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Le CPF au milieu du gué

Dossier | publié le : 02.05.2017 | Laurence Estival, Dominique Perez

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Le CPF au milieu du gué

Crédit photo Laurence Estival, Dominique Perez

Il a débuté un peu maladroitement en 2015, accompagné de questionnements, pour remplacer le DIF auquel salariés et entreprises étaient habitués. Présenté comme simple d’utilisation, le CPF est pourtant vécu comme une « usine à gaz » par tout le monde. Tour d’horizon.

1er janvier 2015. Comme le stipulait la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, le CPF (compte personnel de formation) remplace le DIF (droit individuel à la formation). Mais pourquoi donc ce nouveau dispositif ? Il s’agissait de donner à tous les salariés et demandeurs d’emploi une plus grande liberté dans le choix de leur formation pour leur permettre d’évoluer professionnellement. Chaque année, toute personne active bénéficie ainsi d’un crédit de 24 heures de formation chaque année, cumulables mais plafonnées à 150 heures. Elle peut l’utiliser à sa guise hors temps de travail. En revanche, elle doit demander l’accord de son employeur pour se former pendant le temps de travail. De plus, le nombre d’heures inscrites à son compteur suit l’individu tout au long de sa vie même en cas de départ de l’entreprise. Un site géré par la Caisse des dépôts et de consignations, moncompteformation.com permet de créer un espace personnel et de voir les heures dont on peut disposer. Et pour gonfler sa cagnotte, les heures de DIF « non consommées » peuvent y être ajoutées jusqu’en 2020.

Usine à gaz

Sur le papier, tout semble simple. La réalité l’a été beaucoup moins et reste encore compliquée. En cause principalement, le choix des formations éligibles. Toutes doivent être obligatoirement certifiantes et figurer sur des listes déterminées par les partenaires sociaux aux niveaux national, régional et dans les branches. Si les formations doivent être inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), cette condition est loin d’être suffisante, a découvert Marc Poncin, directeur du service formation continue de l’université de Strasbourg. « Pour quelle raison nos licences et masters, qui sont des diplômes supervisés par l’État, doivent-ils être réexaminés ? Les partenaires sociaux reconnaissent eux-mêmes avoir été débordés par l’ampleur de la tâche à accomplir. Et puis, l’époque où l’université proposait des cursus ne correspondant pas à la demande du marché du travail est révolue. » De plus, les critères retenus pour l’élaboration de ces listes ne sont pas toujours explicites… « Chaque branche a sa propre politique. Ce qui peut être éligible en Aquitaine ne le sera pas forcément en Alsace. Pour avoir la chance de voir inscrit un DU (diplôme d’université), créé pour répondre à une demande précise et urgente en phase avec les attentes des employeurs, il faut attendre qu’il ait trois ans d’existence », poursuit le responsable.

Comptes trop justes

Résultat, salariés et demandeurs d’emploi ont bien du mal à se repérer… « Nous rencontrons des candidats qui ont un projet mais n’arrivent pas à le faire prendre en charge, car le programme visé ne figure pas sur les listes. Les gens ont découvert qu’ils avaient un compte mais que les heures accumulées ne leur permettaient pas de tout acheter », observe Alain Gonzalez, président de la FCU (Formation continue universitaire). En mettant, par ailleurs, l’accent sur les formations certifiantes, les cursus longs d’une durée de 300 à 400 heures ont été privilégiés alors que les individus ont au mieux un droit à retourner sur les bancs de l’école égal à 150 heures. Certes, certains organismes se sont adaptés en découpant leurs diplômes en blocs de compétences cumulables au cours d’un parcours de cinq ans (voir article page 46) mais cela ne suffit pas toujours à convaincre les candidats de s’engager dans de véritables tunnels s’ils souhaitent obtenir un diplôme.

Pour favoriser la mise en route du dispositif, « les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) ont joué le jeu en ouvrant largement les vannes. Ils ont abondé les comptes de nombreux candidats afin de leur permettre de s’engager dans ces programmes longs », reconnaît Gilles Pouligny, directeur général adjoint en charge de la formation continue et des partenariats du Groupe IGS. Mais ces abondements sont déjà en train de se réduire. « Les demandeurs d’emploi ont quant à eux été incités par leurs conseillers à mobiliser leur CPF », ajoute Christophe Parmentier, directeur de Clava, un organisme qui conseille les entreprises sur leur politique formation. Mais là aussi les cordons de la bourse se resserrent. Car si en temps de démarrage, les financements mutualisés pour le CPF suffisent – chaque entreprise verse 0,2 % de sa masse salariale pour alimenter ce dispositif –, il n’en va plus de même en régime de croisière. D’autant que le CPF est désormais plus largement utilisable. En particulier pour des formations linguistiques, en bureautique ou en sécurité – à condition qu’elles débouchent sur une certification – ou pour bénéficier d’un bilan de compétences, pour se faire accompagner dans la création de son entreprise ou pour passer son permis de conduire.

Bilan en demi-teinte

Ces incitations et assouplissements ne sont pas étrangers à la montée en puissance des demandes de CPF financés. Au 15 mars, 835 730 dossiers ont été validés et quelque 4 millions de salariés ont ouvert un compte. « On est quand même loin de ce à quoi on aurait pu s’attendre si on compare ce chiffre aux 30 millions de personnes potentiellement concernées », met en avant Jean Wemaëre, président de la FFP (Fédération de la formation professionnelle). La répartition entre les bénéficiaires fait elle aussi grincer des dents… Les demandeurs d’emploi avec 562 967 dossiers validés se taillent la part du lion. « Pour alléger l’assurance chômage, la décision a été prise de transférer vers les chômeurs des fonds autrefois consacrés à la formation des salariés », observe Marc Dennery, dirigeant de C-Campus, société de conseil et de formation.

