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La sécurité privée peine à se rendre attractive

Décodages | publié le : 04.09.2017 | Adama Sissoko

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La sécurité privée peine à se rendre attractive

Crédit photo Adama Sissoko

Depuis la vague d’attentats qui a touché la France, l’État s’est appuyé sur des entreprises de sécurité privée pour protéger les lieux publics. Le 1er janvier 2018, un arrêté entrera en vigueur qui modifiera la formation des agents de sécurité.

Devant les stades lors des matchs de foot, dans les magasins et sur les zones touristiques… Impossible de les rater. Les agents de sécurité font désormais partie du quotidien. Vérification des sacs, fouilles, la vigilance s’est accrue depuis les attentats qui ont touché la France en janvier et novembre 2015. Les nouvelles formes d’acte terroriste ont poussé les pouvoirs publics à faire appel aux entreprises de sécurité privée et donc à réglementer cette activité en pleine expansion. Depuis des années, l’État essaie de moraliser le secteur. En 2006, il instaure l’obligation de passer un certificat de qualification professionnelle (CQP) pour exercer le métier d’agent de sécurité, puis en 2012, il crée le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), chargé de délivrer la carte professionnelle et de contrôler les entreprises. Le 1er janvier 2018, un arrêté publié le 27 février 2017 viendra compléter cette série de réformes. Désormais, pour obtenir le CQP d’agent de prévention et de sécurité (APS) il faudra suivre une formation de 175 heures au lieu de 140. Et un nouveau module sur la prévention au risque terroriste est prévu, une augmentation du budget formation qui pose problème à nombre d’intervenants du secteur.

Au départ, cet arrêté était prévu pour le 1er juillet 2017. Un délai trop court qui a soulevé un vent de contestation chez les dirigeants et les responsables syndicaux. Il a donc été repoussé, au grand soulagement des professionnels. Mais les questions subsistent. D’abord concernant le coût des stages de maintien et d’actualisation des compétences, nécessaires pour obtenir le renouvellement de la carte professionnelle. Tout va dépendre des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui gèrent le budget des formations. En effet, ces derniers ne prennent en charge les stages qu’à certaines conditions. Parmi celles-ci une durée de vingt-huit heures minimum. Or, le nombre d’heures de formation sur la prévention au risque terroriste est fixé à treize. « Mais en cumulant d’autres modules, l’entreprise peut atteindre vingt-huit heures et ainsi respecter les critères », rassure Charles, le chargé de formation d’un OPCA. Les grandes entreprises de sécurité, comme Prosegur ou Securitas, devraient pouvoir surmonter cet obstacle au vu de leur position dominante sur le marché. Mais leur direction n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pour les petites entreprises, c’est plus compliqué. Ce coût supplémentaire pourrait peser sur un budget déjà serré. Charles assure cependant que « le système est assez solidaire. Les entreprises cotisent en fonction de leur masse salariale ». Encore faut-il qu’elles aient cotisé.

La formation, ressentie comme une charge.

Omar Kerriou, secrétaire fédéral CFDT à la fédération services observe que l’État « fait en matière de formation professionnelle ce que les entreprises auraient dû faire depuis des années. Mais ces dernières perçoivent les questions de formation comme une charge économique supplémentaire au lieu de l’envisager comme un investissement ». Selon lui, nombre de salariés ayant obtenu leur carte grâce au système d’équivalence, n’ont pas remis les pieds dans un centre de formation depuis la validation de leurs acquis. D’autres n’ont pas ou peu bénéficié de formations depuis leur embauche. Il en vient même à craindre que certains chefs d’entreprise ne se dérobent à leurs responsabilités et refusent de verser un salaire pendant le stage obligatoire. Ou bien demandent aux employés de supporter le coût de cette formation continue.

