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Mineurs de Lorraine, les raisons de la colère

Décodages | publié le : 02.10.2017 | Pascale Braun

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Mineurs de Lorraine, les raisons de la colère

Crédit photo Pascale Braun

Exposés à une multitude de produits cancérigènes au cours de leur carrière, les anciens mineurs du bassin de Lorraine entendent faire reconnaître un préjudice d’anxiété jusqu’à présent limité aux travailleurs de l’amiante.

C’est une honte ! », « Les mineurs ne se cacheront pas pour mourir ! », « Nous irons jusqu’au bout ! », « enfin, ceux qui seront encore là… » Le 7 juillet dernier, une cinquantaine d’anciens mineurs des Houillères du bassin de Lorraine (HBL) ont laissé éclater leur colère devant le parvis du tribunal de Metz. Saisie de la requête de 755 plaignants, la cour d’appel leur a signifié une double fin de non-recevoir, tant pour l’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à la crainte de développer une maladie mortelle que pour la violation de l’obligation de sécurité reprochée à Charbonnages de France (CdF). L’arrêt messin restreint la réparation du préjudice d’anxiété aux seuls salariés exposés à l’amiante et remplissant les conditions définies par l’article 41 du 23 décembre 1998 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999. Le tribunal retoque également la demande subsidiaire au titre de l’obligation de sécurité de résultat, estimant que les éléments produits par les mineurs ne prouvent pas le manquement de Charbonnages de France, la maison-mère des HBL, à ses obligations de sécurité.

Trois mois plus tard, le jugement n’en finit pas de faire tousser dans un ancien bassin houiller paupérisé et traumatisé par les séquelles de la fermeture des mines. Les anciens mineurs avaient obtenu une victoire partielle le 30 juin 2016 devant le tribunal des prud’hommes de Forbach. Le jugement de départage avait estimé fautive l’exposition des mineurs à deux cancérigènes avérés : les résines de consolidation formo-phénoliques et les poussières toxiques. Il avait accordé aux plaignants 1 000 euros d’indemnité en réparation du préjudice d’anxiété. La cour d’appel de Metz a refermé cette brèche. Les anciens mineurs ont été déboutés et condamnés aux dépens.

Engagée depuis 2013 dans cette lutte, la CFDT s’est pourvue en cassation. « Nous n’avons jamais demandé à bénéficier du dispositif prévu pour les travailleurs exposés à l’amiante, mais nous voulons obtenir la reconnaissance d’un préjudice d’exposition à de nombreux produits toxiques et cancérigènes et la réparation du dommage qui en résulte. Chacun des 735 plaignants a fourni trois attestations d’exposition et trois attestations relatives à l’anxiété. Ne pas reconnaître ce préjudice constituerait une inégalité de traitement. S’il le faut, nous irons jusqu’à la Cour européenne de justice », affirme François Dosso, ancien mineur de fond membre de la cellule maladies professionnelles de la CFDT.

24 pathogènes.

La cour d’appel ne conteste pas le caractère dangereux et nocif pour la santé des différents produits et matériaux utilisés dans l’industrie minière, mais elle ne voit dans les témoignages produits par les mineurs aucune preuve du manquement de CdF à ses obligations spécifiques de sécurité. Seuls deux plaignants se voient accorder le « bénéfice » d’une exposition à des poussières nocives, car ils ont, dans l’intervalle entre la première procédure et l’appel, déclaré une maladie professionnelle reconnue par le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS).

Les mineurs de Lorraine ont été exposés à des fumées de tirs d’explosifs, à des émanations de diesel, à des vapeurs d’huile, à des poussières de roche et pour plus d’un millier d’entre eux, à des fibres d’amiante. En fonction des métiers, des époques et des sites d’exploitation, ils ont pu être en contact avec 24 cancérigènes ou pathogènes. En moyenne, les plaignants ont été exposés à 11 d’entre eux. Certains ont coché 22 cases du formulaire distribué par la CFDT. Dans les cités minières, les conversations portent trop souvent sur les cancers du poumon, des reins, du nasopharynx, de la peau, de la vessie ou encore, de leucémies contractées par d’anciens collègues.

Les anciens mineurs malades obtiennent souvent individuellement la reconnaissance de l’origine professionnelle de leur pathologie, mais la reconnaissance globale des conditions de travail reste difficile à démontrer, d’autant que les victimes les plus atteintes sont déjà disparues. « En l’état, il n’est pas possible de confirmer la surmortalité des mineurs. Nous ne pouvons nous appuyer que sur des études anciennes, de qualité médiocre et déjà rétrospectives, puisqu’elles ont été réalisées dans les années 1980, alors que les pics d’exposition étaient déjà passés. À l’époque, la surmortalité liée aux maladies des voies aériennes était multipliée par quatre ou cinq, mais il existait des facteurs de confusion, dont le tabac », note Gilles Bignolas, responsable qualité santé du régime minier auprès de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM). Pour les 100 000 affiliés – les anciens employés des houillères, mais aussi des cokeries du Nord-Pas-de-Calais, du sud-est et de l’est de la France –, la CANSSM a instauré en 2016 un suivi et des dépistages spécifiques, afin de détecter les traces d’exposition et si possible, d’apporter des soins. « Nous espérons que les anciens mineurs seront nombreux à participer à ce dépistage, qui constitue un moyen de déterminer s’ils ont été suffisamment et correctement protégés. Dans le cas contraire, il est tout à fait normal de le reconnaître », estime Gilles Bignolas.

Risque de préjudice.