Salariés et entreprises peu mobilisés

Et si cette orientation correspond bien au message porté par nombre de politiques désireux de réorienter la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin, Jean Wemaëre regrette que les salariés aient été « les parents pauvres du dispositif » avec 272 755 dossiers financés seulement, à l’heure même où les entreprises de plus de 300 salariés ne sont plus tenues de verser que 1 % de la masse salariale à la formation…

L’autre objectif de la réforme, qui devait permettre aux individus de prendre en main leur devenir professionnel n’est pas vraiment atteint. « Nous n’avons pas assisté à un raz-de-marée de demandes d’informations sur le CPF de la part des salariés qui ne semblaient pas connaître le plan d’action », témoigne Corinne Bohbot, directrice du développement RH de Conforama. La transition du DIF au CPF est loin d’être achevée dans les esprits. Les salariés avaient en effet pris l’habitude de choisir des stages majoritairement courts, dans une démarche négociée avec l’employeur. Or, ces stages dont ceux portant sur les « soft skills », ces compétences comportementales qui jouent un rôle grandissant dans la recherche d’un emploi ou l’évolution de carrière, sont passés à la trappe… à moins que l’employeur accepte de les financer sur ses propres deniers.

« Les salariés sont certes restés en retrait mais les entreprises ne se sont pas non plus beaucoup mobilisées, faute de clarté sur les mesures mais aussi parce qu’elles se sont concentrées sur leurs besoins immédiats. La fin de l’obligation légale a globalement réduit les budgets consacrés à la formation et a diminué d’autant les réponses favorables données à des salariés qui étaient principalement destinées à consommer l’enveloppe. Certaines entreprises estiment même qu’avec le CPF, veiller à l’employabilité de leurs collaborateurs ne fait plus partie de leurs missions », souligne Christophe Parmentier. « Or, pour que le dispositif fonctionne, la personne doit être accompagnée par un organisme ou son employeur, qui prend le temps de l’informer sur ses droits », mentionne Marc Vignes, directeur de l’organisation, de la qualité et des systèmes d’information d’Opcalia, une OPCA interbranches. Les DRH qui mènent des campagnes de communication sans précédent pour inciter les salariés à utiliser leurs heures de CPF, l’ont d’ailleurs bien compris.

Choc de simplification

« Nous sommes à une étape charnière, estime Olivier Faron, administrateur général du Cnam. Pour assurer le succès du CPF, il faut que les entreprises s’en saisissent et en fassent un outil de leur politique RH. Elles ont la possibilité de monter des plans de cofinancement de la formation avec leurs collaborateurs, dans lesquels chacun y gagnera. En abondant les fonds thésaurisés par les salariés, qui en échange mobilisent leur CPF, elles peuvent ainsi les motiver, favoriser leur employabilité et sécuriser leur parcours professionnel. »

Alors que les candidats à l’élection présidentielle dégainent leurs propositions en matière de formation professionnelle – création d’un capital formation pour chacun, issu de la fusion du CPF et du Cif pour François Fillon, rapprochement entre la formation initiale et la formation continue pour lancer un droit universel à la formation tout au long de la vie pour Benoît Hamon, chèque formation pour tous pour Emmanuel Macron – chacun retient son souffle, craignant une énième réforme alors qu’il est encore trop tôt pour enterrer celle de 2014. « Nous avons davantage besoin d’un choc de simplification que d’une nouvelle révolution », conclut Marc Poncin. Sera-t-il entendu ?

Mathilde Bourdat, manager de l’offre de formation chez Cegos
« Le CPF est un non-événement »

Quel jugement portez-vous sur le CPF ?

Le démarrage a été long car le dispositif est complexe. Il y a eu aussi un important effet d’opportunité. En rendant éligibles des formations débouchant sur des certifications, on a certes voulu reconnaître les efforts des salariés mais on a aussi encouragé des individus à passer des certifications dont ils n’avaient peut-être pas besoin. Et on a perverti l’idée de formation qui ne se résume pas à avoir des certifications.

C’est-à-dire ?

La formation est en train de changer et pas seulement à cause du CPF. Les stages ne sont qu’une façon d’apprendre. Aujourd’hui, les individus sont confrontés à des problèmes qu’ils doivent résoudre sans attendre la prochaine session du programme qu’ils ont repéré. Les ressources en libre accès sur Internet explosent, les Moocs offrent eux aussi de nouvelles opportunités. Et puis on apprend également en faisant avec les autres. Ce qui va faire la différence sur le marché du travail, ce n’est plus la capacité individuelle à être un bon élève mais les dispositions de chacun à apprendre tout au long de sa vie selon différentes méthodes. Or, en France, on a tendance à croire que l’obtention d’un diplôme permet de régler tous les problèmes. Alors que la situation n’est pas la même pour les cadres ou pour des publics en difficulté.

Comment sortir de cette vision selon vous trop étroite ?

Le CPF est pour moi un non-événement. Les employeurs, avec ou sans le CPF, ont une obligation de former leurs salariés, attestée par la jurisprudence. Mais d’un autre côté, les salariés doivent eux aussi se prendre en charge. Pourquoi par exemple ne pas accorder des exonérations fiscales aux individus qui décideraient de financer eux-mêmes des formations correspondant à leurs besoins ? L’Allemagne s’est par exemple engagée dans cette voie.

D. P.

Auteur

  • Laurence Estival, Dominique Perez