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Relocalisations : peu pour l’emploi, plus pour le produit

Décodages | publié le : 02.10.2017 | Lucie Tanneau

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Relocalisations : peu pour l’emploi, plus pour le produit

Crédit photo Lucie Tanneau

Réindustrialisation, relocalisation… Des mots à la mode pour décrire la réinstallation sur le territoire national d’entreprises françaises parties à l’étranger. Chaque cas permet des évolutions sur les produits mais aussi dans l’organisation et la gestion des ressources humaines. Cependant, le phénomène reste fragile et réversible.

La production des vélos Solex rapatriée de la Chine vers Saint-Lô, en Normandie. Les chaussettes Olympia de retour dans les Vosges. Les maillots des Verts, de nouveau conçus dans les ateliers du Coq sportif à Romilly-sur-Seine, dans l’Aube… « L’heure de la relocalisation a sonné » titrait le journal Les Échos en mars. « Relocalisation : la France doit-elle appliquer la méthode Donald Trump ? », interrogeait pour sa part Franceinfo en janvier. Le Brexit est aussi présenté comme une opportunité. Le rapatriement d’une partie de la production, auparavant délocalisée, dans les entreprises françaises ou au plus près des marchés, est encouragée par les pouvoirs publics, et donne de l’espoir aux salariés.

SAM outillage a réussi ce pari il y a près de cinq ans. « Les besoins de nos clients étaient de plus en plus forts en termes de personnalisation et de différenciation. Les contraintes logistiques et les coûts de transport après fabrication en Asie devenaient vraiment lourds », explique Olivier Blanc, directeur général du fabricant d’outillage industriel basé à Saint-Étienne. Face à la fluctuation du dollar et à l’augmentation du baril de pétrole, l’entreprise saute le pas. « Les produits volumineux voyagent mal, alors que pour nous, le contenant fait vendre le contenu. On a donc décidé de fabriquer en France les meubles de rangement, pour mieux vendre ensuite nos outils à mettre à l’intérieur, détaille le DG, qui a investi plus d’un million d’euros pour cette relocalisation. Au-delà du personnel [une vingtaine de postes], il a fallu reconstruire l’environnement de travail et investir dans les machines. » Un choix risqué qui se révèle payant. « Plus que le made in France, nos clients savent que l’on maîtrise le produit de A à Z et que l’on peut répondre rapidement même aux petites séries. Ça crée de la confiance. Grâce à la relocalisation, on a multiplié nos volumes par trois », se réjouit Olivier Blanc.

Bruit médiatique

Un exemple à suivre ? « Un bruit médiatique surtout, reconnaît Olivier Bouba-Olga, professeur spécialiste de l’économie d’entreprise à l’université de Poitiers. Les relocalisations ne sont pas faciles à recenser, il n’existe pas de bases de données, mais si on cherche dans les chiffres de l’Observatoire de l’investissement, entre 2009 et 2017, on compte 102 relocalisations, sur 33 355 opérations d’investissement en France : c’est ultra-marginal ! Il y a un aspect surprenant dans le fait de ramener de l’activité de l’Asie vers la France. Donc les politiques ont envie d’en faire un exemple. Cela montre que le choix de la localisation ne dépend pas que des coûts de main-d’œuvre. » La relocalisation de produits manufacturés se fait principalement grâce à une robotisation des chaînes, et crée pourtant peu d’emplois en France. Entre janvier et juillet 2017, les relocalisations ont ainsi créé 229 emplois selon les chiffres de l’observatoire… contre 1 200 supprimés à cause de délocalisations. « Quand une délocalisation supprime 10 emplois, la relocalisation ne crée qu’un emploi direct », résume El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Le rapatriement de parts de la production n’est donc pas une solution contre le chômage. Il amène en revanche d’autres changements positifs au sein des entreprises. « La relocalisation d’une ligne de skis Rossignol nous a ramené du travail à Sallanches (Jura), on s’était battus pour qu’elle ne parte pas, on peut se féliciter qu’elle soit revenue », se réjouit Carlos Cardoso, délégué CGT du site. « C’est bon pour l’image : le made in France est un argument marketing », confirme Olivier Bouba-Olga. De nombreux labels ont d’ailleurs été créés pour valoriser ces produits. Les marques de luxe misent depuis longtemps sur le savoir-faire français, ou italien. Le lunetier Atol, qui s’est fait le chantre de la relocalisation en ramenant un type de monture de la Chine vers la France, met en avant l’innovation et le design de son nouveau produit.

Une chaîne de valeur.

« Mais le consommateur n’est pas prêt à payer plus de 5 % plus cher pour du made in France, donc il ne faut pas trop compter là-dessus, met en garde Olivier Blanc, de SAM outillage, qui vante plutôt les avantages induits dans l’organisation interne. Ça a donné du sens au travail de chacun, en nous permettant de construire une vraie chaîne de valeur et en renforçant l’esprit d’équipe, y compris entre la production et le marketing. C’est autre chose que de concevoir un produit ici et de confier sa fabrication à la Chine. » Au niveau du climat social, le DG a également noté une amélioration. « La relocalisation est un gage de confiance entre le personnel, le management et la direction. Dans la région stéphanoise, la désindustrialisation a frappé fort ; chez nous, les gens voient que l’on tient à eux », résume le DG qui reconnaît pourtant que la relocalisation « n’allait pas forcément dans le sens de l’histoire ».

