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Idées

Temps de travail, de quoi parlons-nous ?

Idées | Juridique | publié le : 03.04.2017 | Pascal Lokiec

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Temps de travail, de quoi parlons-nous ?

Crédit photo Pascal Lokiec

Temps de travail effectif, temps de trajet, temps d’astreinte, temps d’habillage etc. Souvent occultée par le débat sur la réduction du temps de travail, la définition des temps du travail, bien que d’apparence plus technique, constitue un enjeu majeur. Un enjeu étroitement lié à la réduction du temps de travail puisque de la définition du temps dépend le décompte des heures qui permettent d’atteindre, ou non, les 35 heures. La notion de temps de travail peut être approchée de deux manières, l’une fondée sur le travail productif (est seul comptabilisé le temps pendant lequel le salarié apporte à l’employeur un travail productif), l’autre sur le travail subordonné (celui pendant lequel le salarié est sous la subordination de son employeur, ce qui peut inclure des temps non productifs). Avec des enjeux considérables qui se situent à la fois sur le terrain de la rémunération et sur celui de la santé et de la sécurité des salariés. Des terrains qui, du reste, ne sont pas nécessairement traités de façon uniforme : tel temps pourra être considéré comme du temps de travail pour le calcul des durées maximales et des repos minimaux et ne pas l’être pour fixer la rémunération du salarié.

Au carrefour du droit français et du droit européen

Cette différence tient en grande partie au fait que le droit du temps de travail est au carrefour du droit français et du droit de l’Union européenne, ce dernier régissant le temps de travail sous son volet « santé et sécurité ». Ainsi, lorsque, par exemple, la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) décide que le trajet des itinérants est un temps de travail, il ne faut pas en conclure que l’employeur français est automatiquement tenu de rémunérer le salarié comme s’il effectuait une heure de travail normale (la directive européenne ne connaît pas la durée légale du travail) mais qu’il ne doit pas l’occuper plus de 48 heures hebdomadaires, trajets inclus (CJUE, 10 sept. 2015, aff. C-266/14). La remarque vaut pareillement pour les heures d’équivalence qui doivent être comptabilisées pour apprécier si les repos minimaux et durées maximales sont bien respectés (CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04) mais peuvent être rémunérées différemment des heures de travail effectif. Cet espace laissé par le droit de l’Union européenne pour appréhender la durée du travail de façon autonome sous l’angle de la rémunération, fait que le droit français accueille une diversité de temps du travail là où le droit de l’Union européenne ne connaît que le couple temps de travail/temps de repos. Ces temps intermédiaires (temps d’astreinte ; de trajet ; d’habillage et déshabillage, etc.) font pour la plupart l’objet d’un traitement spécifique sous la forme de contreparties, en argent ou en repos. La notion cardinale du droit du temps de travail est celle de temps de travail effectif, puisqu’elle sert à la mise en œuvre de la durée légale – ou conventionnelle – de travail. En définissant ce temps comme celui « pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » (art. L 3121-1 C. trav.), le droit français a clairement privilégié l’approche du temps fondée sur la subordination (même si le vocable de « subordination » n’est pas ici utilisé). Mais d’autres temps gravitent autour du temps de travail effectif, avec des difficultés de frontières qui sont de fréquentes sources de contentieux.

Certains se définissent uniquement par opposition au temps de travail effectif, comme les temps de pause ou de restauration, qui ne sont pas du temps de travail effectif sauf si le salarié est resté à la disposition de l’employeur (interdiction de s’éloigner du poste de travail, par exemple).

D’autres sont devenus une qualification à part entière, avec pour certains une définition propre, à l’instar de l’astreinte, période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. Excepté le temps d’intervention, considéré comme du temps de travail effectif, les astreintes font l’objet d’un traitement spécifique (sous forme de contrepartie) mais la requalification en temps de travail effectif n’est pas rare lorsque, par exemple, le salarié ne pouvait pas vaquer à ses occupations personnelles (il devait se tenir en permanence devant un écran de surveillance).

Pour ce qui est du respect des normes européennes, l’astreinte (mais pas l’intervention) peut être effectuée durant le repos quotidien ou hebdomadaire.

Évaluer une contrepartie…

Le droit français connaît aussi le temps de trajet, qui n’est pas un temps de travail effectif (sauf pour le trajet entre deux lieux de travail) mais doit, lorsque le trajet dépasse le temps normal de trajet entre domicile et lieu habituel de travail, faire l’objet d’une contrepartie.

De la même manière, les temps d’habillage et de déshabillage n’ont pas à être comptabilisés comme du temps de travail effectif mais font l’objet d’une contrepartie en cas de port d’une tenue de travail obligatoire et que l’habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l’entreprise ou sur le lieu de travail.

Des conditions cumulatives, décide la Cour de cassation ce qui veut dire que si le salarié peut ou doit mettre son vêtement à son domicile, il ne bénéficie pas de la contrepartie (Cass. ass. plén., 18 nov. 2011, n° 10-16.491).

… ou un système de forfait

Restent les heures d’équivalence, originalité française datant de 1936 qui vise à prendre acte de ce que certaines activités comportent par nature des périodes d’inaction. Un système de forfait est dès lors adopté dans les secteurs concernés, lequel n’a d’impact que sur la rémunération, puisque les temps d’inaction doivent être considérés comme des heures de travail au sens des durées et repos définis par le droit européen (CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04).

Si la liste des temps est, comme l’essentiel du droit du travail, impactée par les évolutions du travail (le temps d’habillage/déshabillage n’a-t-il pas vocation à s’effacer au profit du temps de connexion/déconnexion ?), ces définitions sont sans doute l’un des seuls îlots de stabilité (même si des changements interviennent ici et là, notamment sur la définition de l’astreinte ; loi du 8 août 2016 dite loi travail ; art. L. 3121-9 C. trav.) dans un droit du temps de travail particulièrement instable. Souhaitons que cela reste ainsi !

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il a publié Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

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  • Pascal Lokiec