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La prévention santé, un chantier poussif

Dossier | publié le : 05.06.2017 | Séverine Charon

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La prévention santé, un chantier poussif

Crédit photo Séverine Charon

L’ANI (accord national interprofessionnel) de janvier 2013 devait contribuer à généraliser la culture de la prévention en santé. Plus de dix-huit mois après son entrée en vigueur, rares sont les branches qui ont déterminé précisément le contenu de leurs programmes autour des risques santé et prévoyance. Les raisons d’un retard à l’allumage.

Prévention des risques, santé et qualité de vie au travail, conciliation vie privée-vie professionnelle… Sujets de négociation voire d’obligations légales à respecter strictement sous peine de voir engager la responsabilité pénale de l’employeur, ces thèmes touchent de près ou de loin à la prévention en santé et sont devenus des préoccupations récurrentes dans la vie d’un DRH. Une situation pleinement justifiée du point de vue des salariés comme des dirigeants. Ainsi, 80 % des salariés et 82 % des dirigeants estiment que l’employeur doit contribuer à la bonne santé de ses collaborateurs, d’après une étude de l’observatoire Harmonie mutuelle publiée fin 2015.

Les employeurs ont pourtant longtemps rechigné à s’engager sur ces sujets. « Les entreprises hésitent à se mêler de sujets liés à la santé, qui sont à la frontière de la vie personnelle et de la vie professionnelle », remarque Mathias Matallah, président du cabinet Jalma. « Les frontières entre qualité de vie au travail (QVT), conciliation vie privée-vie professionnelle et santé au travail sont parfois ténues », confirme Emmanuel de Beauchesne, directeur conseil de MyPrevention. Mais les mentalités changent progressivement. Des textes récents, comme la généralisation de la complémentaire santé en 2013 et le Plan santé au travail 2016-2020, ont achevé de transformer l’image des actions de prévention en entreprise. Désormais, elles sont davantage considérées comme des investissements que comme des coûts. Les actions pour améliorer la santé des salariés ont en effet des implications directes sur les contrats d’assurance santé et de prévoyance. Même si les assureurs ont mis du temps pour les intégrer dans leur offre. Sans doute parce que les études manquent pour valider et chiffrer les relations de cause à effet dont chacun a l’intuition : un salarié heureux et épanoui, qui prend soin de lui à la maison comme au boulot sera en meilleure santé. Il sera plus présent et plus efficace. À l’inverse, un salarié malade et arrêté contribue à la sinistralité des contrats de santé et prévoyance et à l’alourdissement du coût de la protection sociale.

Plus de dépenses de santé

Dans le contexte économique actuel, où entreprises et assureurs veulent éviter tout dérapage des coûts liés aux risques de santé et prévoyance, la mise en œuvre d’actions de prévention prend tout son sens. De plus, les conditions macroéconomiques donnent un caractère d’urgence au sujet : avec des taux d’intérêt faibles, la prévoyance se renchérit. Un assureur doit en effet provisionner davantage aujourd’hui qu’il y a cinq ans pour faire face à un même engagement long, tel qu’un sinistre en incapacité ou en invalidité. Enfin, quelle que soit l’évolution des taux, le vieillissement de la population active, l’augmentation du nombre d’arrêts de travail et l’allongement de la durée d’activité entraîneront une fragilité encore plus grande des régimes de prévoyance. Et un accroissement des dépenses de santé chez les salariés les plus âgés. Dorénavant, les assureurs santé et prévoyance, mais aussi les courtiers, constituent des équipes capables d’accompagner dirigeants et DRH pour rédiger un document unique, réaliser des diagnostics sur la santé des salariés ou organiser des campagnes de prévention.

Un assureur comme Harmonie indiquait récemment avoir réalisé 775 interventions (formations, campagnes de sensibilisation…) en entreprise en 2016, dans le cadre de son programme La prévention gagne l’entreprise. De son côté, le courtier Siaci Saint Honoré a mis sur pied MyPrevention, une offre d’assistance aux salariés et de services aux entreprises. « Notre portail assemble des services proposés par nos partenaires. Les besoins exprimés sont très variés : ostéopathie, ergonomie, prévention des RPS (risques psychosociaux), mais aussi formation ou bilan de santé pour les salariés », explique Emmanuel de Beauchesne. Telle entreprise pourra faire appel à un réseau d’ergonomes pour intervenir sur site. Telle autre pourra plus facilement mettre en place un bilan santé pour les salariés de plus de 55 ans grâce à un cabinet spécialisé.

Souvent, les accords d’entreprise portant sur la santé au travail servent de cadre à la prévention dans le domaine de l’ergonomie. En particulier en matière de TMS (troubles musculo-squelettiques). Des secteurs très exposés, comme le bâtiment et la grande distribution se sont emparés du sujet. Dans le bâtiment, c’est l’organisme professionnel du BTP qui a pris en charge le dossier. Cette instance professionnelle s’est même livrée au délicat exercice du chiffrage du retour sur investissement de la prévention. Dans le cadre de l’étude Diméco (dimension économique de la prévention), elle affirme qu’un euro investi rapporte 2,20 euros, histoire de motiver les entreprises à s’engager.

Plus d’action de prévention

Dans la distribution, Ikea France a négocié un accord avec les organisations syndicales en 2016. Le distributeur a alloué 270 000 euros sur trois ans pour mettre en œuvre des sessions de formation et des expertises en ergonomie. De son côté, Monoprix a équipé ses milliers de caisses avec siège et repose-pieds adaptés. Le hic, c’est que de telles actions nécessitent des moyens humains et financiers que seules de grandes structures peuvent mobiliser.