« Un retour ne se fait jamais à l’identique. Chaque cas est particulier, mais souvent le but est d’innover, d’un point de vue technologique ou en termes d’organisation. Pour améliorer les conditions de travail, ou en marketing, pour mieux vendre le produit, complète Olivier Bouba-Olga. Les recrutements se font donc à des niveaux plus élevés et pour des postes différents. » Avec toujours le même objectif en tête : gagner des parts de marché.

Innovation industrielle.

« Les entreprises ne sont pas là pour faire du social, elles reviennent si elles ont quelque chose à y gagner. Mon PDG l’a dit dans la presse, il a ramené de l’activité, mais si le contexte financier l’incite à délocaliser de nouveau, il changera son fusil d’épaule », alerte Benoît Moisson, délégué CGT des skis Rossignol du site de Nevers qui a également vu revenir des lignes de fabrication de skis d’Espagne ou de Taïwan. Les relocalisations, souvent partielles, seraient donc également peu pérennes. « Pour des raisons écologiques et pour l’image de marque, on est pour évidemment, mais la direction ne peut pas communiquer sur des prix bas et payer des ouvriers en France. S’il y a des relocalisations, c’est dans les pays du Maghreb. Ou ici, pour assembler des produits fabriqués ailleurs et mettre l’étiquette made in France », résume Sébastien Chauvin, délégué CFDT du distributeur Decathlon. « C’est la perte de l’avantage compétitif de la délocalisation ou la robotisation qui conduit à la relocalisation », rappelle El Mouhoub Mouhoud, pour qui 11 % des retours effectués depuis 2005 pourraient repartir, car ils ne sont basés que sur la perte de cet avantage compétitif.

« Économiquement, ça ne tient pas la route d’encourager la relocalisation, renchérit Olivier Bouba-Olga. Il y a une sorte de déni du processus de mondialisation dont il faut sortir pour montrer que la France peut faire les choses différemment. Demandons-nous si les entreprises sont bien positionnées sur la chaîne de valeur. Essayons de monter en gamme ou de favoriser l’innovation industrielle et technologique dans les entreprises pour nous repositionner sur le marché mondial, et proposer des produits que les consommateurs chinois viendront acheter chez nous. On ne peut pas tout faire en France », plaide-t-il contre les aides directes aux entreprises (lire interview ci-contre).

Le sujet ne serait donc pas économique, mais social. « À mon avis, c’est avant tout un sujet de formation des personnes. Le chômage en France est un problème de personnes peu ou non qualifiées : il faut une politique structurelle au niveau des Régions ou du pays pour développer de nouvelles compétences », défend Olivier Bouba-Olga. Aider à l’automatisation des entreprises comme en Corée, au Japon ou en Allemagne leur permet d’être plus efficaces. Mais pour l’économiste, il ne faut pas exagérer l’importance du secteur industriel : « L’enjeu est que les gens en France puissent se repositionner. »

C’est la méthode qu’a choisie Lacoste pour refaire de Troyes son « centre d’excellence ». « Nous avons créé notre propre école, la Lacoste Manufacturing Academy, en février dernier, explique Dominique Brard, DRH de l’entreprise. Nous avons beaucoup de départs en retraite que nous devons remplacer, mais nous ne trouvons plus de jeunes formés. L’Éducation nationale s’est retirée des métiers de teinture, couture, bonneterie, ou tricotage. » Lacoste a donc investi entre 3 et 4 millions d’euros dans l’école et 3 à 5 millions par an dans le matériel sur le site de Troyes (400 à 450 salariés dans l’usine et 300 dans l’entrepôt). « Sans cela, on aurait été obligés d’aller chercher le savoir-faire ailleurs », reconnaît Dominique Brard. Une centaine d’embauches sont prévues dans les deux ans. Cette stratégie permettra d’éviter la délocalisation des petites séries et des pièces made in France. « Ici, les gens ont connu les délocalisations et s’inquiétaient. Aujourd’hui, ils voient l’investissement dans le matériel et dans la formation. Ça renforce les liens », se réjouit la DRH. La Lacoste Manufacturing Academy accueillera aussi des élèves d’entreprises extérieures « pour maintenir le savoir-faire sur le bassin d’emploi ». Un pied de nez à la désindustrialisation féroce des années 1980 dans la région.

En chiffres

102 relocalisations en France de 2009 à 2017 3 847 emplois créés grâce à des relocalisations en France de 2009 à 2017, c’est 0,3 % des emplois créés sur la période (1 323 275).

Dans le même temps, la France a perdu1 219 923 emplois dont plus de 35 000 à cause de délocalisations.

Nombre d’emplois créés par la relocalisation et perdus par la délocalisation depuis 2009
Pour aller plus loin

Mondialisation et délocalisation des entreprises, El Mouhoub Mouhoud. La Découverte, 5e édition, 2017.

Délocaliser ou relocaliser. Quels enjeux pour les entreprises ?, Jacques Carles. Eyrolles, 2014.

Les relocalisations : une démarche multiforme qui ne se réduit pas à la question du coût de la main-d’œuvre, Christophe Bellego.

www.entreprises.gouv.fr, DGCIS, mars 2014.

Auteur

  • Lucie Tanneau