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Sécuflexibilité plutôt que flexicurité ? le cas des SCOP

Idées | Management | publié le : 02.10.2017 | Violette Queuniet

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Sécuflexibilité plutôt que flexicurité ? le cas des SCOP

Crédit photo Violette Queuniet

Une recherche menée dans 40 sociétés coopératives et participatives (SCOP) montre que la sécurité de l’emploi est prioritaire, la flexibilité provenant de modalités internes. Une logique qui pourrait, à certaines conditions, inspirer les entreprises classiques.

Concilier sécurité de l’emploi et flexibilité face aux variations des marchés, une utopie ? Pas pour les sociétés coopératives et participatives (SCOP). C’est ce qu’ont découvert trois enseignants-chercheurs en économie (Hervé Charmettant, Nathalie Magne, Yvan Renou) et en gestion (Jean-Yves Juban)au terme d’une enquête menée auprès de 40 SCOP de la Région Rhône-Alpes(1).

Si elles se distinguent par leur forme juridique et leur mode de gouvernance, ces sociétés évoluent, comme les entreprises classiques, sur un marché concurrentiel, et doivent faire preuve elles aussi de flexibilité. Pourtant, elles choisissent, dans leur grande majorité, d’accorder la priorité à la sécurité de l’emploi. Leur logique est celle de la « sécuflexibilité », un néologisme conçu par les chercheurs pour la différencier de la « flexicurité ». La flexicurité, rappellent-ils, est apparue au tournant des années 2000, pour répondre « au nouveau contexte concurrentiel mondialisé ». Exit la sécurité de l’emploi, place à d’autres formes de sécurité censées compenser « cette déstabilisation de la condition salariale : la sécurité d’employabilité (garantie de disposer d’un emploi), la sécurité de revenu et la sécurité de conciliation (possibilité de concilier vie au travail et hors travail) ».

La sécuflexibilité, elle, procède d’une logique différente. Elle met l’accent « non pas sur la logique du compromis, reposant sur du donnant-donnant entre contractants, mais sur une logique de garantie collective réglée par le triptyque liberté-sécurité-responsabilité et permettant un développement adaptatif soutenable ».

Projet sociopolitique

Les SCOP se caractérisent par une forte stabilité de l’emploi. Les licenciements économiques sont rares ; le taux moyen de salariés en CDI est de 92,5 % (contre 78 % pour les salariés du privé au niveau national), les contrats courts très peu nombreux, l’externalisation de certaines fonctions quasiment inexistante. À quoi tient cette préférence pour la sécurisation de l’emploi ? En grande partie au statut des SCOP, expliquent les chercheurs. Les salariés étant aussi associés et détenant – dans 79 % des SCOP enquêtées – des parts du capital, cela implique qu’ils restent durablement. Par ailleurs, s’ils partent, ils doivent rembourser leur part dans un délai de cinq ans. Mais la stabilité est due aussi au projet collectif dont est porteur une SCOP, qui nécessite une cohésion d’équipe fondée sur la confiance. Or, celle-ci requiert un temps d’adaptation, un « temps de socialisation coopérative », comme le signale l’étude.

Enfin, les SCOP revendiquent un double projet, économique et « sociopolitique » : la création d’emplois durables participe de ce projet.

Ainsi, « le maintien de l’emploi, sur le long terme et pour tous, et la stabilité du personnel sont bien dans les gènes des SCOP », résument les auteurs de l’étude.

D’autres leviers de flexibilité

Si la flexibilité ne s’effectue pas par la variation des effectifs, comment les SCOP s’adaptent-elles aux fluctuations d’activité et aux transformations structurelles ?

D’abord par la flexibilité du temps de travail, utilisée de façon « massive », en jouant sur la modulation annuelle des heures de travail, les heures supplémentaires, la récupération. Les arrangements informels existent aussi. Bref, on ne compte pas ses heures… La polyvalence des salariés est aussi mise à contribution.

Ensuite, par la réduction des coûts et des rémunérations. Si les résultats se dégradent, les rémunérations sont directement affectées, car le statut de SCOP exige qu’au moins 25 % de l’excédent soit distribué en participation. Celle-ci représente souvent l’équivalent d’un treizième mois. La baisse des résultats aboutit aussi à une diminution des dividendes (voire à l’arrêt de leur versement) versés aux sociétaires…qui sont aussi, pour la grande majorité d’entre eux, les salariés. À noter aussi : l’obligation de constituer une réserve d’au moins 16 % du bénéfice apporte aux SCOP une solidité financière qui leur permet de traverser plus facilement une mauvaise passe.

