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Que faut-il modifier au détachement pour réduire le dumping social ?

Idées | Débat | publié le : 03.04.2017 |

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Que faut-il modifier au détachement pour réduire le dumping social ?

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Des propositions ont été formulées par le gouvernement français et la Commission européenne pour lutter contre les dérives engendrées par la directive 96/71/CE. Cette dernière a soumis aux États membres une proposition de révision de cette directive, qui est en cours de discussion.

Anne Eydoux Chercheuse au Ceet (Centre d’études de l’emploi et du travail) et au laboratoire Lise du Cnam.

La directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs européens a fait couler beaucoup d’encre depuis une dizaine d’années. Les travailleurs détachés n’ont ni les mêmes droits au travail, ni les mêmes droits sociaux que ceux du pays où s’exerce leur activité et ces droits ne sont pas respectés. Or, si des améliorations marginales ont été apportées au statut des travailleurs, et si des efforts ont été faits pour lutter contre la fraude et l’ineffectivité des règles en Europe (directive d’exécution 2014/67/UE) et en France (loi Savary de 2014, loi Macron de 2015, loi El Khomri de 2016), les inégalités en droit n’ont pas varié dans les faits. Il y a bien eu une hausse des contrôles, mais ils restent difficiles et insuffisants. En mars 2016, un projet de réforme de la directive de 1996 a été proposé par sept pays d’Europe, dont la France. Mais il faudrait l’accord des 28 membres de l’Union européenne, ce qui annihile tout espoir qu’il soit adopté. Que faire ? La gouvernance de l’Union européenne rend très peu probables des avancées sur les droits des salariés détachés (égalité des droits avec les travailleurs sociaux), sur le renforcement de l’effectivité des droits qui supposerait que les institutions européennes y consacrent des ressources, ou sur la limitation ou la suppression de la sous-traitance en cascade. Politiquement, il faudrait obtenir l’accord des 28, ce qui semble impossible. Et il faudrait un changement radical de la législation économique européenne pour replacer les droits des êtres humains et des travailleurs au-dessus des libertés économiques des entreprises. Ce sont donc les régulations nationales qui peuvent jouer un rôle. En France où il existe un salaire minimum, d’autres régulations doivent être mises en place, pour réaffirmer le principe « à travail égal, salaire égal ». La législation prévoit davantage de contrôles, ce sont donc des ressources qui doivent être consacrées à ces contrôles, notamment à l’inspection du travail et aux syndicats. Ces derniers peuvent en principe mener des actions au nom d’un travailleur détaché « sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé ». Ils doivent avoir les moyens de se saisir de ce droit.

Chantal Guittet Députée du Finistère, rapporteuse d’une proposition de loi sur le détachement.

Nous sommes confrontés au quotidien à un dévoiement du détachement. Ce phénomène mine notre modèle social, instaure le dumping social entre travailleurs et entreprises, et contrevient à la protection élémentaire des salariés en mettant en cause leur dignité. La libre circulation des travailleurs et la libre prestation de service font partie des acquis de la construction européenne à préserver et approfondir. Mais un renforcement du cadre juridique européen est indispensable pour contrer les montages frauduleux. Marianne Thyssen, la commissaire européenne à l’Emploi, propose une nouvelle directive plus ambitieuse, mais encore insuffisante. Nous devons rendre les détachements effectivement temporaires en exigeant une durée préalable d’emploi dans l’entreprise pour éviter le recrutement des travailleurs à seule fin de détachement. Supprimer le seuil de six mois dans les modalités de décompte pour éviter le contournement de la réglementation par une succession de travailleurs. Et enfin, instaurer une limite de vingt-quatre mois de détachement sur une période de trente-six, pour éviter qu’un travailleur revienne en détachement après seulement trente jours passés dans son pays. Le détachement est utile pour accompagner les échanges économiques, mais le détachement de placement (intérim) est opportuniste et source de nombreuses fraudes. La Commission européenne préconise de l’encadrer. Je pense qu’il devrait être supprimé et que les agences d’intérim devraient s’établir dans le pays concerné. Par ailleurs, il faut instaurer préalablement à tout détachement, une durée de rattachement au régime de sécurité sociale du pays d’origine et exiger la signature d’un véritable contrat de travail. En outre, dans les transports internationaux, le détachement revêt une acuité particulière en raison de la nature hautement mobile du travail. Il faut créer une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe et une carte électronique de travailleur européen à disposition des services de contrôle nationaux afin de mieux suivre les travailleurs mobiles.

