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Des promesses non suivies d’effets

À la une | publié le : 02.05.2017 | Nicolas Lagrange

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Des promesses non suivies d’effets

Crédit photo Nicolas Lagrange

Entre les proclamations alléchantes des entreprises sur leur responsabilité sociétale et leurs réalisations concrètes, les écarts sont parfois considérables. Y compris sur le plan social en France. Illustrations et explications.

« Une entreprise ouverte à tous et fière de ses différences (…), pour laquelle la différence est source d’innovation. » La « promesse employeur » d’AccorHotels, ainsi résumée sur son site Internet a été épinglée à la mi-mars par la ministre du Travail, Myriam El Khomri. En cause, le traitement discriminatoire des CV de candidats comportant des noms à consonance maghrébine, constaté à l’issue d’une vaste opération de testing. Autre groupe montré du doigt, Courtepaille, lequel affirme pourtant sur son site : « Chacun est différent et unique. Nous cultivons cette différence par l’application du principe de non-discrimination sous toutes ses formes et dans toutes les étapes de gestion des ressources humaines que sont notamment l’embauche, la formation (…). » Plus globalement, selon le Défenseur des droits, les discriminations à l’embauche restent particulièrement inquiétantes dans l’Hexagone.

Les écarts entre les engagements et les résultats ne signifient pas pour autant que les entreprises concernées ne font rien, ni qu’elles ne sont pas vertueuses dans d’autres domaines. À l’instar du groupe La Poste, engagé dans un grand nombre de chantiers RSE, qui a reçu en octobre dernier une lettre ouverte de huit cabinets agréés d’experts en santé au travail, dénonçant « la dégradation des conditions de travail et le mépris du dialogue social », ainsi que « les entraves opposées à [leur] travail ». « Depuis plusieurs années, les grandes entreprises s’impliquent de plus en plus nettement dans des démarches de responsabilité sociétale, assure Béatrice Héraud, rédactrice en chef du pôle RSE de Novethic, centre de recherche et média de l’économie responsable. Mais lorsque l’une d’elles met en avant sa politique en la matière et se fait prendre, le retour de bâton peut être très fort. Or, une mise en défaut n’a rien d’improbable, tant les sujets relatifs à la RSE sont nombreux. »

Sur la voie de l’amélioration.

Dès lors, comment distinguer les sociétés les plus vertueuses, qui abordent les multiples dimensions de la RSE ? Il serait hasardeux de se fier aux classements tels que Great Place to Work ou Top Employers, compte tenu des biais qu’ils présentent. « Une perception favorable d’une marque par les consommateurs n’est pas non plus le signe automatique d’une bonne performance RSE, car les stratégies publicitaires peuvent modifier le résultat, avertit Martin Richer, fondateur du cabinet Management & RSE. Certaines entreprises parlent beaucoup de RSE sans que les actions suivent – démarche susceptible d’être mise à nu rapidement, via les réseaux sociaux et les sites de notation comme Glassdoor –, tandis que d’autres défrichent le terrain dans la discrétion. »

Certes, les progrès sont incontestables. Selon une étude internationale d’EcoVadis, rendue publique le mois dernier, les entreprises françaises se classent en quatrième position pour leurs politiques de RSE (en hausse de trois places), derrière le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark, mais devant les autres pays de l’OCDE et les Brics. Les syndicats français reconnaissent d’ailleurs des améliorations, notamment dans la prise en compte des parties prenantes externes, comme les ONG ou les associations, mais déplorent la persistance des inégalités homme-femme ou les relations dégradées à l’égard des sous-traitants. « Il est facile de se dire responsable quand on a externalisé la plupart des risques, notamment par un recours important aux intérimaires, aux salariés détachés ou encore aux travailleurs indépendants », considère Marylise Léon, secrétaire nationale CFDT en charge de la RSE. Pierre-Yves Chanu, vice-président (CGT) de la plate-forme RSE, pointe de son côté « les secteurs de la grande distribution, du BTP, de l’automobile ou de l’informatique, où les grands donneurs d’ordre pressurent souvent leurs sous-traitants, en dépit d’un rapport RSE très étoffé ». Un rapport en réalité souvent partiel, selon l’étude ad hoc publiée par le groupe Alpha en mai 2014 : moins de la moitié des entreprises du CAC 40 quantifient le recours aux intérimaires et moins de 20 % le recours à la sous-traitance.

