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Forfaits jours et astreintes nuisent-ils à la santé des salariés ?

Idées | Débat | publié le : 02.05.2017 |

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Forfaits jours et astreintes nuisent-ils à la santé des salariés ?

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La CFE-CGC et la CGT ont déposé en avril un recours commun auprès du Conseil de l’Europe contre les dispositions de la loi Travail sur les forfaits jours et les astreintes. En cause selon elles : des durées de travail déraisonnables. Et en corollaire, des effets délétères.

Marine Keyrer Secrétaire nationale de la CFE-CGC en charge de la santé au travail.

Pour la CFE-CGC, la législation sur les cadres en forfait jours est inacceptable, car elle nuit gravement à la santé physique et mentale de ces salariés. Avec les amplitudes légales maximales, un cadre peut être amené à travailler jusqu’à 78 heures/semaine. À ce temps de travail s’ajoute le « temps gris » de télétravail : un cadre a tendance à rester connecté à ses outils informatiques. Avec un fort risque de développer une addiction pathologique aux nouvelles technologies et une forme de « fomo » (fear of missing out), la peur de passer à côté d’une information capitale ! Ce cumul, accentué par la brièveté du temps de repos hebdomadaire et la non-prise potentielle des congés peut induire un état de stress chronique et la sécrétion de cortisol. D’où un risque accru d’accidents. Selon une étude d’août 2016 publiée dans la revue médicale The Lancet, travailler plus de 55 heures/semaine augmente de 33 % le risque d’accident vasculaire cérébral et de 13 % celui de développer une maladie coronarienne, par rapport à un travail de 35 à 40 heures. Mais la majorité des symptômes sont plus cachés (pathologie digestive, cutanée, insomnie…), cognitifs (trouble de la mémoire, irritabilité…) et psychologiques (anxiété, dépression). Pour « tenir le coup », un cadre peut développer des conduites addictives (alcool, tranquillisants, drogue) et rapidement basculer en épuisement professionnel avec un risque de décrochage brutal accidentel. Un tableau déjà sombre, encore noirci par les astreintes. Pour la CFE-CGC, forfaits jours et astreintes sont par nature incompatibles, car ces dernières limitent l’autonomie de gestion du temps de travail et du temps de repos, crucial pour l’équilibre personnel. Ces situations pathologiques, nous les recensons au quotidien dans nos sections syndicales. Pour les éviter, la CFE-CGC propose de mesurer la charge de travail (mentale et cognitive), de limiter le temps de travail à 11 heures/jour, de rendre effectifs le droit à la déconnexion et une réelle articulation entre vie personnelle et vie professionnelle. Nous appelons à une grande vigilance sur le recours aux astreintes, qui doit être parfaitement bordé dans les accords collectifs.

Jean-Michel Sterdyniak Secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST).

Début avril, la CGT et la CFE-CGC ont saisi le Conseil de l’Europe contre les dispositifs sur le forfait jours et les astreintes prévues dans la loi Travail. Les deux organisations notent que la loi Travail expose les salariés à des durées de travail déraisonnables et prive également ceux assujettis à des astreintes d’un véritable temps de repos. Les chiffres sont là : près de la moitié des cadres au forfait jours dépassent 50 heures de travail par semaine. Les conséquences pour la santé sont évidentes et constatées par les médecins et les infirmières du travail : fatigue, stress, démotivation, difficultés à concilier travail et vie familiale, souffrance et même burn-out ; autant de troubles qui ont explosé ces dernières années selon un diagnostic partagé par les partenaires sociaux et les institutions de prévention en santé au travail. Dernièrement sur les astreintes, dans deux entreprises dont j’assure le suivi, des accidents de la route se sont produits, liés de l’aveu même des employeurs à des manques de sommeil dus aux astreintes prolongées. Curieuse situation qui voit le patronat affirmer sa préoccupation devant l’explosion des fameux « RPS » (en fait des pathologies liées aux organisations du travail), dire vouloir en trouver des remèdes, mais qui dans le même temps, met en place des organisations du travail pathogènes. Les ressorts en sont connus. Ils reposent sur l’individualisation des contrats et des relations de travail, isolent les salariés, rompent les collectifs de travail. Dans le cas du forfait jours les salariés sont amenés à s’autoexploiter, à se surcharger de travail, avec toutes les conséquences néfastes pour la santé que l’on peut constater. C’est ainsi que les médecins du travail sont témoins de l’individualisation et de la médicalisation de problèmes. Bien sûr, il n’est pas question de nier que le système du forfait jours puisse être intéressant dans certaines situations ou même qu’il est souhaité par certains cadres. Cependant, les dérives existent. La principale raison est que dans la mise en place de ces organisations, la problématique de la santé au travail n’est ni intégrée par les DRH, ni même envisagée. Prétendre lutter contre les RPS devient alors un leurre.

