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Difficile de retenir les cadres volages ?

Décodages | publié le : 02.10.2017 | Gwenole Guiomard

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Difficile de retenir les cadres volages ?

Crédit photo Gwenole Guiomard

Les recrutements de cadres sont au plus haut depuis le début de l’année et certains en profitent pour changer d’employeur. Les entreprises multiplient les propositions pour développer l’autonomie et le savoir-faire de leurs meilleurs cadres. Voire améliorer leur équilibre vie privée-vie professionnelle.

Pour 2017, 225 000 embauches de cadres sont prévues. Du jamais-vu en France. « Ce nombre augmente chaque année depuis trois ans. On a atteint 204 000 en 2016 contre 200 000 escomptés. C’était 100 000 à la fin des années 1990 », explique Pierre Lamblin, directeur du département études et recherche de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). En conséquence, certains secteurs se heurtent à des difficultés de recrutement. C’est le cas de l’informatique (54 000 recrutements prévus en 2017), de l’ingénierie (27 000) ou du conseil (21 000). En moyenne, 62 % des employeurs trouvent difficilement chaussure à leur pied, avec des pointes à 77 % dans la production industrielle et le BTP, ou encore de 75 % chez les informaticiens. Plusieurs raisons à cela, une demande d’encadrement en expansion, la transformation numérique de notre économie et des investissements en hausse. Les fonctions informatiques, commerciales ou recherche et développement connaissent aussi des records d’embauches, avec respectivement 51 000, 43 000 et 37 000 recrutements escomptés en 2017. Mais tous les secteurs et toutes les fonctions sont concernés.

Or dans les entreprises, cela commence à se savoir. Les cadres sont une population qualifiée et très informée. « Dès que la conjoncture leur est favorable, ils quittent leur employeur. Pour trois raisons que précisent nos études : ils veulent découvrir d’autres horizons, obtenir un meilleur salaire et retrouver la possibilité d’évoluer. Les cadres français sont les champions d’Europe de la mobilité externe », précise Pierre Lamblin. Et le phénomène est en croissance selon l’Apec. Le taux de turnover atteint aujourd’hui les 9 % contre 7 % en 2015. De même, ces départs constituent la première raison d’une embauche de cadres pour 48 % des recruteurs interrogées au premier semestre 2017. Devant cette recrudescence des départs, les employeurs les plus avisés commencent à réagir. « Ils éprouvent des difficultés à recruter des cadres de qualité. Ces derniers ont le choix, et l’employeur se doit de proposer une « marque employeur irréprochable ». L’important est aussi de tenir les promesses faites lors du processus d’embauche », commente Élodie Soubigou, directrice associée en charge de la Practice people & change pour Keyrus Management, le département conseil du groupe Keyrus, spécialiste de l’accompagnement des transformations digitales.

Conscients de l’importance de leur image auprès des salariés, certains employeurs sont aujourd’hui prêts à payer pour s’inscrire dans les hit-parades des sociétés où il est agréable de travailler. Le plus connu est celui de la société Great Place to Work (GPTW). Pour 3 000 à 5 900 euros par an – tout dépend du nombre de salariés – GPTW réalise une analyse de l’image et des bonnes pratiques managériales. « Le nombre des sociétés que nous analysons est passé de 184 en 2016 à 222 en 2017 », précise Patrick Dumoulin, directeur général de l’entité française. Il s’agit d’une augmentation de 20 % en un an. Parallèlement, les employeurs s’appuient sur des politiques RH positives pour retenir leurs meilleurs salariés.

Développer les compétences.

