussi abruptement, cela peut sembler exagéré. Mais la réalité n’est pas si éloignée. Car en France, rien, ou presque, n’encadre juridiquement cette nouvelle profession, en plein essor depuis quelques années. Seul l’article 1533 du Code de procédure civile, très lacunaire, vient dessiner les contours de ce nouveau métier. Il est d’abord précisé qu’un médiateur ne doit pas avoir de casier judiciaire. Ce dernier est, par ailleurs, tenu de posséder « par l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise eu égard à la nature du différend ou justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ». Rien de très clair, ni de bien contraignant donc. Raison pour laquelle se côtoient aujourd’hui sur le marché de la médiation des profils aussi divers que variés, diplômés ou non par l’une des nombreuses écoles qui se sont engouffrées sur ce nouveau créneau des ressources humaines.

Une fonction, pas une profession.

Dans la majeure partie des cas, ces artisans de la résolution de conflits à l’amiable n’exercent pas cette nouvelle activité à temps plein, mais cumulent les casquettes. Ce qui justifie pour Sophie Henry, déléguée générale du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris, de parler de « fonction » de médiateur plutôt que de « profession ». C’est le cas notamment de nombreux consultants, qui voient avant tout la médiation comme une brique supplémentaire à ajouter à leur offre de services. Comme Candice Wojak, fondatrice en 2011 du cabinet Relyance, spécialisé dans l’organisation du travail et la qualité de vie au travail. Pour cette dernière, la médiation s’est rapidement imposée comme un outil indispensable pour permettre à ses clients de mener à bien leurs projets de réorganisation dans l’entreprise. « Dans une société, un changement se déroule d’autant mieux que les personnes concernées sont volontaires pour y aller ensemble », explique-t-elle. Cette diplômée de l’École professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN) a ainsi l’habitude d’intervenir lors d’une crise sociale, d’un changement d’organisation ou de direction. « Autant de bouleversements qui peuvent faire des dégâts s’ils ne sont pas accompagnés », explique la dirigeante.

C’est aussi dans le but d’élargir son champ d’activité que Céliane Delespaul, coach de dirigeants et de managers, a décidé de devenir médiateur. « Dans un coaching d’équipe par exemple, il est important de diagnostiquer les conflits latents et d’identifier le meilleur outil à utiliser pour le/les régler », explique-t-elle. Sa formation à l’Ifomène – Institut catholique de Paris – qui lui a permis de décrocher un Master 2 en communication et médiation d’entreprise, l’y a grandement aidée. Qu’a-t-elle appris ? Que « la médiation permet de restaurer la relation entre les protagonistes en conflit alors que le coaching établit les règles pour que les relations se passent le mieux possible », souligne-t-elle. Lors de l’organisation d’un séminaire, cette dernière a pu mettre ses nouvelles connaissances en pratique. Après avoir repéré la tension latente au sein d’une équipe, la jeune femme a préféré, avant toute chose, mettre en place un outil qui pourrait s’assimiler à une « mini-médiation ». C’est-à-dire proposer aux protagonistes du conflit de dialoguer, de façon à faire entendre le point de vue de chacun. Une fois le conflit levé, Céliane Delespaul a pu, ensuite, faire un coaching d’équipe sur une base saine.

Les psychologues s’y mettent.

Outre les consultants et les coachs, d’autres experts s’intéressent aujourd’hui à la médiation, comme les psychologues du travail. Karène Pariente, psychologue spécialiste des questions de harcèlement au sein du cabinet Stimulus, souligne que la médiation lui a permis de mieux appréhender la relation conflictuelle entre deux salariés. « Avant ma formation de médiateur, je n’étais pas forcément outillée pour gérer la relation tripartite. Maintenant, ma démarche est beaucoup plus structurée. » Elle a choisi d’aller étudier à l’Institut de français de médiation et a décroché un diplôme après une formation courte de dix jours. « Je voulais une formation qui me permette d’être rapidement opérationnelle. » À l’entendre, sa spécialité de psychologue lui a permis d’être un médiateur plus performant. « Contrairement aux autres médiateurs, je peux plus rapidement détecter que le conflit n’est pas le résultat d’un dysfonctionnement dans l’organisation du travail mais bien de troubles psychologiques, voire psychopathologiques chez l’une des deux parties. C’est beaucoup plus confortable. »

Les avocats aussi !

Depuis peu, une nouvelle catégorie de professionnels se positionne également sur le terrain de la médiation : les avocats. Conscient de la demande des entreprises en la matière, le Conseil national des barreaux (CNB) a lancé, fin septembre, le site cnma.fr, qui met à disposition un annuaire national des avocats médiateurs. Il y est précisé que l’avocat est le « professionnel le plus qualifié pour vous garantir une médiation de qualité », d’abord en raison de ses compétences juridiques. Une opinion que partage totalement Françoise Sartorio, avocate au barreau de Paris, médiateur diplômé de l’Ifomène et référencé par le CNMA : « Il n’est pas donné à tout le monde de lire le Code du travail ou de comprendre la jurisprudence sur le harcèlement au travail. Or ces connaissances sont très utiles pour faire une médiation en entreprise », souligne-t-elle.