François Roux Délégué général de Prism’emploi (syndicat professionnel de l’intérim).

Prism’emploi est favorable au détachement. Il permet d’accompagner les échanges intra-communautaires et facilite la mobilité des salariés en Europe. Reste à s’assurer que les règles qui l’encadrent soient bien respectées sans créer de concurrence déloyale. Le détachement a pris une grande ampleur parce que les prix de facturation proposés par les entreprises qui détachent des salariés en France sont très attractifs. Les charges sociales, en particulier patronales, beaucoup moins élevées qu’en France, payées dans le pays d’origine, sont au cœur de ce différentiel, même lorsque le salarié est payé au salaire minimum français. Le problème trouve son origine dans le droit de la sécurité sociale et non dans le droit du travail. De plus, les salariés détachés peuvent être amenés à effectuer des heures supplémentaires, au-delà des durées maximales autorisées, ces heures n’étant pas toujours payées. Le logement et les repas sont parfois déduits du salaire, en totale infraction au code du travail. Plus qu’une révision de la directive détachement de 1996, il faut véritablement mettre en place un plan de lutte contre la fraude. La clé se trouve dans la modification des conditions d’affiliation au régime de sécurité sociale du pays d’origine. Les règles issues de la jurisprudence de la cour de justice de l’Union européenne en matière de droit du travail doivent ainsi être étendues au droit de la sécurité sociale. Dans le cadre de la révision de la directive détachement, il serait opportun de rappeler qu’une entreprise étrangère qui exerce son activité professionnelle de façon stable et continue dans un autre État membre, relève intégralement de la législation du pays d’accueil, y compris en ce qui concerne ses cotisations sociales. Parallèlement, il faut que le pays d’accueil puisse contester les affiliations « de complaisance ». Dans les règles actuelles, seules les autorités du pays d’origine peuvent remettre en cause l’affiliation. Cette règle devrait remplacer celle proposée par la Commission sur la durée maximale de détachement de vingt-quatre mois sachant que seuls les contrats supérieurs à six mois sont pris en compte. Ces seuils ne sont pas réalistes, car la durée moyenne d’un détachement en France est de l’ordre d’un mois et demi.

Ce qu’il faut retenir

// La directive 96/71/CE sur le détachement de travailleurs régule la libre prestation de service, conçue comme une liberté fondamentale des entreprises exportatrices. Les travailleurs détachés entre pays européens ne sont pas considérés comme des migrants, mais comme des accessoires de cette prestation.

// Un travailleur détaché est un salarié envoyé temporairement par son employeur sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne, que celui dans lequel il travaille habituellement et où son employeur est implanté.

// La France est le deuxième pays d’accueil après l’Allemagne. Elle fait aussi partie des trois pays qui détachent le plus de travailleurs, derrière la Pologne et l’Allemagne.

// En France, le nombre de travailleurs détachés a augmenté de presque 45 % entre 2010 et 2014. Ils sont très concentrés dans la construction (43,7 %), l’industrie (21,8 %) et présents dans l’éducation, la santé et l’action sociale (13,5 %).

En chiffres

229 000

Le nombre de travailleurs détachés en France en 2014. Soit moins de 1 % de la population active de l’Hexagone.

1,9 M

Le nombre total de travailleurs détachés dans l’Union européenne. Entre 2010 et 2014.

Source : ministère des Finances et des Comptes publics