« Quand on veut fidéliser un cadre de qualité, il est impératif de lui proposer des possibilités de développer ses compétences et d’augmenter son employabilité », commente Sabine Lochmann, présidente du directoire de BPI Group, l’un des leaders du conseil en management des ressources humaines en France. « Les cadres veulent acquérir des compétences sur les soft skills que tout le monde recherche : travail en équipe, multiculturalité, connaissances du digital », affirme-t-elle. C’est, par exemple, la politique de Vinci. La multinationale du BTP, des concessions et de l’énergie propose à ses collaborateurs sa Vinci Academy. Cette université d’entreprise forme plus de 400 stagiaires par an. Parmi les programmes proposés, un cursus complet de huit jours à destination des futurs dirigeants porte sur la stratégie du groupe et est ensuite suivi par une learning expedition sur le terrain. « Ce séminaire permet de fidéliser nos potentiels. Ils repartent avec une meilleure connaissance des enjeux et de la stratégie du groupe et sentent que l’on compte sur eux. C’est un facteur de motivation », explique Patrick Plein, directeur du digital working et de Vinci Academy. Certaines sociétés comme le Crédit agricole améliorent les connaissances digitales de leurs salariés via des cours en présentiel, des Mooc et des serious games. Autre pratique, le mécénat de compétences. Il consiste à envoyer les cadres en mobilité un à deux jours par semaine dans une très petite entreprise. Cette situation plaît aux plus jeunes qui peuvent ainsi avoir accès à davantage de responsabilités. « L’engagement des collaborateurs est le nouvel or noir des entreprises. Les cadres sont dans une logique du donnant-donnant. Leur question est : que m’apporte l’entreprise pour me faire évoluer ? Offrir des outils pour monter en compétences est un argument très fort pour attirer et fidéliser les meilleurs », estime Morgan Baivier de Fortis, fondateur de monmentor.fr, un spécialiste du mentoring entre particuliers.

« La formation est la meilleure façon de valoriser les salariés. Notre objectif est de former nos agents pour maintenir leurs acquis et améliorer leurs connaissances. Et nous promouvons ceux qui peuvent devenir chefs de poste. Cela fidélise nos clients qui sont rassurés par notre faible turnover pendant les missions, explique Ingrid Antczak, responsable de la communication au sein du groupe Artemis spécialiste en sécurité privée, humaine, incendie, informatique (1 500 salariés en France). « Pour pallier les difficultés à recruter, nous avons mis en place en 2012 une université d’entreprises qui voit passer 2 350 stagiaires par an sur nos quelque 5 000 salariés en France. Chez nous, on peut commencer à la cuisine et conclure sa carrière au comité exécutif du groupe, affirme sans ciller Céline Lemercier, vice-présidente des ressources humaines de Louvre Hotels Group, groupe hôtelier intégrant les enseignes Première Classe, Campanile, Kyriad ou Tulip. Pour les entreprises de services, le parcours salarié doit être réussi pour réussir le parcours client. Il y a correspondance entre les deux. »

Développer l’autonomie.

Great Place to Work conseille également de développer les responsabilités des managers que l’on veut retenir en améliorant leur autonomie. « Les entreprises se doivent de partager et d’expliquer leur stratégie tout en associant les cadres à la transformation de leur modèle économique et des modes de gestion. Les managers rejoignent un groupe, moins pour un plan de carrière, mais plus pour un nouveau challenge professionnel dans un cadre plus autonome et engagé sur les transformations managériales », affirme de son côté Thierry Majorel, responsable innovation et digital experience de BPI Group. Le processus est complexe. Pour que chacun puisse acquérir une autonomie sur son poste, il faut que tout le monde comprenne les enjeux de l’ensemble des postes de travail. Les informations transmises ne doivent pas constituer un enjeu de pouvoir. La stratégie, le chiffre d’affaires, les résultats, la marge, tout doit être transparent. Le vendeur de chauffage écologique havrais, entreprise libérée, Mychauffage.com organise ainsi deux réunions par semaine. La première concerne les résultats commerciaux et la seconde les chiffres de chaque département. « Nos salariés sont au courant de tout. Ils sont donc très autonomes. Cela leur offre une qualité de vie débouchant sur une qualité de service reconnue par nos clients. Du coup, notre chiffre d’affaires progresse de 50 % par an depuis cinq ans », s’enorgueillit Jérémie Bigo, le dirigeant.