L’ANI de janvier 2013, qui institue la généralisation de la complémentaire santé à toutes les entreprises, a fait franchir un nouveau seuil aux entreprises. L’accord national transcrit dans la loi a poussé les plus petites entreprises à s’engager dans des actions de prévention adaptées à leurs métiers et à leurs populations. Ce texte institue en effet l’obligation pour les branches qui veulent recommander un ou plusieurs assureurs pour la couverture santé obligatoire, de mettre en œuvre des avantages non contributifs, notamment des actions de prévention santé. Concrètement, au moins 2 % de la cotisation de la couverture santé doivent être consacrés à la mise en place d’actions de solidarité de ce type.

Les services de l’automobile (garages, concessionnaires…) ont été pionniers, avec des réflexions paritaires menées courant 2015 et des actions engagées début 2016. À raison de 400 000 salariés et d’une cotisation de 2 euros mensuels par salarié, cofinancés à parts égales entre salarié et employeur, l’enveloppe en année pleine avoisine les 10 millions d’euros. La collecte a débuté mi-2015. Priorité a été donnée à la prévention des accidents du travail liés aux métiers de la mécanique, mais aussi à la diminution des risques auditifs. Des diagnostics sur les conditions de travail sont ainsi proposés aux entreprises de taille modeste. De quoi les pousser à engager des travaux pour limiter le niveau sonore dans leurs ateliers.

Mise en place lourde

Avant l’ANI de 2013 et l’institution de ces obligations, quelques branches avaient pris les devants, notamment lorsqu’elles avaient désigné le groupe AG2R La Mondiale comme assureur. Ce groupe paritaire, bien implanté dans l’artisanat et le commerce, avait engagé des programmes de prévention bien avant ses concurrents. Une façon pour lui d’aider à réduire les coûts des régimes de santé et prévoyance. Et un levier puissant de différenciation et de fidélisation de ses clients, partenaires sociaux et entreprises adhérentes.

Ainsi, dans la branche de la boulangerie, des campagnes de dépistage – contre les caries liées à la manipulation quotidienne du sucre glace, et contre l’asthme imputable aux poussières de farine – sont organisées depuis plusieurs années. Concrètement, un cabinet extérieur contacte les salariés pour leur proposer un dépistage et des soins si nécessaire. Également assurés auprès d’AG2R La Mondiale, les coiffeurs ont engagé un projet afin de réduire les TMS grâce à des assises plus ergonomiques pour le client comme pour le professionnel. Par ailleurs, la branche et AG2R La Mondiale se concertent avec le groupe L’Oréal en vue de mettre sur pied un écolabel pour des produits moins nocifs.

« L’employeur a des obligations en matière de santé et de sécurité des salariés, mais il n’a pas forcément les moyens de s’en acquitter, notamment dans les plus petites entreprises. La branche dispose désormais de moyens pour organiser sensibilisation et prévention avec la mise en place de politiques ad hoc à destination des entreprises. Elle a vocation à entreprendre ce qui ne peut être réalisé au niveau des plus petites entreprises et à faciliter ainsi la mise en œuvre d’actions de prévention par les employeurs au profit de leurs salariés. Et ce, quelle que soit la taille des entreprises », souligne Jérôme Bonizec, directeur général d’Adéis, un groupement paritaire de prévoyance exclusivement dédié à la protection sociale des branches professionnelles.

Reste que la mise en place de programmes de prévention des risques de santé et prévoyance est poussive. Même les branches ayant signé un accord frais de santé dans le sillage de l’ANI sont encore rares à avoir déterminé précisément le contenu de leurs programmes. Plus de dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la généralisation de la complémentaire santé. « Celles que nous accompagnons commencent par mener une réflexion sur l’ensemble des risques qui les concernent, et définissent ensuite des risques prioritaires en fonction des budgets disponibles », explique Olivier Ferrère, directeur des partenariats chez LPSB Conseil, un cabinet d’audit et de formation dédié aux partenaires sociaux.

Un simple service d’écoute

Pour certains métiers manuels, les maladies professionnelles sont connues, par exemple celles liées à la manipulation de produits. Pour la majorité des branches en revanche, l’identification de problèmes de santé spécifiques à l’activité n’est pas évidente. En dehors des RPS et des TMS, il est difficile de définir un champ de prévention. Récemment, dans deux branches, la prévention en matière de santé et de prévoyance a consisté à mettre en œuvre des actions de sécurité routière. « Il s’agit du froid (aéraulique, thermique et frigorifique) d’une part et de la branche des domaines médico-techniques d’autre part. Le risque routier a été identifié comme un axe prioritaire d’action. Une réduction des accidents de trajet a un effet majeur sur la sinistralité en santé et surtout en prévoyance », explique Olivier Ferrère.

La prévention santé, c’est aussi parfois un simple service d’écoute et d’assistance – auquel la majorité des salariés des grandes entreprises ont accès, mais qu’ils utilisent très peu. Les organisations patronales de la branche des employés et gardiens d’immeuble sont ceux qui connaissent le mieux les risques de la population salariée. Ces salariés travaillent seuls, sont isolés et sans interlocuteur en cas de difficulté. « La mise à disposition d’un service d’écoute, d’accompagnement social et de soutien psychologique pour aider à la résolution des problèmes s’est imposée », explique Jérôme Bonizec. La branche a mis en place Gardhéa, qui est en fait le copier-coller de la prestation Humania, un service proposé depuis 2014 aux salariés d’Auchan. « Une brochure a été envoyée avec les cartes de tiers payant fin 2016. Sur les deux premiers mois de l’année, il y a eu 172 appels pour une population de l’ordre de 30 000 salariés », explique Jérôme Bonizec. Pour le spécialiste, c’est la preuve que ce service répond à un besoin réel.

Auteur

  • Séverine Charon