Autre problème, la bonne information des chefs d’entreprise de petite taille. Nombre d’entre eux disent ne rien connaître de l’entrée en vigueur de cet arrêté. Une situation qui n’est pas étonnante, car ils sont peu nombreux à avoir adhéré à une organisation professionnelle. Et le nombre de juristes d’entreprise est négligeable dans la branche. Mais cela ne suscite pas pour autant l’inquiétude des responsables de TPE de la branche. Le gérant d’une société de huit salariés installée à Paris avait parié sur le report de la date d’entrée en vigueur de l’arrêté : « Cela fait dix-sept ans que je fais ce métier, explique-t-il. J’ai donc vécu la mise en place des CQP et cela a pris beaucoup de temps. » Sa tranquillité d’esprit repose sur un constat. Si les agents n’ont pas le temps de suivre cette nouvelle formation, ils risquent de perdre leur carte professionnelle. Mais c’est alors la sécurité publique qui devrait en souffrir. Une perspective difficilement défendable pour les autorités alors que les attaques terroristes du Bataclan, de l’Hyper Cacher et de Charlie Hebdo ont inauguré de nouvelles formes de danger, entraînant de nouveaux besoins en termes de protection.

Des rémunérations très basses. Ces réformes visent aussi à redorer l’image du secteur. Les centres de formation sont réputés comme étant des lieux où les diplômes sont délivrés à tour de bras, où les cours sont donnés dans des locaux non appropriés, sans matériel adéquat et où les résultats d’examen affichent des taux de réussite à 100 %. Bientôt des normes devront être respectées. Mais ces améliorations ne seront pas forcément suffisantes pour améliorer l’attractivité de la profession car le niveau des salaires est bas. La filière peine d’ailleurs à fidéliser les employés. Le turnover y est très fort et le nombre de CDD approche des deux tiers des effectifs. Un agent de sécurité au premier échelon perçoit un salaire mensuel de 1 482 euros, c’est à dire 1 141 euros net sans les primes. « L’une de nos revendications, c’est que le brut s’élève à 1 800 euros, insiste Jean-Paul Horville, délégué syndical central de la CGT chez Securitas. Et de poursuivre, « en Belgique, les agents sont payés 2 300 euros brut. C’est un métier difficile, devenu risqué, mais il n’est pas gratifiant financièrement ».

« On ne fait pas ce métier par passion. Pour la plupart d’entre nous, c’est parce qu’on a besoin de travailler. On se dit que l’on fait cela en attendant de trouver mieux », témoigne Mehdi, agent de sécurité arrière caisse en supermarché, qui a connu diverses entreprises depuis cinq ans. Il regarde avec attention l’évolution de son métier et l’enjeu des nouvelles réformes. « Depuis les attentats, nos fonctions ont changé, observe-t-il. Est-ce que ça vaut le coup ? Si j’avais le choix de partir, je dirais que non. Mais je ne l’ai pas. »

En 2016, divers syndicats avaient manifesté en faveur d’une hausse de salaire. En janvier 2017, ils n’ont obtenu qu’une augmentation de 1,5 % pour les salaires les plus bas. « Avec les réformes qui se succèdent, on demande beaucoup au personnel en très peu de temps et toujours sans reconnaissance financière pour ces nouvelles contraintes et responsabilités », constate Omar Kerriou. Une question qui n’est pas abordée par le ministère de l’Intérieur, lequel se contente de renvoyer les acteurs vers le ministère du Travail.

En chiffres

300 000 personnes étaient détentrices de la carte professionnelle en 2016. Pour 160 000 salariés en poste seulement, dont un grand nombre en CDD ou à temps partiel. La carte professionnelle est valable cinq ans. Le secteur de la sécurité privée a vu son chiffre d’affaires augmenter de 2,1 % depuis 2014, pour un chiffre d’affaires 2016 de 24,4 milliards d’euros, selon l’Atlas de la sécurité.

Il compte 3 466 entreprises (en recul de 2 % par rapport à 2013) et plus de 6 000 travailleurs indépendants. L’activité des entreprises de sécurité est très dépendante du contexte économique et des appels d’offre. Les grands événements (matchs de foot, rassemblements publics…) augmentent le chiffre d’affaires global… et les rémunérations des employés à temps partiel qui cumulent alors des heures supplémentaires. Au final, cela donne des rémunérations aléatoires, peu attractives pour le personnel.

Auteur

  • Adama Sissoko