Selon Lucien Privet, auteur en 1986 d’une thèse sur les conditions de travail et de santé dans les mines de charbon du bassin de Lorraine, la reconnaissance des maladies professionnelles reste difficile, leur indemnisation insuffisante et les études lacunaires. « On ignore par exemple l’effet cocktail que peuvent produire les expositions multiples. Il ne serait pas difficile de réaliser des études épidémiologiques sur les retraités des charbonnages, mais il faudrait s’en donner les moyens. Or, qui se soucie aujourd’hui des mineurs ? », s’interroge le médecin militant.

Si les mineurs malades peuvent escompter une indemnisation, les retraités n’ayant pas développé de maladie ne peuvent en l’état espérer la prise en compte de l’angoisse que génère la conscience, ravivée à chaque souci de santé, d’avoir été exposé à des produits susceptibles de causer des maladies mortelles. « Le risque de préjudice n’est pas un préjudice indemnisable », assure la cour d’appel de Metz – affirmation que semblent démentir les indemnisations obtenues par des patients ayant ingéré du Mediator, même sans avoir été victimes d’effets secondaires. L’arrêt considère également que les anciens mineurs ne présentent pas la preuve d’un préjudice distinct autre que celui répondant à la définition du préjudice d’anxiété dont la réparation est réservée aux victimes de l’amiante. Ce qui ferme la voie à toute autre forme de préjudice moral. « La souffrance des mineurs vaut-elle moins que celle des travailleurs exposés à l’amiante ? » s’interroge Morane Keim-Bagot, maître de conférences en droit privé à Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (Les Cahiers sociaux du 1er septembre 2017). La juriste pointe d’autres incohérences. La cour d’appel de Metz considère la violation de l’obligation de sécurité comme fondement de la réparation du préjudice dont les anciens mineurs seraient de toute façon exclus.

Exclus de recours.

Avocate à Forbach, Me Sarah Schifferling a défendu une trentaine de plaignants majoritairement cégétistes sur les questions de prescription et d’exposition. La loi du 17 juin 2008 du Code civil, qui ramène la prescription de trente à cinq ans, concerne à double titre les anciens mineurs. Les plus âgés d’entre eux ont pu faire partir le délai de prescription trentenaire à partir de la fin de leur contrat de travail. Pour les autres, la prescription quinquennale débute à compter de la date de liquidation de CdF, soit le 1er mars 2008. Pour tenir compte du délai d’ouverture des archives, le tribunal a choisi de prendre en compte les plaintes déposées avant le 13 juin 2013. Nombre de plaignants potentiels se trouvent ainsi exclus de recours. « J’ai soutenu que le délai de prescription n’avait pas encore débuté pour les salariés n’ayant pas obtenu l’attestation par laquelle CdF les informait qu’ils avaient été exposés à des produits toxiques. Le tribunal ne m’a pas suivie sur ce point, car si j’avais obtenu gain de cause, des centaines d’autres plaignants auraient pu faire valoir leurs droits », explique l’avocate.

Le risque de la prescription a dissuadé les anciens mineurs du nord de la France d’engager une procédure collective. Plus jeunes, les retraités des houillères du bassin de Lorraine ont conservé une capacité militante supérieure. Isolés dans un bassin dialectophone excentré et privés de relais politiques, ils se trouvent aujourd’hui confrontés à une contestation systématique de risques encourus au cours de leur carrière. « Lors des audiences, les représentants de la direction des houillères ont opposé aux témoignages des mineurs un déni de réalité. Ils se sont drapés dans leur dignité, sans vouloir admettre que les prescriptions de sécurité élaborées par leurs ingénieurs s’étaient arrêtées au stade de la théorie. Dans les faits, les conditions de travail des mineurs n’étaient pas loin du crime de masse », accuse Cédric de Romanet, défenseur des mineurs lorrains aux prud’hommes, puis en appel. Au-delà du préjudice d’anxiété, c’est la reconnaissance de cette réalité méconnue que souhaitent obtenir les anciens mineurs lorrains.

En chiffres
144 fois plus de maladies professionnelles pour les mineurs

Pour l’année 1992, considérée comme ordinaire, les affiliés du régime minier (RM) ont déclaré 341 maladies professionnelles. Contre 873 pour le régime général (RG). Ces maladies ont affecté 38 000 affiliés au RM contre 14 millions d’affiliés au RG. Soit un taux de fréquence de 8 937 maladies professionnelles pour un million de salariés du RM, contre 62 maladies professionnelles pour un million d’affiliés au RG. Ce qui donne un taux de prévalence 144 fois plus élevé pour les mineurs.

L’anxiété, un monopole des travailleurs de l’amiante ?

Reconnu pour la première fois le 11 mai 2010 par la Cour de cassation, le préjudice d’anxiété a fait l’objet d’interprétations de plus en plus restrictives qui le cantonnent aujourd’hui aux travailleurs de l’amiante, aux établissements relevant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) et aux dispositions de la loi du 23 décembre 1998. Les décisions de justice qui ont suivi, ont écarté les salariés exposés à l’amiante dans une entreprise non classée, puis ceux employés par les sous-traitants d’entreprises relevant des listes ACAATA. Le débat juridique n’est pas clos pour autant. Il reste pour l’heure difficile de savoir si le manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité ouvre la possibilité d’indemniser le salarié exposé à l’amiante ou à d’autres substances toxiques. Ou bien si le préjudice d’anxiété concerne exclusivement et de plein droit les travailleurs de l’amiante dont les employeurs relèvent des listes ACAATA.

Auteur

  • Pascale Braun