L’autre argument massue évoqué par la plateforme pour faire appel à un avocat plutôt qu’à une autre profession est…la déontologie. D’après le CNB, l’avocat est en effet « le seul professionnel libéral indépendant à offrir des garanties déontologiques absolues en termes de secret professionnel ». Enfin, la plateforme souligne que les avocats officiellement référencés comme médiateurs par le CNMA sont tenus d’avoir une formation d’au minimum 100 heures ou quatre ans de pratique de la médiation. De quoi rassurer les clients potentiels. Mais pour Fabien Eon, médiateur formé à l’École nationale de la médiation et président du réseau Via Médiation, ces arguments ne tiennent pas. Pour lui, les avocats font, au contraire, de piètres médiateurs : « Ils gèrent les conflits comme des dossiers. C’est-à-dire en prenant d’abord en compte la question juridique et en faisant passer au second plan la dimension émotionnelle du conflit. Alors qu’il faut précisément faire l’inverse. De sacrés débats en perspective lorsque les médiateurs de tous poils se retrouvent ! »

De l’ingénierie rationnelle.

Pour éviter de faire appel à un médiateur externe, de plus en plus de DRH cherchent eux aussi à se former à la médiation. Pas tant pour occuper le poste de médiateur au sein de leur entreprise que pour former et sensibiliser leurs responsables d’équipe à la gestion des conflits. Ce à quoi s’emploie notamment Bruno Carly, DRH du groupe de BTP Rabot Dutilleul et médiateur diplômé de l’EPMN. Parfois, son action se limite à donner des conseils. Régulièrement, ce dernier rappelle ainsi aux managers que pour « résoudre un conflit, il ne sert à rien de mettre les deux protagonistes dans une salle et d’attendre qu’ils aient fini de laver leur linge sale. Il faut d’abord rencontrer individuellement les deux parties et, par un jeu de rhétorique, leur amener à reconnaître leurs difficultés et le point de vue de l’autre ». Il arrive aussi que Bruno Carly intervienne pour prévenir en amont des situations de blocage : « Lorsqu’un projet se met en place, j’insiste pour qu’on réfléchisse à ce qui va potentiellement générer des tensions dans l’équipe. Il faut simplement se poser les bonnes questions. C’est ce qu’on appelle de l’ingénierie relationnelle ».

Bruno Carly n’a cependant jamais exercé comme médiateur au sein de sa propre entreprise. « En tant que DRH, mes prérogatives entreraient en conflit avec la posture de médiateur », explique le DRH de Rabot-Dutilleul qui a, par ailleurs, créé son propre cabinet de médiation. Il est cependant favorable à ce que d’autres collaborateurs du groupe deviennent, à l’avenir, des médiateurs internes, indépendants de toute forme d’autorité. « Ce serait des salariés détachés, comme le sont les élus du personnel. Ils pourraient être médiateurs à temps plein, comme on le voit parfois dans des centres hospitaliers, ou alors exercer la médiation comme une mission supplémentaire », explique-t-il.

Trente médiateurs internes à la SNCF.

Former des médiateurs internes est justement ce que propose de faire « Place de la médiation », un réseau pluridisciplinaire d’experts et de chercheurs en prévention des risques psychosociaux. D’après sa fondatrice Marie-José Gava, « de plus en plus d’entreprises créent aujourd’hui leur propre pôle de médiation interne. C’est un mouvement qui s’amorce ». À la SNCF, un tel service existe depuis 2011 au sein de l’agence d’accompagnement des managers, qui dépend de la DRH. C’est Martine Sepiéter qui, forte d’une expérience de près de trente ans au sein du groupe, a suggéré à l’époque, le concept à la DRH corporate. Convaincue de l’utilité du projet, sa n+1 lui donne son feu vert. Aujourd’hui, Martine Sepiéter est devenue médiatrice en interne et dirige un service de médiation national de trente médiateurs, lesquels consacrent à leur nouvelle fonction entre 10 et 15 % de leur temps de travail.

« Ils ont tous été rigoureusement formés et évalués par des médiateurs expérimentés avant de se lancer », assure l’ex-responsable de la professionnalisation des acteurs RH du groupe. La plupart d’entre eux sont cadres. Mais attention, pour éviter les conflits d’intérêt, aucun médiateur n’exerce au sein de son propre service, rappelle Martine Sepiéter. Cela sera-t-il suffisant pour faire respecter le principe de neutralité, d’impartialité et d’indépendance du médiateur ? À voir. Pour Candice Wojak, il serait illusoire de vouloir former des salariés à la médiation interne. « Leur posture sera plutôt délicate à tenir en entreprise. En pratique, ils auront des difficultés à assumer ce rôle puisqu’il pourrait arriver que leurs collègues les soupçonnent de prendre parti », affirme-t-elle. Les consultants qui se lancent sur cette nouvelle niche du conseil RH ont donc probablement de beaux jours devant eux.

Auteur

  • Lou-Ève Popper