Équilibre vie privée-vie pro.

Cultiver la fidélité chez ses salariés commence également dès la première journée d’embauche, notamment avec les techniques de onboarding. Il s’agit d’améliorer l’accueil des nouveaux arrivants en leur présentant tous les services de la société, en organisant des rencontres avec leurs nouveaux collègues, en proposant du mentorat ou de la formation « sur le tas ». L’objectif est de susciter une appréciation suffisamment forte pour créer une fidélité sur le long terme. Enfin, assurer un certain équilibre entre vie privée et vie professionnelle est aussi un bon argument pour retenir ses cadres. La société Pas à Pas, l’un des leaders français du SAP, offre, par exemple, à ses salariés la possibilité de « télétravailler » deux jours par semaine. Elle s’organise également autour d’horaires flexibles. « Tout ce qui contribue à développer une qualité de vie au travail et offre la liberté de construire un projet socialement responsable plaît aux cadres. C’est une façon de proposer un espace de réussite non prévu par le contrat de travail », résume Sabine Lochmann. Reste que ces politiques RH ne conviennent pas à toutes les directions. Selon le baromètre RH de Bodet Software, publié en mai 2017 en partenariat avec l’Université catholique de l’Ouest, 43 % des entreprises déclarent ne pas vouloir le mettre en place. C’est autant d’employeurs qui découvriront, mais un peu tard, que les cadres sont aujourd’hui du bon côté du manche.

« Nous organisons des réunions pour évacuer les tensions »

Sylvain Tillon est le fondateur de Tilkee. Cette start-up de 21 salariés propose des trackers invisibles insérés dans les documents envoyés par mail permettant à l’émetteur de savoir ce que son client analyse dans les textes transmis. Le développement de ce produit nécessite d’embaucher des commerciaux de grande qualité et des développeurs de haute volée.

« Pour nous développer, nous avons choisi de nous appuyer sur nos collaborateurs en les fidélisant. Qu’ils soient commerciaux ou développeurs, notre santé financière en dépend. Pour les premiers, nous avons mis en place un système de rémunération variable innovant. Les commissions allouées pour une vente sont mutualisées et divisées par le nombre de commerciaux. Ces derniers ont donc intérêt à s’aider mutuellement, d’aller en clientèle à plusieurs, de partager les informations ou bonnes pratiques et de mutualiser leurs clients. Ensuite, nous souhaitons que nos commerciaux progressent tous les jours. Nous avons ainsi développé une série de cursus. Ce peut être sur la finance entrepreneuriale pour qu’ils puissent analyser le bilan d’une entreprise en général et le nôtre en particulier. Ou des cours d’apnée pour améliorer l’état de santé de chacun.

Pour les équipes techniques, nous avons organisé des sessions de brain storming où chacun doit proposer sa propre idée. Cela nous a permis de développer des nouveautés techniques qui sont aujourd’hui la source de 20 % de nos ventes. Les systèmes informatiques proposés sont de haute qualité. Chacun se défonce pour livrer une solution sans bug. Les commerciaux prennent aussi le relais pour vendre les trouvailles de leurs développeurs. Enfin, trois fois par an, nous organisons une réunion où chacun présente son point positif et sa récrimination sur l’entreprise. Il y a dix-huit mois, ce rendez-vous nous a sauvés. Certains salariés ont expliqué qu’ils avaient l’impression de ne servir à rien. Cela nous a permis d’évacuer les tensions au sein du groupe et de repartir de plus belle. Lors de ces réunions, nous n’avons pas le droit d’interrompre l’interlocuteur. Nous prenons note et proposons des solutions concrètes pour la réunion suivante. Cela fait trois ans que nous nous rencontrons ainsi collectivement. Les griefs sont de moins en moins nombreux. »

Auteur

  • Gwenole Guiomard