Alexandre Saubot Vice-président du Medef en charge du pôle social.

Le forfait jours est un mode d’organisation du temps de travail qui répond pleinement à l’évolution de la vie professionnelle, pour les salariés concernés comme pour les employeurs. Libérés du cadre étroit d’horaires de travail, les salariés peuvent organiser leur temps par journée ou par demi-journée. Le calcul en heures de travail est abandonné pour comptabiliser les journées de travail accomplies, indépendamment de la durée de celle-ci. Cela permet aux salariés de mieux articuler vie privée et vie professionnelle et de jouir d’une autonomie valorisante dans l’exécution de leur travail. Pour les employeurs, ce mode d’organisation est adapté à certaines missions en plein développement, travail par projets ou expertise. Ce mode de décompte du temps de travail qui donne plus de souplesse est parfaitement compatible avec la santé des salariés, d’autant qu’il est précisément encadré. Le forfait jours n’impose nullement au salarié d’accomplir d’interminables journées et de consacrer tous ses jours de travail à son activité professionnelle, sous la seule réserve d’observer le temps de repos minimal de 11 heures quotidiennes consécutives prescrit par la loi. Le Code du travail comporte, depuis l’adoption de la loi Travail du 8 août 2016, de nombreuses et très sérieuses garanties contre d’éventuelles dérives dans l’usage du forfait jours qui pourraient nuire à la santé du salarié. Ainsi, l’employeur doit-il s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition de son travail dans le temps. Il est essentiel qu’employeur et salarié échangent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise. Par ailleurs, l’accord collectif nécessaire autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doit prévoir les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion. Dans ces conditions, le salarié autonome dans l’organisation de son emploi du temps professionnel peut aménager au mieux vie au travail et vie privée.

Ce qu’il faut retenir

// Le forfait jours. Instauré en 2000 par la loi Aubry II, le forfait annuel en jours permet de décompter le temps de travail du salarié en journées réparties sur toute une année, plutôt qu’en heures.

// La loi Travaildu 8 août 2016 donne la possibilité de travailler jusqu’à 13 heures par jour et 78 heures hebdomadaires pour les salariés au forfait jours selon les calculs de la CFE-CGC et de la CGT. La loi prescrit par ailleurs un temps de repos de 11 heures par jour et de 35 heures consécutives par semaine.

// Le droit à la déconnexion du salarié doit être prévu dans l’accord collectif qui met en œuvre le forfait jours (pour les entreprises de plus de 50 salariés).

// Suivi obligatoire de la charge de travail du salarié sous forfait jours. La loi Travail impose à l’employeur de s’assurer « régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ». À défaut, le salarié peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires.

En chiffres

11

c’est le nombre d’heures de repos consécutives prescrit par la loi.

218

c’est le maximum de jours travaillés par an dans le cadre du forfait jours. Les accords collectifs peuvent dépasser ce nombre sans aller au-delà de 235 jours.

47 %

des cadres relèvent du forfait annuel en jours.

Source : DARES