Beaucoup reste à faire.

Sur d’autres thématiques plus émergentes, comme l’éthique, « les entreprises veulent progresser, relève Géraldine Fort, déléguée générale de l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises). Nous avons ainsi monté un groupe de travail d’experts sur le sujet pour créer une culture d’entreprise intégrant l’éthique, pour apporter des clés de compréhension à nos membres. Ce sujet contribue notamment à attirer et à fidéliser les talents ». Les nombreux cas de licenciement de lanceurs d’alerte démontrent que beaucoup reste à faire… même si la loi sur le devoir de vigilance devrait contribuer à changer la donne. « Les nombreuses implantations de banques françaises dans des paradis fiscaux, le plus souvent légales au demeurant, font également l’objet d’une réprobation croissante, selon Pierre-Yves Chanu. La CGT porte ce thème avec force depuis plusieurs années. » Mais dans les entreprises, certains syndicalistes hésitent à dénoncer ce type de pratique par crainte de répercussions économiques. Il y a pourtant de quoi faire. Stages abusifs, discriminations syndicales, actions inexistantes contre les RPS (risques psychosociaux), les entorses à la RSE sont multiples.

Comment expliquer ces écarts, ce gouffre parfois, entre les préconisations et les réalisations ? Certes, il existe des employeurs délibérément indélicats. Mais dans la plupart des cas, l’entreprise souhaite agir… en y mettant plus ou moins les moyens. « Le premier frein est financier, analyse Martin Richer. Certains dirigeants ne voient que le coût de la RSE, d’où la nécessité de calculer son ROI, pour convaincre le premier opposant naturel au comité de direction : le directeur financier. D’autres estiment qu’une politique RSE ne peut être fructueuse qu’à long terme, ce qui serait incompatible avec la fréquence des publications financières. Dès lors, il est essentiel d’évaluer le coût d’une absence de plan d’actions et de prendre des initiatives concrètes. »

Des chantiers ambitieux.

Autre écueil, quand la responsabilité sociétale s’incarne à travers un projet-phare non relié à la stratégie, constituant la « danseuse du patron ». Sans modifier en profondeur les pratiques en vigueur. Idem lorsque la RSE est marketée sous forme de chartes et/ou de valeurs, réduite à un service spécifique (parfois éloigné des RH) et manquant de relais pour être élaborée et déployée sur le terrain. En outre, « la politique RSE est encore trop souvent pensée comme une liste de mises en conformité juridique, dont l’objectif principal est d’abord d’échapper aux contentieux, assure Marylise Léon. Alors qu’il s’agit surtout de donner du sens aux obligations légales et d’aller au-delà, en matière de qualité de vie au travail notamment, pour concilier performances sociale, économique et environnementale. »

« Le plus difficile est de déterminer quelles formes peut prendre la responsabilité sociétale pour chaque métier et chaque service, afin de revoir les tâches de chacun à la lumière des critères RSE », souligne Béatrice Héraud. « Inutile de faire de la RSE un projet en soi, qui viendrait s’ajouter aux autres, abonde Martin Richer. Mieux vaut mettre plus de RSE dans des projets qui existent déjà… comme à l’occasion d’un déménagement. » Une démarche participative, qui implique le management de proximité. Et suppose, de ce fait, des formations pour animer le collectif et atteindre la performance différemment, des moyens pour favoriser la prise d’initiatives, et enfin l’introduction de critères RSE dans l’évaluation des managers. Autant de chantiers ambitieux qui restent, pour l’essentiel, à conduire.

Auteur

  • Nicolas Lagrange