Dernier levier de flexibilité, mais cette fois à plus long terme : la formation et la promotion interne. La formation est orientée vers la polyvalence mais prend aussi largement en compte les projets professionnels des salariés.

Participation des salariés

Pour les auteurs, ce qui fonde cette capacité d’adaptation corollaire de la sécuflexibilité, c’est le « degré élevé de participation » des salariés à leur entreprise. Participation aux résultats, mais aussi à la gestion quotidienne et aux décisions stratégiques.

La participation aux résultats n’est pas l’apanage des SCOP. Mais elle se fait, dans ces sociétés, selon des modalités particulières : calcul souvent égalitaire du montant de la participation, préférence pour le versement de primes collectives. Par ailleurs, l’échelle des salaires est très limitée. Autant de caractéristiques qui « expliquent que la variabilité des rémunérations ait plus de chances d’y être acceptée ».

La participation à la gestion quotidienne se traduit par un fort management participatif : autonomes, associés à certaines décisions managériales, les salariés sont plus à même de comprendre les besoins de l’entreprise et de s’y adapter.

Enfin, majoritairement sociétaires, les salariés participent aux décisions stratégiques. Leur préoccupation « est le maintien de leur emploi avant celui de leurs dividendes, limités de toute façon par le statut ». Le fonctionnement démocratique des SCOP contribue aussi à légitimer les décisions, y compris les plus douloureuses.

Tryptique de l’échange salarial

Les SCOP et leur choix de la sécuflexibilité constituent-elles un modèle à suivre ? Les auteurs abordent la question en se référant au triptyque qui fonde aujourd’hui l’équilibre de l’échange salarial, selon le juriste Alain Supiot : liberté, sécurité, responsabilité des salariés. À cet égard, écrivent les chercheurs, « les SCOP sont en quelque sorte des précurseurs, traçant une voie originale et exigeante ». La sécurité se traduit, on l’a vu, par une priorité pour l’emploi, mais s’accompagne aussi d’une sécurité « d’employabilité » (permise par l’implication des salariés, par l’effort de formation très élevé).

La responsabilité est « centrale dans la mise en œuvre de la flexibilité interne ». Les adaptations par le temps de travail, par l’acceptation de la variabilité des rémunérations sollicitent le sens de la responsabilité des membres de la SCOP… au risque de peser sur la liberté des salariés de choisir leurs conditions d’emploi et de travail. Mais la liberté, troisième élément du triptyque, est préservée par la gouvernance démocratique, qui justifie que la liberté individuelle soit subordonnée à la volonté commune.

Conditions de la flexibilité

Sur le papier, les SCOP réunissent tous les paramètres nécessaires à cet équilibre de l’échange salarial. Mais celui-ci ne se réalise pas naturellement dans les SCOP qui mettent en pratique la sécuflexiblité. Les chercheurs constatent des tensions lorsqu’un des éléments du triptyque vient à manquer. Tous les cas de figure peuvent se produire : liberté et sécurité sans responsabilité – qui peut conduire à l’absence de mobilisation face à la crise et conduire au dépôt de bilan ; liberté et responsabilité sans sécurité (notamment dans certaines SCOP à petits effectifs qui demandent de gros efforts d’adaptation sans sécurité des revenus ni sécurité de « conciliation » entre vie professionnelle et vie privée) ; sécurité et responsabilité sans liberté (les efforts demandés sont imposés du fait d’un déficit de démocratie dans la gouvernance).

Bref, soulignent les auteurs, « si la participation démocratique garantit un certain consensus autour des décisions d’ajustement et dote l’organisation d’une certaine agilité, elle n’exclut pas toutes les tensions entre sécurité, liberté et responsabilité ».

Pour autant, cette analyse des pratiques des SCOP « a vocation à éclairer plus largement les enjeux de la flexibilité dans les entreprises classiques », revendiquent les chercheurs.

Ils voient deux conditions pour que les salariés acceptent la flexibilité : la liberté de choix et une certaine sécurité apportée en contrepartie du partage du risque. Dans une entreprise classique, la liberté de choix passe par la procédure par laquelle l’accord est obtenu (mode de consultation des salariés, rôle des syndicats). La sécurité sera une sécurité « d’employabilité », mise en œuvre par l’organisation du travail, la politique de RH et de formation. Et de conclure : « C’est à ces conditions que sécurité et flexibilité pourront se combiner selon des formules à la fois efficaces et justes. »

(1) La « Sécuflexibilité » : au-delà des tensions entre flexibilité et sécurité de l’emploi, les sociétés coopératives et participatives (SCOP). Article paru dans Formation Emploi, n° 134.

Auteur

  • Violette Queuniet