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Idées

Au cœur de la boucherie

Idées | Livres | publié le : 02.10.2017 | Lou-Eve Popper

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Au cœur de la boucherie

Crédit photo Lou-Eve Popper

Avec Jusqu’à la bête, Timothée Demeillers offre un roman noir, puissant et engagé sur les conditions de travail des employés dans les abattoirs.

Mauvais traitements, exécutions douteuses, voire actes de torture sur les animaux… Les salariés des abattoirs sont régulièrement accusés de tous les maux. Pourtant, eux aussi sont victimes de cette logique de productivisme alimentaire qui sévit dans les abattoirs français. Timothée Demeillers nous le rappelle avec force dans son nouveau roman coup de poing Jusqu’à la bête. Le narrateur, Erwan, jeune ouvrier sans diplôme, travaille depuis plusieurs années dans un abattoir des environs d’Angers. Sa mission dans l’établissement ? Trier les carcasses avant qu’elles ne soient placées dans des frigos, découpées puis livrées. Comme tous les employés de l’usine, le jeune homme subit une cadence infernale : « Les mêmes gestes heure par heure. Jour après jour. On demandera peut-être un changement de poste. Un changement de poste qui veut dire un changement de geste. Aller abîmer un peu l’épaule après avoir bousillé le poignet. Quand le muscle, le tendon, l’os devient trop irrécupérable. » Ce sont tous ces corps abîmés par la chaîne de production que Timothée Demeillers a choisi de nous décrire, avec un sens du détail saisissant. Grâce à une prose saccadée, tendue à l’extrême, son roman convoque des images d’horreur, laissant entrevoir l’abattoir comme un univers quasi-concentrationnaire, où hommes et bêtes sont réduits à de la chair consommable. Car rien n’arrête la machine, prévue pour tuer 50 bovins par heure. Face à cette violence de la mort industrielle, Erwan ne peut s’empêcher de succomber à des pensées morbides : « Se noyer dans le sang. S’oublier dans le sang. C’est tellement chaud. Se prendre d’amour pour ces vaches qui sont les seules à nous apporter un peu de réconfort. Des rondeurs dans cet univers d’angles droits et de matières coupantes. D’isolation face au bruit. Face au froid. Bien serré entre deux carcasses. » Quelques âmes bienveillantes portent à bout de bras ce héros esseulé, plein de rage et de désespoir. Comme son frère et sa belle-sœur et surtout Laetitia, jeune intérimaire rencontrée un été à l’usine. Rien ne pourra cependant le sauver de la folie furieuse de l’abattoir. Timothée Demeillers nous guide doucement le long de cette descente aux enfers, là où les ombres des cadavres sanguinolents ont gagné la partie.

Jusqu’à la bête, Timothée Demeillers. Asphalte. 160 pages, 16 euros.

Auteur

  • Lou-Eve Popper