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“Un contournement du droit du travail”

À la une | publié le : 02.05.2017 | Lucie Tanneau

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“Un contournement du droit du travail”

Crédit photo Lucie Tanneau

Comment est apparue la RSE dans le droit du travail français ?

La RSE est apparue à la fin des années 1990 à travers l’explosion des codes de conduite, face à un besoin de moralisation des affaires. En droit, la notion émerge avec l’affaire Nike aux États-Unis en 2002. L’entreprise indiquait dans un rapport RSE publié sur son site Web ne pas avoir recours au travail des enfants. Une association de consommateurs a prouvé le contraire. L’entreprise a été condamnée pour publicité mensongère par la cour suprême de Californie.

À partir de là, les entreprises ont pris conscience des dangers de la communication sur la RSE et ont adopté des codes de conduite pour se prémunir des risques de contentieux. En interne, les salariés ont pu être sanctionnés sur la base de violation de ces codes. C’est là qu’intervient le droit du travail.

Droit que la RSE contourne ?

À mon avis, oui. À deux niveaux. Au niveau individuel d’abord, car elle peut être un moyen pour les entreprises d’impo—ser des obligations supplémentaires aux employés en matière de comportement. Par exemple, certains codes ont pu prévoir qu’un salarié doit signaler si son conjoint travaille pour la concurrence, ou que l’utilisation du téléphone portable professionnel pour des raisons privées peut entraîner une retenue sur salaire. C’est illégal ! Un autre code prévoyait que « tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit », contrevenant clairement aux principes des droits et libertés individuels garantis par le Code du travail (art. 1121-1).

Au niveau collectif ensuite, les instruments de RSE peuvent être une manière de contourner les syndicats par des accords conclus avec le CE ou les salariés par voie de référendum et non plus par le dialogue social.

Vous soulevez les aspects négatifs, la RSE amène-t-elle aussi des évolutions positives du droit du travail ?

En France, pas vraiment. La première définition de la RSE concernait les démarches au-delà du droit applicable. Dans les faits, elle va rarement au-delà, mais permet à une entreprise qui pollue de s’engager sur l’environnemental, à une entreprise d’informatique de s’engager sur la protection des données. La RSE peut amener des effets bénéfiques car les entreprises vont appliquer la réglementation et communiquer sur leurs résultats. Mais elles vont choisir les thèmes sur lesquels elles s’engagent. C’est du self-service normatif. Au niveau transnational en revanche, cela peut amener des avancées quand les multinationales exportent de bonnes pratiques comme un âge minimal pour travailler sur leurs chaînes de production ou l’obligation de porter des équipements de chantier. Mais attention aux annonces, l’affaire Rana Plaza* a démontré le décalage entre l’affichage et les pratiques.

La RSE relève-t-elle du droit ?

Beaucoup de juristes clament que la RSE n’est que de la « soft law » et donc de la communication, sans effets en droit. C’est faux : des démarches ou des instruments de RSE comme les codes de conduite entraînent des contentieux. Des entreprises ont été condamnées en droit de la consommation pour publicité mensongère parce que leur communication les engage. En droit social, il y a eu assez peu d’effets. On peut citer une affaire chez Hewlett Packard, qui avait supprimé une prime versée depuis des années. Le juge a estimé qu’elle avait nature d’usage et devait être maintenue ou dénoncée. Il y a aussi des contestations de licenciement pour faute, basées sur une violation du code de conduite. Les juges doivent alors interpréter la nature juridique de ces codes.

* Le 24 avril 2013, le Rana Plaza, un immeuble abritant plusieurs ateliers de confection situé à Savar, faubourg ouest de Dacca, la capitale du Bangladesh, s’est effondré. La catastrophe a provoqué la mort d’environ 1 130 personnes, des ouvrières travaillant pour diverses marques internationales de vêtements.

Auteur

  • Lucie Tanneau